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LES CLASSIQUES
DE L'HISTOIRE DE FRANCE
AU MOYEN AGE
PUBLIÉS SOUS LA DIRECTION DE LouIS HALPHEN
8e volume
DU MÊME AUTEUR :
Mesures fiscales exercées en Bretagne par les papes d'Avignon à
l’époque du Grand Schisme d'Occident. 1 vol. in-&, Paris,
A. Picard, 1903.
Lettres communes de Jean XXI1(13r16-1334), analysées d'après
les registres dits d'Avignon et du Vatican. Paris, Fontemoing
et de Boccard, 1904-1925, 20 fascicules in-4° parus (Bibliothèque
des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome, série in-4°).
Jean XXII et la succession de Sanche, roi de Majorque (1324-
1326). 1 vol. in-8, Paris, A. Picard, 1905.
La fiscalité pontificale en France au XIV° siècle. Période d'A vi-
gnon et du Grand Schisme d'Occident, en collaboration avec
Ch. Samaran. 1 vol. in-8", Paris, Fontemoing, 1905 (Bibliothèque
des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome, fasc. 96).
(Couronné par l’Académie des inscriptions et belles-lettres.)
Études et documents sur l’histoire de Bretagne; XIII°-XVI° siècles.
1 vol. in-8°, Paris, Champion, 1907.
Les papes d'Avignon (1305-1378). 1 vol. in-12, Paris, Gabalda,
1912; 4° éd., 1924.
Étude critique sur les « Vitae paparum A venionensium » d ‘Étienne
Baluze. 1 vol. in-8°, Paris, Letouzey, 1917.
(Couronné par l’Académie des inscriptions et belles-lettres.)
Les « Vitae paparum Avenionensium » d’É. Baluze ; nouvelle édi-
tion. 3 vol. in-8° parus, Paris, Letouzey, 1917-1922.
La collation des bénéfices ecclésiastiques à l’époque des papes
d'Avignon (1304-1375). 1 vol. in-8&, Paris, E. de Boccard, 1921.
(Couronné par l’Académie des inscriptions et belles-lettres.)
LES CLASSIQUES DE L'HISTOIRE DE FRANCE
AU MOYEN AGE
publiés sous la direction de Louis HALPHEN
BERNARD GUIDO\\
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MANUEL DE L’'INQUISITEUR
ÉDITÉ ET TRADUIT PAR
G. MOLLAT
PROFESSEUR
A LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE CATHOLIQUE DE STRASBOURG
avec la collaboration de
G. Drroux
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PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR
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Tous droits réservés
Copyright by Edouard Champion, november 1926
INTRODUCTION
L'expansion rapide de l’hérésie cathare en Occident au
xie siècle provoqua une vive réaction de la part de l’Église.
Les évêques, gardiens de la foi romaine, et les légats pon-
tificaux cherchèrent à entraver les succès des novateurs. Ils
n’y réussirent qu’imparfaitement. Aussi, Grégoire IX, au
xurre siècle, les jugeant insuffisants à la tâche, confia-t-il la
répression de l’hérésie à deux ordres de fondation récente,
les Prêcheurs et les Franciscains. Il réorganisa sur des
bases nouvelles l’institution connue sous le nom d’Inquisi-
tion et qui eut pour but la recherche et la punition des hé-
rétiques.
Les inquisiteurs prirent l’habitude de consigner par écrit
les règles pratiques qu’ils suivaient dans l’exercice de leurs
fonctions, la teneur des constitutions apostoliques qui déli-
mitaient leurs pouvoirs, des formules d’interrogatoires ou
des renseignements sur les hérésies mêmes. Bernard Gui
rédigea, à leur exemple et de façon neuve, une sorte de ma-
nuel de l’inquisiteur, qui n’a été imprimé que tardivement,
en 1886, par les soins de Mgr Douaisi. |
La présente introduction comprendra deux parties. Dans
la première, on fera connaître la personne de l’auteur et les
1. Practica Inquisitionis heretice pravitatis, auctore Bernardo
Guidonis O. F. P. Document publié pour la première fois par
C. Douais (Paris, 1886, in-4°, xr1-371 p.). Cet ouvrage est actuelle-
ment épuisé.
SOGOR1
Re T6 et 2 à em RE ne PRÉREERR, D ace ve ete
VI BIOGRAPHIE DE BERNARD GUI
divers problèmes de critique que soulève son ouvrage. La
seconde traitera des hérésies qu’il eut à combattre et de la
procédure qu’il suivit.
PREMIERE PARTIE
LE MANUEL DE BERNARD GUI
I. — BIOGRAPHIE DE BERNARD GuI
Léopold Delislei et M. Antoine Thomas? ont donné de
Bernard Gui une biographie assez complète pour qu’il soit
inutile de la reprendre à nouveau. Il suffira de noter les
quelques faits suivants.
Bernard Gui (Bernardus Guidonis) naquit à Royère, en
Limousin, vers 1261 ou 1262. Entré dans l’ordre des Frères
Prêcheurs, il fit profession le 16 septembre 1280 et géra la
charge d’inquisiteur dans le Toulousain à partir du 16 jan-
vier 1307. Entre-temps, Jean XXII lui confia des missions
pacificatrices dans la Haute-Italie, en 1317-1318, et près des
Flamands, en 1318. Promu évêque de Tuy, en Galice, le
26 août 1323, Bernard Gui continua à exercer ses fonctions
d’inquisiteur en vertu d’une bulle du rer septembre 13233.
Il y a tout lieu de supposer qu’il les conserva jusqu’au
24 juillet 1324, date à laquelle Pierre Brun prit sa succes-
1. Notice sur les manuscrits de Bernard Gui, dans Notices et
extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XXVII,
2° partie (1879), p. 169-454.
2. Bernard Gui, frère prêcheur, dans l'Histoire littéraire de la
France, t. XXXV (1921), p. 139-232.
3. J.-M. Vidal, Bullaire de l'Inquisition française au XIV°* siècle
(Paris, 1913, in-8°), p. 76, n° 44.
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rt pt
BIOGRAPHIE DE BERNARD GUI VII
sion!. Bernard Gui ne visita vraisemblablement pas son
diocèse, et Jean XXII le transféra sur le siège de Lodève le
20 juillet 1324. Il mourut au château de Lauroux, dans
l'Hérault, le 30 décembre 1331.
Bernard Gui écrivit beaucoup, surtout en matière histo-
rique. C'était un esprit extrêmement curieux, épris du passé.
Il aimait fouiller les archives et compulser les vieilles chro-
niques. ]1 réalisa le type de l’érudit consciencieux et précis.
Mais son érudition excluait toute élégance de style. En lui,
nul souci de l’art de la composition : faire une compilation
bourrée de détails, voilà son seul idéal.
Ce défaut qui dépare ses œuvres les rend pourtant pré-
cieuses à d’autres égards. Bernard Gui nous a conservé le
souvenir d'événements passés ou contemporains, d’institu-
tions, de mœurs ou de doctrines que nous ne connaîtrions
qu’imparfaitement ou même point du tout sans lui. L’un
de ses ouvrages les plus importants est certes son Manuel
de linquisiteur, qui renseigne admirablement sur le fonc-
tionnement intérieur du tribunal de l’Inquisition et sur les
doctrines professées par les hérétiques du x et du
xive siècle dans le midi de la France.
IT. — PLan pu MANUEL
La « Pratique de lInquisition » (Practica officii Inquisi-
tionis heretice pravitatis) — car tel est le titre que Bernard
Gui a donné à son manuel — est un « traité » composé
à l’usage exclusif des inquisiteurs, afin de leur faciliter la
recherche de l’hérésie, surtout dans le Toulousain, le Car-
cassès, l’Albigeoïs, la province ecclésiastique de Narbonne
— c'est-à-dire les anciens diocèses de Narbonne, Agde, Bé-
1. J.-M. Vidal, Bullaire de l'Inquisition française au XIV° siècle
(Paris, 1913, in-8°), p. 97, n° 50.
Louue nome Am ee Ne RS, mn ÉRE e Z, « de te 2
VIII PLAN DU MANUEL
ziers, Carcassonne, Aleth, Elne, Lodève, Maguelonne,
Nîmes, Saint-Pons de Thomières et Uzès — et les diocèses
circonvoisins!.
Elle est divisée en cinq parties. La première contient
trente-huit formules ayant trait à la citation et à la capture
des hérétiques, ainsi qu’à la comparution de toutes personnes
devant intervenir à quelque titre que ce soit dans un pro-
cès inquisitorial. Dans la seconde partie figurent cin-
quante-six actes de grâce ou de commutation de peines
faits au cours et en dehors des sermons généraux pronon-
cés par les inquisiteurs. La troisième partie renferme qua-
rante-sept formules de sentences rendues à l’occasion ou en
dehors de ces mêmes sermons.
La quatrième consiste en une « courte et utile instruc-
tion » concernant les pouvoirs des inquisiteurs, leur excel-
lence, leur étendue, leur exercice, leurs fondements. Ce pe-
tit traité a été conçu sur le modèle des écrits scolastiques et
juridiques du temps, c’est-à-dire qu’il est hérissé de divi-
sions et de subdivisions et que le texte est noyé dans une
masse d’extraits d’édits impériaux, de consultations de ju-
ristes, de constitutions apostoliques passées ou non dans le
Corpus juris canonici.
La cinquième partie, la seule que nous reproduisions in-
tégralement ci-après, constitue la pièce maîtresse de l’ou-
vrage de Bernard Gui. Elle est intitulée « Méthode, art et
procédés à employer pour la recherche et l’interrogatoire
des hérétiques, des croyants et de leurs complices ». On y
trouve un exposé méthodique des doctrines et des rites en
honneur chez les Cathares, les Vaudois, les Pseudo-
1. ZT'ractatus presens de practica officit inquisitionis heretice
pravitatis, maxime in partibus Tholosanis, Carcassonensibus,
Albiensibus, et in provincia Narbonensi et circumvicinis diocesi-
bus, in se continet quinque partes (Practica, éd. Douais, p. 1).
ne op ee LE TRE ns. me A nn Po ne ER |
PLAN DU MANUEL IX
Apôtres, les Béguins et les Béguines, ainsi que des exemples
d’interrogatoires. L'auteur ne consacre que quelques pages
aux Juifs convertis qui retournaient au judaïsme, aux sor-
ciers, aux invocateurs des démons, aux devins. Ïl donne
aussi le texte d’actes de procédure relatifs à ces diverses
sortes d’hérétiques.
Sur la foi d'un explicit que contient un manuscrit
unique!, Mgr Douais a cru devoir ajouter au Manuel un
appendice comprenant le texte de certaines constitutions
‘apostoliques, un long mémoire sur la secte des Pseudo-
‘ Apôtres, des formules d’abjuration, une circulaire adressée
à l’épiscopat espagnol, une lettre de l’archevêque de Com-
postelle. Il y a lieu de se demander si cette adjonction est
légitime. En effet, Bernard Gui a averti le lecteur, dans sa
préface, que son ouvrage se composait de cinq parties? et
qu’il prenait fin avec des formules relatives à l’abjuration
des amateurs de sortilèges3. Il ne mentionne nullement
l’existence d’un supplément. S'il avait eu vraiment l’inten-
tion d’en adjoindre un à son ouvrage, il n’aurait pas con-
seillé aux inquisiteurs de transcrire à part le texte de la
constitution Cum adversus hereticam pravitatem de Clé-
ment IVi, qui figure précisément in extenso dans l’appen-
dice publié par Mgr Douais (p. 304-310). De même, il prévient
1. Ms. 388 de la bibliothèque municipale de Toulouse; voir
ci-après, p. XXVI.
2. Tractatus. in se continet quinque partes (Practica, éd.
Douais, p. 1).
3. In fine vero contra pestem seu errorem pestiferum sortilegio-
rum, divinationum et invocationum demonum aliqua perstringen-
tur, et modi diversi et proprit abjurandi heresim rescribentur
(Practica, éd. Douais, p. 2).
4. Est autem plurimum expediens omnibus inquisitoribus ut
predictam litteram.…. secum habeant in aliquo libro seorsum
(Practica, éd. Douais, p. 5).
X PLAN DU MANUEL
le lecteur! qu'il exposera en vingt articles la doctrine rela-
tive aux pouvoirs des inquisiteurs, telle qu’elle ressort des
bulles pontificales. Chacun de ces articles reportera le texte
intégral de ces bulles, de façon à dispenser d’y recourir.
Par suite, Bernard Gui se devait de ne pas reproduire dans
un appendice (éd. Douais, p. 310-323) des documents dont
il avait déjà donné la teneur. Enfin, sauf quelques légères
différences, les textes insérés dans l’appendice (éd. Douais,
p. 325-327, 336-339, 343-350, 353-355) font double emploi
avec ceux qui existent dans la cinquième partie de l’ou-
vrage (éd. Douais, p. 293-295, 258-261, 261-264, 296-208).
Tout semble donc indiquer que Bernard Gui n’avait pas la
pensée de faire suivre son Manuel d’un supplément.
L’examen des manuscrits? conduit à la même conclusion.
Le plus ancien (Toulouse 387) ne contenait pas primitive-
ment l’appendice. Le copiste qui l’y a transcrit dans la suite
ne l’a pas relié au texte même de la Practica, car il a laissé
à dessein deux folios vierges après la cinquième partie. Le
scribe du manuscrit de Toulouse 388 n'a pas observé la
même réserve; il a uni arbitrairement les deux textes et
ajouté de son propre chef un explicit dont Mgr Douais a
exagéré l’importance. Le manuscrit Egerton 1897 n’a que
quatre bulles en appendice. La Vaticanus 4032 ne contient au-
cun supplément. Le manuscrit Doat XXX et le manuscrit 109
de Dôle-du-Jura reproduisent le mémoire relatif aux Pseudo-
Apôtres (Practica, éd. Douais, p. 327 et suiv.), mais ils lui
laissent le caractère d’un traité à part, indépendant de l’ou-
1. Que lucidius apparebit prosequendo eam per ariiculos viginti
distinctos per ordinem … ad singulos articulos inferius positos
subjungendo competentes sibi clausulas ex ipsis litteris apostoli-
cis decisas ex integro, ut earum tenores ita complete habeantur
in presenti tractatu quod non oporteat lectorem per scripta plu-
rima evagari (Practica, éd. Douais, p. 185).
2. Voir ci-après, p. xxv et suiv., la description des manuscrits.
RP Se nr DR TE RSS —# PIS OT RE pere nn. PE RS td og Fume dar
ya D ÉÉÉÉÉÉÉÉS SE É
DATE DE LA COMPOSITION XI
vrage. Bien plus, l'explicit du manuscrit de Dôle l’en ex-
clut.
Aussi, à notre sens, l’appendice imprimé par Mgr Douais
ne représente qu’un ensemble de documents recueillis et
transcrits, avec certaines retouches, par Bernard Gui en
vue de la rédaction définitive de la Practica. Il n’en consti-
tuerait pas, comme l’a dit L. Delisle{, une « partie essen-
tielle ». Un inconnu crut qu’il y avait intérêt à en garder le
souvenir. La postérité lui saura gré de son initiative, car,
grâce à lui, nous possédons un mémoire du plus haut inté-
rêt sur la secte des Pseudo-Apôtres.
III. — DATE DE COMPOSITION DU MANUEL
Ainsi qu'on a pu le remarquer, la Practica ne forme pas
un tout homogène. Elle se compose en réalité de trois ou-
vrages, dont le premier comprend les trois premières par-
ties. Il semble que ces divers ouvrages n’aient pas été com-
posés à la même époque. La plus ancienne des formules
datées que relate le premier remontant au 10 août 1309? et
la plus récente au mois de juin 13213, l'ouvrage est donc
postérieur à juin 1321. On peut encore admettre qu’il fut
achevé après le 12 septembre 1322, car la formule relative à
labjuration d’un Pseudo-Apôtrei est extraite de celle quefit
ce jour-là Pierre de Lugoÿ.
Le traité relatif aux pouvoirs des inquisiteurs est posté-
1. Notices et extraits des manuscrits, t. XXVII, 2° partie, p. 357.
2. Practica, éd. Douais, p. 4.
3. Practica, éd. Douais, p. 64.
4. Practica, éd. Douais, p. 93.
5. Ph. Limborch, Historia Inquisitionis (Amsterdam, 1692,
in-fol.), p. 339. — Les références à cet ouvrage s'entendent, dans
les pages qui vont suivre, du Liber sententiarum inquisitiontis
Tolosanae, imprimé avec une pagination spéciale en appendice.
XII DATE DE LA COMPOSITION
rieur à la promulgation faite, pendant le concile de Vienne
(1311-1312), des constitutions Muliorum querela et Nolentesi,
qui y sont citées dès le début. La façon dont Bernard Gui
parle de Clément V laisse supposer que ce pape n’était plus
en vie. En effet, quand il mentionne dans les autres parties
de son livre le nom de Jean XXII, il emploie les expressions
respectueuses dont les gens d’Église et les notaires usaient
à l'égard des souverains pontifes régnant : sanctissimus pa-
ter ac dominus noster dominus Joannes divina providentia
papa XXII, sanctissimus pater ac dominus noster summus
pontifex Joannes papa XXII ou sanctissimus pater dominus
Joannes XXI7?. Au contraire, de Clément V il se contente
de dire : Clemens papa V3. D'autre part, Bernard Gui ne
fait nulle allusion à Jean XXII dans la quatrième partie de
son Manuel. Bien plus, 1l ne connaît pas l’existence de la
constitution Cum Mathæusi (21 décembre 1321), qui restrei-
gnait les pouvoirs des inquisiteurs vis-à-vis de certains offi-
ciers pontificaux. Bernard Gui dut, par conséquent, travail-
ler à son traité pendant la durée de l’interrègne qui suivit le
décès de Clément V, c’est-à-dire du 20 avril 1314 au 7 août
1316.
La cinquième partie de la Practica était certainement
achevée avant 1325, car l’auteur note que, suivant les pré-
dictions des Béguins, la venue de l’Antéchrist doit se pro-
duire « avant l’année 1325 de l’Incarnation du Seigneur »
(infra annum quo computabitur incarnatio Domini anno
M CCC XX V)$. D'ailleurs, la condamnation d’une « pos-
1. Corpus juris canonici, Clementinae, lib. V, tit. IIL, cap. 1 et 11.
2, Practica, éd. Douais, p. 46, 72, 73, 75, 80, 171 et 354.
3. Practica, éd. Douais, p. 182, 187 et 188.
4. Lettres communes de Jean XXII, éd. G. Mollat (Paris,
1910, in-4°; collection de la « Bibliothèque des Écoles françaises
d'Athènes et de Rome », 3° série, 1 bis, t. IV, p. 162, n° 16130).
.5. Voir ci-après, p. 148.
asian" he. D NO E e|
DATE DE LA COMPOSITION XIII
tille » de Pierre-Jean Olieu promulguée le 8 février 1326!
lui est inconnue.
Bernard Gui dit encore que des Béguins furent brûlés dès
1317 et les années suivantes et, parmi eux, à Toulouse,
trois étrangers à ce diocèseë. De même, il raconte qu’un
pseudo-apôtre repentant fut puni de la prison. Or, le recueil
des sentences de l’inquisition de Toulouse publié par Lim-
borch révèle les noms de ces quatre hérétiques et nous ap-
prend que leur condamnation solennelle eut lieu à Toulouse
le 12 septembre 13225. Ailleurs, Bernard Gui remarque que
les inquisiteurs commencèrent à traquer les Béguins dans
la région de Pamiers « l’an du Seigneur 1321 » et les années
suivantes (et deinceps successive)$. Comme il employait le
style de l’Annonciation, selon lequel l’année commençait
non pas le rer janvier, mais le 25 mars, ses dires coïncident
exactement avec la date d’une bulle de Jean XXII ordon-
nant, le 26 février 1322, à l’évêque de Pamiers de rechercher
activement les Béguins dans l’étendue de son diocèse7. Nous
savons, par ailleurs, que Bernard Gui instrumenta contre
des Béguins, à Pamiers même, le 4 juillet 1322, le 19 mai et
le 19 juin 13238. Les mots deinceps successive, vagues en
eux-mêmes, autorisent par suite à supposer qu'ils s’ap-
pliquent au moins aux années 1323 et 1324.
Quant à l’appendice joint à la Practica dans l’édition de
Mgr Douais, il renferme spécialement deux documents et
1. Baluze et Mansi, Miscellanea (Lucques, 1761, in-fol.), t. II,
p. 258-272.
2. Voir ci-après, p. 113.
3. Voir ci-après, p. 109.
4. Voir ci-après, p. 107.
5. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 360-363, 381-393.
6. Voir ci-après, p. 154.
7. J.-M. Vidal, Bullaire de l’Inquisition française, p. 68, n° 37.
8. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 393-394.
XIV DATE DE LA COMPOSITION
un mémoire relatifs aux Pseudo -Apôtres qui sont datés du
er mai 1316!. M. Sachsse a prétendu que ce mémoire avait
été rédigé par Bernard Gui dans le dessein de renseigner
l’épiscopat espagnol sur la secte?. Cette assertion paraît
toute gratuite, car la lettre adressée par lui le rer mai 1316
à ses correspondants d’Espagne ne donne que des rensei-
gnements très vagues et fort peu circonstanciés sur les
Pseudo-Apôtres, tandis qu’au contraire le mémoire en four-
nit de très précis et de très fouillés sur eux. La source uti-
lisée par Bernard Gui ne saurait donc être d’ordre littéraire.
Au surplus, la lettre même en a indiqué la nature. Les ren-
seignements qui y sont rassemblés proviennent d’un tiers,
entendu en séance inquisitoriale : Horum nomina... haben-
tur detecta per eum in judicio coram nobis qui vidit et ,udi-
vit et scivit et cum eisdem fuit ibiet alibi conversatusi. L’er-
reur de M. Sachsse découlait d’une théorie préconcçue
d’après laquelle le mémoire publié par Mgr Douais et celui
qu'imprima Muratori, au xvrrre siècle, dans son grand re-
cueil des Rerum Italicarum scriptoresÿ, étaient l’œuvre d’un
seul et même auteur. En réalité, l’examen des manuscrits
prouve le contraire. Celui que consulta Muratori renferme
le travail d’un inconnu, dont Bernard Gui eut vraisembla-
1. Practica, éd. Douais, p. 346 et 350.
2. Hugo Sachsse, Bernardus Guidonis Inquisitor und die Apos-
telbrüder (Rostock, 1891, in-8°), p. 44-45.
3. Voir notre tome Il, appendice I, 8 0.
4. Voir ibid., l’avant-dernière page du texte de la lettre.
5. T. IX (Milan, 1723, in-fol.), col. 448-460.
6. Muratori l'avait intitulé : Additamentum ad historiam F. Dul.
cini hæretici ab auctore anonÿymo coævo. Il se servit du manus-
crit de l’Ambrosienne H 80, inf., qui dépend d’un autre de la
même bibliothèque, A 129, inf. — M. Segarizzi, partageant le
même sentiment que M. Sachsse, a donné une nouvelle édition
du mémoire, en combinant indûment le texte de l’Ambrosienne
A 120, inf., et celui publié par Mgr Douais. Son édition a paru
DATE DE LA COMPOSITION XV
blement connaissance durant son voyage en Italie, c’est-à-
dire en 1317-1318!. Suivant son procédé favori, notre inqui-
siteur copia presque textuellement le mémoire de cet inconnu
et laissa subsister dans le sien la date du rer mai 1316.
A quelle date précise remonte la rédaction définitive du
Manuel? Un biographe contemporain de Bernard Gui a
écrit: « Tandis qu’il était inquisiteur, il rédigea (ordinavit) à
l'usage de ses successeurs un livre sur la pratique de l’of-
fice de l’Inquisition, divisé, suivant l’exigence de la matière,
en cinq parties?. » Le mot ordinavit est significatif. Il ex-
prime l’idée de quelqu'un mettant en ordre les matériaux ou
les chapitres de son livre. Si, suivant son biographe, Gui
voulut, ce faisant, rendre service à ses successeurs, n’est-ce
point parce que, nommé évêque de Tuy et continuant mal-
gré cela à exercer sa charge d’inquisiteur sur mandat exprès
du rer septembre 13233, il songeait à celui qui le remplace-
rait bientôt. Comme Pierre Brun lui succéda le 24 juillet
13241, il est possible d'admettre que Bernard Gui acheva
son ouvrage en 1323 ou dans les premiers mois de 13245.
dans la refonte des Rerum Italicarum Scriptores, t. IX, 5° partie
(Città di Castello, 1907, in-4°), p. 16-36.
1. C’est l’avis de M. Ch. Molinier (Archives des missions scien-
tifiques et littéraires, t. XIV, 3° série, 1888, p. 156).
2. Librum de practica officit inquisitionis secundum materie
exigentiam in partes quinque distinctum admodum utilem inquisi-
toribus ipse inquisitor existens pro successoribus ordinavit (L. De-
lisle, dans les Notices et extraits des manuscrits, t. XXVII,
2° partie, p. 428).
3. J.-M. Vidal, Bullaire de l'Inquisition française, p. 76, n° 44.
4. J.-M. Vidal, op. cit., p. 97, n° 50.
5. M. Ch. Molinier (L'Inquisition dans le midi de la France,
Paris, 1880, in-8°, p. 427) n'ose se prononcer. M. A. Thomas (His-
toire littéraire de la France, t. XXXV, 1921, p. 208) observe la
même réserve; il se contente de dire que Gui acheva son recueil
avant décembre 1323, sans doute parce qu’il ne connaît pas la
date de la nomination de son successeur à Toulouse. M. H. Sachsse
XVI SOURCES DES QUATRE PREMIÈRES PARTIES
IV. — Sources bu MANUEL
I. SOURCES DES QUATRE PREMIÈRES PARTIES. — Bernard
Gui a puisé la matière de son livre à des sources variées.
Les formules des trois premières parties reproduisent
la teneur d’actes que les notaires d’inquisition épiscopale
et les siens propres expédièrent, si bien que le libellé initial
et les dates finales de certains de ces actes ont même été
transcrits par lui tels quels!. La majorité des autres for-
mules proviennent du recueil des sentences de l’inquisition
de Toulouse (1308-1323) qu’a publié jadis Ph. Limborch?2.
Plusieurs sentences ont été copiées textuellement. La plu-
part ont subi de légères retouches qui ont pour objet de
faire disparaître le nom des intéressés, les dates et l’indica-
tion des lieux. On leur a donné de la sorte le caractère im-
personnel qui leur convenait.
(Bernardus Guidonis Inquisitor und die À postelbrüder, p. 51) qui
n’en sait pas davantage sur ce point, adopte l’année 1323. M. Ta-
non donne les dates de 1321-1323 (Histoire des tribunaux de l'In-
quisition, p. 163). Je ne cite que pour mémoire l'opinion de
L. Delisle (Notices et extraits des mauuscrits, t. XXVII, 2° partie,
p. 356) en faveur de l’année 1321, opinion qu'ont suivie Mgr Douais
(éd. de la Practica, p. v), le P. Ehrle (Archiv für Literatur-und
Kirchengeschichte, t. IV, 1888, p. 154) et K. Müller (Die Wal-
denser und ihre einzelnen Gruppen, Gotha, 1886, in-8, p. 73).
M. H. Ch. Lea (Histoire de l'Inquisition au moyen âge, traduction
S. Reinach, Paris, 1900, in-8°, t. I, p. 478) a daté, sans produire
de preuves, la Practica des années 1328-1330.
1. Nobili ac potenti viro domino senescallo Agenesii vel ejus
locum tenenti frater Bernardus Guidonis, ordinis Predicatorum,
inquisitor heretice pravitatis in regno Francie per sedem aposto-
licam deputatus, salutem in actore fidei Domino Jhesu Christo…
Datum Agenni, pridie nonas januarii, anno Domini M CCCIX
(Practica, éd. Douais, p. 69-70).
2. En appendice à son Historia Inquisitionis (cite8 qlus haut,
p. xi, n. 5), p. 1-394.
SOURCES DES QUATRE PREMIÈRES PARTIES XVII
Bernard Gui nous a lui-même fourni des explications sur
la manière d’après laquelle il travaillait. En marge des ma-
TT ne.
re —
nuscrits et en regard de plusieurs formules sont mention-
nées les sentences que celles-ci reproduisent !. Bernard Gui
a extrait les curieux renseignements qu'il donne sur les
trois ordres ecclésiastiques? admis par les Vaudois — ceux
d’évêque, de prêtre et de diacre — d’un registre de l’inquisi-
tion de Pamiers, plus exactement des aveux faits par un
diacre de la secte, du nom de Raymond de la Côte Saint-
André (Isère), en 13203. Trois actes relatifs aux Templiers
sont étrangers aux tribunaux d’inquisition. Le dispositif en
a été fourni par les sentences que rendirent en Avignon des
cardinaux. Enfin, le texte d'une bulle de Jean XXII a passé
dans le Manuel. |
Le traité qui constitue la quatrième partie n’est pas une
œuvre originale. Il dérive d’une œuvre similaire plus an-
cienne dont on peut présentement citer cinq exemplaires
et qui paraît avoir eu un certain succès aux xmIe et
xive siècles. La copie que possède la Bibliothèque nationale
de Paris, et que seule j’ai eu la facilité de compulser, per-
1. Casus istius sententie fuit Tholose de facto, anno M CCC XII
(Practica, éd. Douaïis, p. 103); voir encore p. 106, 121, 123, 124,
131 et 153 de l’édition Douais.
2. Practica, éd. Douais, p. 136-138.
3. Le registre existe à la bibliothèque Vaticane; c’est le Vati-
canus 4030, fol. 16 r°, Errores contra sacramentum ordinis.
4. Practica, éd. Douais, p. 71-82.
5. Ed. Douais, p. 120.
6. Florence, bibliothèque Laurentienne, plut. VII, sin., cod. 2,
fol. 137 r°-155 r° (xiv* siècle); Rome, bibliothèque Casanatense,
À, 11, 34, fol. 96 r°-112 r°, et A, 1v, 40, fol. 164 r°-174 r° (xiv* siècle);
Milan, bibliothèque Ambrosienne, A 120, inf., fol. 84 r°-128 ve
(xvn* siècle); Paris, Bibliothèque nationale, fonds Doat, t. XXXVI,
fol. 1 r°-26 1° (xvnu* siècle). Incipit : Quoniam ipsa experientia
fact: ”
Manuel de ‘inquisiteur. 2
XVIII SOURCES DES QUATRE PREMIÈRES PARTIES
met de préciser la date à laquelle ce traité primitif fut
composé. Comme, contrairement à Bernard Gui, l’auteur
inconnu ne mentionne aucune bulle ni de Grégoire X (1271-
1276) ni de Nicolas IV (1288-1289), qui légiférèrent en ma-
tière inquisitoriale, il y a lieu d’admettre qu’il écrivit posté-
rieurement à la constitution Præ cunctis! (28 janvier 1267),
citée par lui, et antérieurement à la constitution Præ cunc-
tis2 (20 avril 1273), ignorée de lui.
Ainsi que M. L. Tanonë l’a noté le premier, l’auteur du
traité du xrxie siècle tira « la division de son sujet d’un pas-
sage de l’épître de saint Paul aux Éphésiens sur la largeur,
la longueur, la hauteur et la profondeur de la charité, en
rattachant tous ses développements à ces quatre mêmes at-
tributs qui caractérisent, selon lui, l'office de l’Inquisition. »
Bernard Gui lui a emprunté cette division pourtant peu
heureuse, et, quant au reste de l’ouvrage, il l’a soit copié
servilement, soit écourté, soit accru ou modifié. Sa tâche
principale a consisté à reviser le traité de son devancier et
à le refondre en fonction des constitutions apostoliques
publiées par Grégoire X, Nicolas IV, Boniface VIII et Clé-
ment V. Somme toute, Bernard Gui composa une œuvre
nouvelle et utile.
2. SOURCES DE LA CINQUIÈME PARTIE. — La cinquième
partie du Manuel n’est pas non plus originale.
Bernard Gui semble avoir puisé les éléments du cha-
1. À. Potthast, Regesta pontificum Romanorum (Leipzig, 1874,
in-4°), n° 19924.
2. A. Potthast, op. cit., n° 20720.
3. L. Tanon, Histoire des tribunaux de l'Inquisition en France,
p. 165.
4. Circa juridictionem vero seu potestatem officii inquisitiontis
consideranda est magnitudo ejus que consistit in quatuor, videli-
cet in altitudine, in longitudine, in profunditate seu soliditate, et
in latitudine (Practica, éd. Douais, p. 175).
SOURCES DE LA CINQUIÈME PARTIE XIX
pitre relatif aux Cathares dans le recueil des sentences de
l’inquisition de Toulouse. Le paragraphe 1 dépend sans au-
cun doute des interrogatoires subis par le « parfait » Pierre
Autier!. La fin du même paragraphe représente un court ré-
sumé d’un passage qui se trouve dans la quatrième partie du
Manuel. On peut encore relever des ressemblances avec
le traité de Raïinier Sacchoni, dit Summa de Catharis et Leo-
nistisi. Mais on n’en peut rien conclure, car, parlant des
mêmes erreurs, deux auteurs s'expriment parfois en termes
à peu près identiques, sans que l’un ait nécessairement co-
pié l’autre. Le chapitre consacré aux Vaudois dépend de
plusieurs petits traités (summule), ainsi qu’il les nomme.
Nous en connaissons quatre principaux. Ce sont le De sep-
tem donis Spiritus Sancti (xmre siècle) d’Étienne de Bour-
bon, la Disputatiof inter catholicum et paterinum hereti-
cum (xime siècle), la consultation de l’évêque de Tarragone7
(1242), le De inquisitione hereticorum de David d’Augsbourg
(1256-1271)8.
Nous savons avec certitude que Bernard Gui connut le
De septem donis Spiritus Sancti, composé par le frère prê-
cheur Étienne de Bourbon entre 1250 et 1261, car il en cite
1. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 92.
2. Practica, éd. Douais, p. 218 et 220.
3. Édition Martène et Durand, insérée dans le tome V du The-
saurus novus anecdotorum (Paris, 1717, in-fol.), col. 1761-1762.
4. Voir ci-après, p. 48.
5. Edité partiellement par A. Lecoy de la Marche sous le titre :
Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés du recueil
inédit d’Étienne de Bourbon, dominicain du XIII siècle (Paris,
1877, in-8; collection de la « Société de l’histoire de France »).
6. Edité par Martène et Durand, dans le Thesaurus novus anec-
dotorum, t. V, col. 1754-1750.
7. Édité par Martène et Durand, op. cit., t. V, col. 1800.
8. Edité par W. Preger dans les Abhandilungen der historischen
Klasse der Kôniglichen bayerischen Akademie der Wissenschaft,
t. XIV, 2° partie (1878), p. 204-235.
XX SOURCES DE LA CINQUIÈME PARTIE
exactement le titre dans la notice qu’il consacra à son con-
frère!. Celui-ci avait toutes chances d’être bien informé.
Après avoir étudié à l’Université de Paris, Étienne habita le
couvent de Lyon, dès 1223. Là, il recueillit des renseigne-
ments sur l’origine des Vaudois de la bouche même des
concitoyens de Pierre Valdo, surtout de celle d’un prêtre
du nom de Bernard Ydros et d’un bénéficier de la cathé-
drale, Étienne d’Anse, qui tous deux travaillèrent à la
traduction en langue vulgaire de la Bible et de maximes
tirées des Pères de l’Église, aux frais de Pierre?. Étienne
de Bourbon eut, d’ailleurs, l’occasion de rencontrer des
Vaudois dans le diocèse de Valence où il prêcha vers 12353.
En tout cas, il fit plus ample connaissance avec eux lors-
qu’il eut été nommé inquisiteuri. Bernard Gui, qui était au
courant de sa carrière, ne manqua pas de se servir de son
traité. [1 l’apprécia à tel point qu’il le copia littéralement
(ch. 11, $ 8) ou le résuma fidèlement (ch. 11, $ r et 2). Il va
même jusqu’à en reproduire certaines imprécisions de dates
et certaines erreurs (ch. x, $ 1). Cependant il ne craint pas
d’y ajouter un détail et cite les noms des Pères dont Valdo
avait désiré des extraits (ch. 11, $ 1}. Mais en cela il n’avait
aucun mérite, car les noms d’Augustin, d'Ambroise, de
Jérôme et de Grégoire figuraient dans le traité de l’inquisi-
1. La notice a été publiée par Quetif et Echard, Scriptores or-
dinis Prædicatorum (Paris, 1719, in-fol.), t. 1, p. 184. — Sur
Étienne de Bourbon, voir K. Müller, Die Waldenser und ihre
einzelnen Gruppen (Gotha, 1886, in-8°), p. 166-172.
2. Voir l'édition citée du De septem donis Spiritus Sancti par
Lecoy de la Marche, p. 291.
3. Ibidem, p. 294.
4. Il dit lui-même : Ego cognovi ut inveni per multas inquisi-
tiones et confessiones eorum in jure tam perfectorum quam cre-
dentium, ab ore eorum conscriptas, et per multos testes contra eos
receptas (Ibidem, p. 293).
SOURCES DE LA CINQUIÈME PARTIE XXI
teur Moneta (1240), intitulé Adyersus Catharos et Valden-
ses|.
Un anonyme, dont Martène a publié des extraits dans la
Disputatio inter catholicum et paterinum hereticum, avait
décrit le rite de la consécration eucharistique en usage chez
les Vaudois. Bernard Gui a reproduit sa description presque
intégralement (ch. 1, $ 4). Il a ajouté seulement un rensei-
gnement et précisé que le président du banquet sacré n’avait
pas le rang d’ancien ou de prêtre dûment consacré par un
évêque catholique.
Bernard Gui a inséré dans sa Practica un court passage
de ce qu’on a appelé la consultation de l’évêque de Tarra-
gone Pierre d’Albalat et qui a trait au ministre de la consé-
cration du corps et du sang du Christ (ch. u, fin du $ 3).
Cette fais encore il a noté d’après une autre source — Ia
Summa de Catharis et Leonistis de l’inquisiteur italien Raï-
nier Sacchoni (1250) — que les femmes consacraient à
l'instar des hommes?. Bernard Gui n’avait vraisemblable-
ment pas lu la consultation même de Pierre d’Albalat. Il
avait dû la connaître par l’intermédiaire d’un manuel d’ori-
gine française qui la contient : la Doctrina de modo proce-
dendi contra hereticos, imprimée par Martène et Durand.
Ce manuel, composé vers 1280, relate, en effet, la procédure
usitée par les inquisiteurs dans le Carcassès et le Toulou-
sain.
1. Édition de Rome (1743, in-fol.), p. 402.
2. Item quod simplex laicus potest consecrare corpus Domini,
credo etiam quod idem dicant de mulieribus, quia hec nonnisi ne-
gaverunt (éd. Martène et Durand, Thesaurus novus anecdotorum,
t. V, col. 1775).
3. Thesaurus novus anecdotorum, t. V, col. 1800.
4. 11 débute ainsi : Zsto modo procedant inquisitores in partibus
Carcassonensibus et Tholosanis (Thesaurus novus anecdotorum,
t. V, col. 1795). Sur ce manuel, voir K. Müller, Die Waldenser
XXII SOURCES DE LA CINQUIÈME PARTIE
L'auteur auquel Bernard Gui doit le plus est un frère
mineur du nom de David d’Augsbourg!, qui avait écrit un
ouvrage intitulé De inquisitione hereticorum. I1 lui a fait
jusqu’à onze emprunts (ch. n1, $ 3, 4, 5, 6, 7), dont certains
sont fort longs. Suivant son habitude, Bernard Gui a opéré
son plagiat sans vergogne. Toutefois, il a modifié le plus
souvent le texte de son devancier. Son procédé de compo-
sition apparaît clairement dans le paragraphe 7 du chapitre 11
qui contient un interrogatoire très vivant subi par un vau-
dois. La où David se mettait en scène et parlait à la première
personne, Bernard Gui a employé la troisième, à juste rai-
son. Au lieu de credo il a mis creditur. Mais, dans la suite,
il a commis des oublis et laissé subsister la première per-
sonne, au risque d’égarer le lecteur non averti de son plagiat.
Ailleurs, Gui adapte à son temps la forme du serment
imposé aux hérétiques?. Tantôt il remplace tel mot par
une expression plus théologique, tantôt il lui en substitue
une autre qui a un sens beaucoup plus restreint. Il opère
encore des suppressions malheureuses qui rendent obscure
sa phrase. David d’Augsbourg avait remontré à un Vaudois
und ihre einzelnen Gruppen, p. 142-145, et Ch. Molinier, dans les
Archives des missions scientifiques et littéraires, t. XIV, 2° série
(1888), p. 185.
1. Et non Albert le Grand comme l’a prétendu M. F. Pelster,
Albert der Grosse und der Tractatus de inquisitione haeretico-
rum, dans la Zeitschrift für Katholische Theologie, t. XLV (1921),
p. 609-627. En faveur de l'attribution à David d’Augsbourg, voir
D. Stoeckerl, Bruder David von Augsburg (Munich, 1914, in-8°),
. 41-61.
: 2. Voir ci-après, p. 68, et l'édition donnée par Preger du De
inquisitione hereticorum (p. 230).
3. Au lieu de Credis panem et vinum in missa... in corpus et
sanguinem Christi…. mutari (éd. Preger, p. 229) il met /nterro-
gatus si credit panem et vinum in missa… transubstantiartin cor-
pus et sanguinem Christi.
4. Le mot hereticum (éd. Preger, p. 208) est remplacé par celui
de perfectum.
SOURCES DE LA CINQUIÈME PARTIE XXIII
que, malgré ses serments, 1l n’éviterait pas une sentence de
mort (non evades sententiam mortis); Gui se contente de
mettre non evades, ce qui empêche de savoir quel péril
menaçait l’inculpé!. Au contraire, il ajoute des remarques
heureuses que lui suggère son expérience. Il note ainsi que
de son temps les Vaudois persistent (ef adhuc perseyverat) à
mépriser le pouvoir de l’Église? et qu’ils emploient un
mode particulier de persuasion non plus seulement à
l'égard des femmes, comme l’indiquait David d’Augsbourg,
mais à l'égard de leurs « croyants3».
Bernard Gui a lui-même indiqué à quelle source il avait
puisé les informations qu’il a rassemblées relativement aux
Pseudo-Apôtres (ch. nr). Il a résumé un « traitéi » qui n’est
autre que celui dont il s’est servi pour rédiger le mémoire
imprimé ci-après en appendice. Ce traité porte une date
précise. Son auteur, inconnu, écrivait le rer mai 1316.
C’était, vraisemblablement, un Italien.
Suivant sa louable coutume, Bernard Gui a complété son
devancier. Il a inséré çà et là maintes informations pré-
cieuses qu’il avait recueillies au cours de sa carrièref et dont
certaines proviennent de Pierre de Lugo?.
1. Voir l'édition Preger, p. 230, et ci-après, p. 70.
2. Voir ci-après, p. 38, et l'édition Preger, p. 206.
3. Ed. Preger, p. 213, et ci-après, p. 60. — Sur les rapports
existant entre David d’Augsbourg et Bernard Gui, voir K. Müller,
Die Waidenser und ihre einzelnen Gruppen, p. 157-150.
4. Sicut in quodam tractatu super hoc facto plenius enarratur
(Practica, éd. Douais, p. 258).
5. Anno quo hec scripsi, in kalendis maii anno Domini
M CCC XV£Z (nouvelle édition de Muratori, Rerum Italicarum
Scriptores, t. IX, 5° partie, p. 29, texte établi par A. Segarizzi,
Città di Castello, 1907, in-4°).
6. Sicut habitum est ab aliquibus eorumdem in judicio depre-
hensis (Practica, éd. Douais, p. 258).
7. Vidi ego et expertus sum de uno (Practica, éd. Douais, p. 264)
et Limborch, Historia Inquisitionis, p. 338, 360-363).
XXIV SOURCES DE LA CINQUIÈME PARTIE
A la différence des deux chapitres précédents, le quatrième
représente une œuvre de première main. Bernard Gui n’a
eu qu’à rassembler ses propres souvenirs. Nombre de
Béguins avaient comparu devant lui!. Il les a entendus
exposer leurs croyances {dogmata) « de leur propre bouche »;
il a consulté les actes de procédure où leurs aveux (confes-
siones) étaient longuement (copiosius et diffusius) consignés ;
il a « lu et vu » les opuscules qu’ils répandaient2, en parti-
culier le De transitu sancti Patris, dont des passages sont
reproduits dans sa Practicaë. Bernard de Na Jacma, origi-
naire du diocèse de Mirepoix, lui a fourni à diverses
reprises les titres des ouvrages attribuës au franciscain
fameux Pierre-Jean Olieu“. A supposer qu’il ne les ait pas
déjà connus, Bernard Gui était donc en mesure de les énu-
mérerÿ. Quant au jugement porté par huit maîtres en
théologie à Avignon, au cours de l’année 1319$6, sur une
« postille » d’Olieu relative à Apocalypse, il a « vu lins-
trument notarié et muni de ses sceaux » qui le notifiait, l’a
« tenu en mains », l’a « lu d’un bout à l’autre »7. Enfin, le
texte de la bulle Quorumdam8, promulguée le 7 octobre
1317 par le pape Jean XXII, lui est parvenu.
Les chapitres concernant les Juifs et les faiseurs de sor-
tilèges ont été puisés en partie dans un manuel d’inquisi-
1. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 228-233, 381-394.
2. Voir ci-après, p. 152-154.
3. Voir ci-après, p. 190.
4. Îtem dixit se credidisse quod tota doctrina vel scriptura dicti
fratris Petri Johannis Olivi quem ipse frequenter nominavit (Lim-
borch, Historia Inquisitionis, p. 308).
5. Voir ci-après, p. 111 et 143.
6. Baluze et Mansi, Miscellanea, t. II, p. 258-270.
7. Voir ci-après, p. 113.
8. Corpus juris canonici, Extravagantes Joannis XXII, tit. XIV,
cap. I.
9. Voir ci-après, p. 125 et 150.
LES MANUSCRITS XXV
tion, d’origine française, remontant au xtrre siècle, qui
existe encore à la bibliothèque Mazarine de Paris‘. Bernard
Gui y a pris des modèles d’interrogatoires à faire subir aux
uns et aux autres. Quant aux renseignements qu’il fournit
sur les cérémonies rituelles qui caractérisaient le retour au
judaïsme ainsi que sur les doctrines que les Juifs professaient,
il a pu en tenir certains de la bouche d’un justiciable de
son propre tribunal2.
V. — DESCRIPTION DES MANUSCRITS
On connaît l'existence de six manuscrits du Manuel. Ils
peuvent être répartis en trois familles.
10 PREMIÈRE FAMILLE. — Deux manuscrits, conservés à
la bibliothèque municipale de Toulouse et que nous dési-
gnerons par les lettres À et B, constituent une première
famille :
A = Toulouse, bibliothèque municipale 387 (ancien I, 121).
Parchemin (0"315X0230). Écrit sur deux colonnes. 191 feuillets.
Première moitié du xiv° siècle. Reliure : parchemin. — Ce ma-
nuscrit a appartenu aux Franciscains de Saint-Roch, car on lit
au folio 1 r° : De conventu fratrum Minorum Sancti Rochi prope
Tholosam. Sur le plat de la reliure, une main du xv* siècle a
écrit : Uxor M{athei] Marchi, custodis muri de Alamantio…
anno Domini M CCC XLIIII... juravit captos bene custodiri et
mandata servare suo posse. L'ouvrage est intitulé : Practica
tradita per fratrem Bernardum Guidonis de ordine Predicatorum
contra infectos labe heretice pravitatis. Il lui manque le titre
de la formule 36 de la deuxième partie (éd. Douais, p. 61).
Chaque partie est précédée d’une table des matières. Les feuil-
lets 161 v° à 163 v° sont blancs; après quoi commence le supplé-
1. C’est le manuscrit 2015, ancien 1346, dont Ch. Molinier (Ar-
chives des missions scientifiques et littéraires, t. XIV, 3° série,
1888, p. 184) place la composition entre 1282 et 1205.
2. Limborch, Historia Inquisitionts, p. 230.
XXVI LES MANUSCRITS
ment signalé plus haut. Les différentes pièces du supplément ne
sont pas précédées d’un titre comme celles de l'ouvrage. Il n’y a
pas d’explicit.
B — Toulouse, bibliothèque municipale 388. Parchemin (0262 X
0200). Écrit sur deux colonnes. 191 feuillets. Deuxième moitié
du xiv* siècle. Reliure : parchemin. — Ce manuscrit a appartenu
à l'hôtel de l’Inquisition de Toulouse et a été copié en 1473 par
les Dominicains du couvent de Bordeaux, ainsi qu’en témoigne
une longue note insérée au folio 106 v°!. L’appendice fait immé-
diatement suite à la cinquième partie; il est suivi d’un explicit
indiquant que le manuscrit fut exécuté après la mort de Bernard
Gui: Explicit tractatus de practica officii inquisitionis compositus
et compilatus per venerabilem et religiosum virum bone memorie
fratrem Bernardum Guidonis auctoritate apostolica in regno
Francie, maxime in partibus Tholosanis, inquisitorem heretice
pravitatis deputatum, qui postmodum fuit factus episcopus Lodo-
vensis, cujus anima requiescat in pace. Amen. Des mains du
xv° siècle ont ajouté des annotations après la première et la troi-
sième partie de l’ouvrage, ainsi qu'après l’explicit. Aux fo-
lios 105 v°-106 r° l’une d'elles a inséré le texte de la constitution
Multorum querela de Clément V2. L'ouvrage est démuni detitre.
Il débute par les mots : T'ractatus presens de practica officii in-
AHISPHONES (éd. Douais, p. 1).
4
Les deux manuscrits de Toulouse APPACUERREN à une
même famille, car ils présentent les mêmes variantes et les
mêmes lacunes. Toutefois ils ne paraissent pas dépendre
l’un de l’autre, car B a certaines particularités qui n’existent
pas dans Aÿ. |
20 DEUXIÈME FAMILLE. — Une deuxième famille est carac-
térisée par des leçons meilleures et l’absence des lacunes qui
déparent la première. Les manuscrits qui la composent ne
contiennent pas l’appendice imprimé par Mgr Douais aux
pages 304-355 de son édition. Les variantes diffèrent de celles
1. Cf. le tome VII du Catalogue général des manuscrits des
bibliothèques (Paris, 1885, in-4°), p. 234-235.
2. Corpus juris canonici, Cle.nentinae, lib. V, tit. III, cap. 1.
3. Cf. l'édition Douais, p. 5, 64, 69 et 233.
LES MANUSCRITS XXVII
des manuscrits de la première famille. N’ayant pas obtenu
communication du manuscrit Egerton 1897, il m’est impos-
sible de préciser dans le détail quelles similitudes et quelles
différences il présente avec le manuscrit Vatican 4032. La
description qu’en a donnée feu Charles Molinier' m’a seu-
lement permis de penser que les deux manuscrits étaient
apparentés.
C = bibliothèque Vaticane, Vaticanus 4032. Parchemin (0"250 X
0175). Ecrit sur deux colonnes. 245 feuillets. Première moitié du
xiv* siècle. Reliure moderne. — Ce manuscrit a appartenu à
Pierre de la Jugie, archevêque de Narbonne du 10 janvier 1345
au 27 août 1375, qui y a écrit de sa main au folio 245 v° : Et est
iste liber Petri Judic[is], sancte prime sedis Narbonensis archie-
piscopi et primat[is]. P[etrus] Narbonen[sis]. Un de ses proprié-
taires a été évêque de Lisbonne. Au folio 224 r° subsistent
quelques dépenses de cuisine datées de la seizième année du
pontificat de Clément VII (Robert de Genève). Au folio 1 r°
l'ouvrage débute ainsi : Incipit tractatus de practica officii here-
tice pravitatis.
D = Londres, Musée britannique, Egerton 1897. Parchemin
(02265 X0"177). 182 feuillets. xiv° siècle. Reliure moderne. — Ce
manuscrit est d’origine française. Il lui manque une formule de la
deuxième partie intitulée : Forma littere pro clerico jurato recepto
ad fidelitatem et officium inquisitionis, qui n’est pas également
dans Æ et dont le titre seul fait défaut dans À. Les feuillets 170 r°
à 180 r° contiennent deux bulles de Clément IV et deux de Nico-
las IV. Au folio 180 r°, une autre main a transcrit le texte de la
constitution Multorum querela de Clément V. Il n’y a pas d’ex-
plicit.
30 TROISIÈME FAMILLE. — Les manuscrits de la troisième
famille ressemblent au manuscrit C. Ils n’ont de l’appendice
imprimé par Mgr Douais (p. 304-355 de son édition) que les
actes relatifs aux Pseudo-Apôtres, mais ces actes forment
chez eux un recueil distinct et indépendant de la Practica.
1. Archives des missions scientifiques et littéraires, 3° série,
t. XIV (1888), p. 293, n. 4.
XXVIII LES MANUSCRITS
E et F' sont apparentés. Le début de la seconde partie est
ordonné de la même façon. Cependant ils n’ont ni les
mêmes additions, ni les mêmes omissions. Ces dernières,
dans Æ, paraissent dues au scribe, qui n’a voulu faire que
des extraits et qui a supprimé intentionnellement les tables
des matières et les éléments de datation existant dans l’ou-
vrage original.
E = Paris, Bibliothèque nationale, manuscrits Doat XXIX et
XXX. Papier (0"415X0"271). 318 et 305 feuillets. xvrr° siècle. Re-
liure : veau. — Manuscrit XXIX, folio 1 : « Formules des lettres,
sentences et autres actes de l’Inquisition contre les hérétiques
albigeoïis et les Juifs, avec quelques formules desdits Juifs en leur
particulier. Extraites d’un livre de l’Inquisition de la cité de
Carcassonne. Doat. » Le manuscrit commence immédiatement
par la première formule de la première partie; puis suivent les
passages Secundum varietatem.… atque causis (voir l’éd. Douais,
p- 5), les formules 5, 2, 3, 4 et 6. Dans la seconde partie sont
omis le préambule Sequitur secunda pars, les formules 1, 4; mais
on y trouve par contre (folio 127 r°) une formule intitulée : For-
ma repellendi aliquem ab officio publico. La troisième partie com-
mence par les mots : Hec sunt que in generali sermone inquisi-
torum (éd. Douais, p. 84). La formule 11 manque. Entre la 35° et
et la 36°, fragments d’une formule. Le manuscrit se termine aux
mots : depositiones testium conscribantur (éd. Douais, p. 188).
Le manuscrit XXX contient la fin de la première partie. Au
folio 91 r° commence une « supplication faite à Sa Sainteté par
les inquisiteurs de Carcassonne et de Tholose ». Incipit : Grava-
mina contenta in decretali Multorum querela. Supplicant Sancti-
tati vestræ devoti et humiles filit inquisitores Tholosani et Car-
cassonenses. Desinit (folio 132 v°) : Satisfactionem exhibuerint
competentem debitam exerceant ultionem. Des extraits de ces do-
léances ont été publiés par Doms de Vic et Vaissette dans l’His-
toire de Languedoc (nouvelle édition, tome IX, Toulouse, 1885,
in-4°, p. 334-337). Puis (folio 134 v° à 185 r°) tous les actes con-
cernant les Pseudo-Apôtres et contenus dans l'édition Douais
pages 327-355; toutefois l’explicit de cette dernière manque. Le
manuscrit se termine (folio 187 r° à 305 r°) par la cinquième par-
tie, aux mots : qui scripsi et recepi (éd. Douais, p. 304). Au
folio 305 r° on lit : « Extrait et collationné d’un livre des formules
LA PRÉSENTE ÉDITION XXIX
de l’Inquisition, couvert de carton et d’une basanne, escrit en
parchemin depuis la page marquée du nombre 1 à 163, trouvé
dans les archives de l’Inquisition de Carcassonne par l’ordre
et en la personne de messire Jean de Doat... Signé fut à Alby le
17° octobre 1669. »
F = Dôle-du-Jura, bibliothèque municipale 109. Papier
(o"210X 0147). Onze feuillets manquent au début. 470 pages.
xv* siècle. Feuilles de garde en parchemin. Reliure moderne en
papier. — Ce manuscrit, que Mgr Douais a décrit dans son livre
sur L’Inquisition (Paris, 1906, in-8°, p. 355-356), est un recueil de
pièces intéressant la procédure inquisitoriale et les hérésies. A
la page 107 commence le mémoire sur la secte des Apostoliques
imprimé par Mgr Douais dans l’appendice à son édition de la
Practica (p. 327-353). Le texte se termine avec la lettre de l’ar-
chevêque de Compostelle qui n’a pour toute date que celle-ci :
Datum Compostelle pridie nonas martii (p. 131). Les actes rela-
tifs aux Apostoliques forment un tout indépendant de la Prac-
tica. Ils sont suivis immédiatement de deux lettres de saint Do-
minique et d’autres documents. La Practica ne commence qu’à
la page 146. Elle est dépourvue de préface. Le texte débute ainsi :
Prima pars tractatus. Forma communis citationis; après quoi,
suivent les passages Secundum varietatem.… atque causis (voir
l’éd. Douais, p. 5), la 5° formule, la 2°, la 3°, la 4° et la 6°. La
formule 24 manque. Dans la seconde partie est omise la for-
mule 1. La 36° est intitulée : Forma littere testimonialibus (sic)
pro notariis juratis officii Inquisitionis; la teneur diffère de celle
imprimée par Mgr Douais (p. 61). Les troisième et quatrième
parties n'’offrent rien d’anormal. La cinquième se termine aux
mots : qui scripsi et recepi (éd. Douais, p. 304); après quoi se
lit : Explicit Practica Inquisitionis scripta per me Weselum de
Anholt anno Domini M°CCCC°LV®° veneris post Katherine vir-
ginis et martiris [28 novembre] (p. 460). A la page 470 une main
postérieure a transcrit diverses indications qui permettent de croire
que le manuscrit appartint aux Prêcheurs de Saint-Claude (Jura).
VI. — LA PRÉSENTE ÉDITION
Vu le caractère et la longueur des quatre premières par-
ties du Manuel, il ne pouvait être question d'éditer ici de nou-
veau intégralement l’ouvrage : des formulaires et un traité
XXX L'HÉRÉSIE ET LES HÉRÉTIQUES
d’allure strictement scolastique auraient rebuté le lecteur,
et n’intéressent qu’un bien petit nombre de spécialistes.
La substance, au reste, en a passé dans la présente intro-
duction. Nous nous contenterons de publier!, d’après les
meilleurs manuscrits, la cinquième partie de l’ouvrage, qui
offre un puissant intérêt historique et nous renseigne à mer-
veille sur le passé religieux des populations du Languedoc,
terre promise de l’hérésie.
Nous reproduisons d’autre part, en appendice (t. II, Appen-
dice I) une sorte d’annexe à cette cinquième partie où
Bernard Gui a groupé divers renseignements curieux et
quelques actes relatifs à la secte des Pseudo-Apôtres2. Nous
y ajoutons certaines pièces de la troisième partie de l’ou-
vrage, indispensables à la compréhension de la portion dont
on lira le texte ci-après.
DEUXIÈME PARTIE
LES HÉRÉTIQUES
ET LA PROCÉDURE INQUISITORIALE
J. — LES DIVERSES CATÉGORIES D'HÉRÉTIQUES AU XIV® SIÈCLE
D'APRÈS BERNARD GUI
L’hérésie est un crime « de lèse-majesté divine » qui
consiste dans le rejet conscient d’un dogme ou dans la
1. Nous avons respecté l’orthographe usitée au xiv° siècle. Ainsi
on trouvera calumpnia pour calumnia, michi pour mihi. Les
scribes ayant constamment confondu le c et le #, j'ai suivi au
contraire les habitudes modernes.
2. Cette annexe remplit les pages 327-355 de l’édition donnée
par Mgr Douais.
LES CATHARES XXXI
ferme adhésion à une secte dont les doctrines ont été con-
damnées par l’Église comme contraires à la foi. Les
inquisiteurs assumèrent la charge de la détruire, elle et tous
ceux qui s’en rendaient coupables ou qui la favorisaient{.
Dominicains et Franciscains déployérent un tel zèle que
l’hérésie touchait à son déclin à la fin du xrrre siècle et au
début du xive. Toutefois il subsistait encore dans le midi
de la France un bon nombre de Cathares et de Vaudois à
l’époque où Bernard Gui entra en charge.
1. Les CATHARES. — « Puisées dans la philosophie égyp-
tienne, dans le bouddhisme et dans le mazdéisme, rajeunies
par la gnose, teintées par l'esprit inquiet de Manès de cer-
taines pratiques chrétiennes, les doctrines cathares, a écrit
M. J. Guiraud, n’en sont pas moins, au fond, réellement
paiennes. »
« Le catharisme, ajoute-t-1l, n’est pas autre chose que le
manichéisme, transmis depuis les premiers siècles jusqu’au
xirie2 ». Si, dans l’état actuel de nos connaissances*, on ne
peut souscrire à des conclusions aussi radicales, il faut
convenir que les Cathares languedociens ou albigeois pro-
fessèrent, dès le xrre siècle, certaines théories de Manès
1. Finis autem officii inquisitionis est ut heresis destruatur, que
destrui non potest nisi heretici destruantur, qui etiam destrui non
possunt nisi destruantur receptatores, fautores et defensores eorum
(Practica, éd. Douais, p. 217).
2. Cf. l’article À lbigeois, au t. I du Dictionnaire d'histoire et de
géographie ecclésiastiques, publié sous la direction de A. Bau-
drillart et A. Vogt (Paris, 1912, in-4°), col. 1645.
: 3. Sur les origines fort obscures du catharisme, voir le Dic-
tionnaire de théologie catholique, publié sous la direction de
MM. Mangenot, Vacant et Amann, t. I (Paris, 1909. in-4°), col. 677-
687 (article Albigeois); t. II (1910), col. 1987-1999 (article Catha-
res); t. VII (1923), fol. 2025-2028 (article Inquisition); E. Broek,
Le catharisme (Hoogstraeten, 1916, in-8°).
XXXII LES CATHARES
(238-277?) relativement à l’existence d’un Dieu mauvais et
d’un Dieu bon, à la migration des âmes, à la condamnation
du mariage, à l’abstention de chair animale. Ceux qui
vivaient au début du xive siècle ajoutaient à ces théories
certaines autres qu’un apôtre de la secte, Pierre Autier,
obligé par la persécution de se réfugier en Lombardie,
avait rapportées d’outre-monts!'. Bernard Gui, qui entendit
les dépositions de lhérétique?, sut distinguer la nouvelle
doctrine de l’ancienne. Il a eu soin de nous avertir qu’il ne
nous renseignerait que sur les Cathares de son temps ou,
suivant son expression caractéristique, sur les Néo-Mani-
chéens (manichei moderni temporisi).
Il y avait deux sortes de Cathares : les « parfaits » et les
« imparfaits ». Les « parfaits » professaient intégralement
la doctrine de la secte et y conformaient leur conduite. A
eux revenait le ministère de la prédication‘. Pour être
« parfait » il fallait être adulte, en pleine santé et avoir
reçu l'initiation appelée consolamentumÿ. Cette sorte de
sacrement suppléait aux six admis par l’Église, c’est-à-dire
1. Cf. J.-M. Vidal, Les derniers ministres de l’albigéisme en
Languedoc; leur doctrine, dans Revue des questions historiques,
t. LXXIV (1906), p. 57-107.
2. Limborch, Historia Inquisitionis (citée ci-dessus, p. xt, n. 5),
p. 92-93.
3. Voir ci-après, p. 10. — Sur ces hérétiques, voir J. Guiraud,
Cartulaire de Notre-Dame de Prouille (Paris, 1907, in-4°), €. I,
p. xIxX-CCxx111 (Préface du même sur L’albigéisme au XIIT° siècle),
et surtout J.-M. Vidal, Doctrine et morale des derniers ministres
albigeois, dans Revue des Questions historiques, t. LXXXV (1909).
4. Dicuntur autem perfecti heretici illi qui fidem et vitam here-
ticorum professi sunt secundum ritum suum eamque tenent seu
servant et aliis dogmatizant [Practica, éd. Douaïis, p. 218).
5. Les rites de l'initiation sont connus dans les moindres dé-
tails; cf. J. Guiraud, Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, t. I,
P- CLVIII-CLXXXVI.
4
LES CATHARES XXXIII
au baptême, à la confirmation, à la pénitence, à l’extrême-
onction, à l’ordre et au mariage.
La réception du consolamentum obligeait le récipiendaire
au régime végétarien, à la continence absolue, à la stricte
observance des prescriptions cathares. Elle lui conférait
l’état de grâce de telle manière que, s’il venait à mourir,
son âme allait directement au paradis. À cause de leurs
privilèges mystiques on désignait aussi les « parfaits » sous les
noms de « consolés », de « bons hommes » ou de « bons
chrétiens ». On les appelait encore « hérétiques vêtus »1,
parce qu’ils portèrent à l’origine un vêtement spécial, de
couleur noire. Mais, à la suite des persécutions dont ils
furent l’objet, ils prirent l’habitude de se ceindre, sous leurs
vêtements, d’un cordon de laine ou de lin2. Bernard Gui
emploie plus volontiers l’expresssion d”’ « hérétiques »3,.
Les « imparfaits » se contentaient de croire aux doctrines
cathares; ils ne mettaient pas leur conduite en conformité
avec leurs croyances. On les connaissait sous le nom de
« croyants »4. Si un « croyant » décédait avant d’avoir reçu
le consolamentum, son âme émigrait, pensait-on, dans un
autre corps matériel, voire en celui d’un animal, jusqu’à
complète expiation de ses fautes et après avoir été « con-
solé »5. On ne recevait le consolamentum qu’à la condition
de répondre aux questions que posait le « parfait », conformé-
1. Hereticos perfectos seu vestitos (Practica, éd. Douais, p. 185).
2. J. Guiraud, Cartulaire de Notre-Dame de Prouille,t. I, p. cv.
3. Voir ci-après, p. 18.
4. Imperfecti autem heretici dicuntur illi qui fidem hereticorum
quidem habent, set vitam ipsorum quantum ad ritus et observan-
tias eorumdem non servant; et isti proprie credentes hereticorum
erroribus appellantur (Practica, éd. Douais, p. 218).
5. J.-M. Vidal, Doctrine et morale des derniers ministres albi-
geois, dans Revue des questions historiques, t. LXXXV (1909),
p. 378-380.
Manuel de l’inquisiteur. 3
XXXIV LES CATHARES
ment aux prescriptions du rituel! : en était privé le malade
qui avait perdu l’usage de ses facultés intellectuelles ou de
la parole. Afin de parer à ce malheur, les « croyants » si-
gnaient un pacte (pactum), dit convenientia en latin et cove-
nensa en langue vulgaire, par lequel ils réclamaient par
avance le bienfait du consolamentum?.
Il n’était pas facile de découvrir les « croyants » : car ils
inventaient mille ruses pour tromper les inquisiteurs. Ber-
nard Gui a indiqué les signes auxquels on les pouvait
reconnaître avec une quasi-certitude, malgré leurs dénéga-
tions. Étaient réputés « croyants » ceux qui accomplissaient
le rite de l’adoration, dit melioramentum, à l'égard des
« parfaits », c’est-à-dire qui se prosternaient devant eux et
leur demandaient soit leur bénédiction, soit le secours de
leurs prières; ceux qui acceptaient, mangeaient ou conser-
vaient par dévotion le pain béni par eux; ceux qui assis-
taient sciemment et volontairement à l’administration du
consolamentum, y concouraient ou la conseillaient; ceux
qui signaient le pacte appelé covenensa ; ceux qui prenaient
part au servitium$ ou apparelhamentum, sorte de confession
publique s’accomplissant chaque mois en présence d’un
« parfait » et consistant en une accusation des fautes com-
mises, mais en termes généraux et impersonnelsi; ceux qui
fréquentaient assidûment et volontiers les prédications des
« parfaits »; ceux qui confessaient que les « parfaits » étaient
de « bons hommes », tenant « la bonne foi » et appartenant
1. Le rituel cathare a été publié par M. L. Clédat, Le Nouveau
Testament traduit au XIII siècle en langue provençale, suivi
d'un rituel cathare (Paris, 1887, in-8°), p. 1x-xxvi.
2. J. Guiraud, Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, t. I,
P. CXIV-CXV.
3. Sur le servitium, voir J. Guiraud, Cartulaire de Notre-Dame
de Prouille. t. I, p. cxcui-cxcvinr.
4. Practica, éd. Douais, p. 222.
LES CATHARES XXXV
à « la bonne secte religieuse » dans laquelle on obtenait le
salut!.
Il existait des signes probables, et non plus certains,
grâce auxquels on dépistait les « croyants ». A la vérité,
chacun d’eux pris séparément n’entraînait pas la conviction,
mais la réunion de plusieurs constituait parfois une preuve
très forte. Voici quels ils étaient d’après Bernard Gui :
ne pas déceler les crimes d’hérésie; ne pas obéir à une
réquisition d’un inquisiteur; communiquer sciemment avec
des hérétiques ; les louer ou les recommander; se faire leur
avocat; les soustraire à ceux qui les avaient arrêtés ou à
leurs geôliers; empêcher leur capture; ne pas les expulser
d’un territoire après admonestation; entraver l’action des
tribunaux d’inquisition; tenir chez soi un hérétique au
moment précis de son arrestation; braver les citations et
les monitoires légaux$. Au fond, comme le remarquait
Bernard ‘Guii, un « croyant » agissait tout comme le
personnage dit « fauteur » d’hérésie, c’est-à-dire qui la
favorisait. La seule différence qui existait entre eux résidait
dans le fait que l’un adhérait à l’hérésie, et l’autre pas. En
tout cas, l’'énumération des exemples cités plus haut montre
avec évidence combien étendue était la compétence des
tribunaux d’inquisition.
« Parfaits » et « croyants » n'étaient pas traités de même
façon. Dès que les premiers avaient été arrêtés et mis en pri-
son, les inquisiteurs les exhortaient à se convertir et les sou-
mettaient à des interrogatoires en présence d’au moins deux
1. Practica, éd. Douais, p. 223.
2. Practica, éd. Douais, p. 222.
3. Practica, éd. Douais, p. 227-230.
4. Culpe autem probabiles contra tales sunt ille ex quibus ali-
qui judicantur favere hereticis, de quibus dicetur infra, cum age-
tur de fautoribus eorumdem (Practica, éd. Douais, p. 225).
XXXVI LES CATHARES
témoins. Un notaire consignait par écrit leurs aveux, afin
de faire connaître la secte à laquelle les prévenus apparte-
naient!. S'ils refusaient de confesser leurs erreurs et de
dénoncer leurs complices on leur appliquait la torture, c’est-
à-dire le chevalet, l’estrapade, les charbons ardents ou les
brodequins. Toutefois, les inquisiteurs n’en usaient généra-
lement qu’après avoir soumis les inculpés au régime de la
prison « étroite » qui comportait des jeûnes, la privation de
sommeil et le séjour dans de basses fosses2. Les « parfaits »
persistaient-ils dans leurs erreurs, ils étaient « abandonnés
au bras séculier » qui les condamnait au bûcher3. Se con-
1. C’est à l’aide des aveux des hérétiques que Bernard Gui a
rédigé certains articles de sa Practica. Comparez, par exemple,
le paragraphe 1 du premier chapitre avec le résumé des déposi-
tions du Cathare Pierre Autier (Limborch, Historia Inquisitionis,
p. 92).
2. J.-M. Vidal, Le tribunal d’inquisition de Pamiers (Toulouse,
1906, in-8°), p. 181-183.
3. Circa hereticos pertinaces talis ordo servandus est quod
ubique et ab omnibus et omni tempore capiendi sunt et ad potes-
tatem Ecclesie reducendi ut sint sub manu inquisitorum heretice
pravitatis aut dyÿocesanorum, et in tali custodia recludantur quod
non possint alios corrumpere ; et ibidem instruendi sunt et exhor-
tandi sepius et monendi ut convertantur ab errore suo et redeant
ad Ecclesie unitatem; et coram discretis et litteratis viris ac fidei
zelatoribus examinentur per inquisitores: et eorum errores et he-
reses quas tenent et defendunt conscribantur, ut secta talium dete-
gatur.… Possunt etiam tales heretici per questionum tormenta
citra membri diminutionem et mortis periculum, tanquam vere
latrones et homicide animarum et fures sacramentorum Dei et
fidei christiane, et errores suos expresse fateri et accusare alios
hereticos quos sciunt et bona eorum, et credentes, receptatores et
defensores eorum, sicut coguntur fures et latrones rerum tempo-
ralium accusare suos complices et fateri maleficia que fecerunt….
Tandem vero, ubi pertinaciter et obstinate in sua perfidia perse-
verant dampnati et per sententiam heretici judicati, presentibus
secularibus potestatibus, relinquendi sunt brachio et judicio se-
culari, animadversione debita puniendi (Practica, éd. Douais,
p. 218-219).
LES CATHARES XXXVII
vertissaient-ils, ils abjuraient et prêtaient serment de dire la
vérité pleine et entière. Après avoir reçu leurs aveux, les juges
les relevaient de l’excommunication qu’ils avaient encourue
et leur imposaient des peines! qui variaient suivant les cas et
leur arbitraire. Si la conversion avait été spontanée, les
aveux sincères, la dénonciation des complices fidèle, on
les traitait avec miséricorde et on leur fournissait des moyens
de subsistance. Si elle avait eu lieu après la prise de corps,
mais avant l’interrogatoire public et le prononcé de la
sentence, on agissait de même, non sans leur infliger de
plus fortes pénitences. Survenait-elle après la promulga-
tion de la sentence, on pouvait croire qu’elle n’était pas
sincère et que la crainte de la mort l’avait provoquée :
dans ce cas, la condamnation au « mur »2 — c’est ainsi
qu’on désignait la prison — s’ensuivait3.
1. Voir l’énumération de ces peines ci-après, p. LII-LxII.
2. Il y avait trois sortes de « murs » : le « mur large », le
« mur étroit », le « mur le plus étroit ». Le « mur large » impliquait
un régime relativement bénin qui variait suivant les lieux. Il
excluait les fers et la reclusion dans de basses fosses, pénalités
réservées aux condamnés des deux autres catégories. Il est diff-
cile de préciser ce en quoi le « mur étroit » se différenciait du
« mur le plus étroit ». Celui-ci comportait sans doute des cachots
plus insalubres et des tourments plus raffinés (Tanon, Histoire
des tribunaux de l'Inquisition, p. 479-490).
3. Circa redeuntes itaque hereticos perfectos talis ordo genera-
liter est servandus, ut primo abjurent omnem heresim in judicio,
modo et forma in abjuratione hujusmodi debitis et consuetis;
deinde jurent plenam et meram tam de se quam de aliis personis
vivis et defunctis super facto heresis dicere veritatem, eorumque
confessiones diligenter recipiantur et conscribantur in actis pu-
blicis, et sic demum secundum formam Ecclesie absolvantur a sen-
tentia excommunicationis contra tales a canone generaliter pro-
mulgata; deinde penitentia talibus conversis ab heresi injungenda
pro qualitate conversionis et meriti ipsorum et promotione fidei
et officti inquisitionis poterit ab inquisitoribus moderari. Si enim
sponte redeunt per se ipsos et veraciter confitentur fideliterque
detegunt suos complices, cum per conversionem talium negocium
XXXVIII LES CATHARES
Après avoir abjuré leurs erreurs, les « parfaits » retom-
baient parfois soit dans les mêmes, soit dans celles d’une
autre espèce ou d’une autre secte. Ils pouvaient encore,
après avoir accompli l’abjuration ou s'être purgés! de
l'accusation du crime d’hérésie, vivre dans la société d’autres
« parfaits », les accompagner, leur donner des cadeaux ou
leur en envoyer, les assister de quelque manière et sans
motifs valables. Les faits dûment constatés, les inquisiteurs
les déclaraient relaps en présence du pouvoir séculier et
les abandonnaïient sans autre forme de procès à celui-ci.
Cela équivalait à une sentence de mort2.
Certains convertis récidivaient de façon moins grave. Ils
fidei et officium inquisitionis multipliciter illuminentur et promo-
veantur, sicut sepius est comperitum, consueverunt tales conversi
recipi ab inquisitoribus cum magna gratia et favore et procurari
eisdem necessaria unde vivere decenter valeant a principibus et
prelatis. Si autem redeunt post captionem, ante tamen publicam
examinationem et sententie prolationem, idem servandum erit si-
cut in precedentibus est pretactum, ita tamen quod talium conver-
sio evidentibus indiciis vera et non ficta comprobetur et penitentia
talibus injungenda major imponi poterit et debebit. Si vero post
sententie prolationem redeunt, tales presumuntur redire metu
mortis et ideo eorum conversio aut suspecta aut minus favorabili-
ter est habenda. Sunt tamen tales in hoc casu nichilominus reci-
piendi ab Ecclesia ad penitentiam prima vice et in perpetuum
carcerem detrudendi (Practica, éd. Douais, p. 219).
1. Les gens dénoncés comme hérétiques avaient la ressource de
prouver leur innocence par la prestation d’un serment dont des
Co-jureurs se portaient garants. Ce mode de défense s'appelait la
« purgation canonique » (Tanon, Histoire des tribunaux de l'In-
quisition, p. 271-276). |
2. Circa relabentes... proprie in pristinum crimen heresis, aut
post abjuratam heresim in judicio, aut post purgationem factam
favendo hereticis inexcusabiliter quoquo modo, talis ordo servan-
dus est quod, postquam legitime constiterit de predictis, tandem
presente potestate seculari judicandi sunt relapsi in heresim et
tanquam tales absque ulla penitus audientia relinquendi sunt
brachio et judicio seculari (Practica, éd. Douais, p. 220).
LES CATHARES XXXIX
ne tenaient pas les serments qu’ils avaient prêtés de dire
l'entière vérité, n’exécutaient pas les peines auxquelles on
les avait condamnés {en particulier l’emprisonnement),
n’accomplissaient pas ou transgressaient les obligations qui
leur avaient été imposées. Bernard Gui se refusa à les consi-
dérer comme de véritables relaps. S’ils donnaient des
marques de repentir, il leur infligeait des peines qui
variaient selon la qualité du délit et la personne des délin-
quants, telles que la prison, des amendes, le port de croix
doubles.
Le sort des « croyants » convertis était moins dur que
celui des « parfaits ». On les astreignait à des pénitences
dont Bernard Gui ne précise pas le genre. Si on les estimait
capables de s’enfuir, de corrompre ou de suborner d’autres
complices, on les détenait en prison non à titre de peine,
mais comme mesure de précaution, jusqu’au jour de la
promulgation solennelle de la sentence qui les concernait.
Assez souvent on les relâchait sous une caution dont le
montant ne dépassait pas habituellement cent livres tour-
nois. Des fidéjusseurs, dont le nombre variait de un à six?,
se portaient garants qu’ils comparaîtraient à toute réquisi-
tion des juges d’inquisition.
Certains « croyants », dûment convaincus d’erreurs par
des preuves testimoniales ou autrement, ne craignaient pas
de nier avec opiniâtreté leur adhésion aux croyances hété-
rodoxes et se prétendaient convertis. Leur défaut d’aveux
autorisait le juge à les tenir pour hérétiques et les exposait
aux châtiments réservés à ceux-ci.
2. Les Vaupois. — En dépit des hypothèses émises au sujet
1. Practica, éd. Douais, p. 220-222.
2. Tanon, Histoire des tribunaux de l'Inquisition, p. 343.
3. Practica, éd. Douais, p. 225-226.
XL LES VAUDOIS
de l’origine des Vaudois — MM. Ch. Schmidt! et E. Comba2
en ont démontré la fragilité péremptoirement — il faut ad-
mettre, conformément aux dires des chroniqueurs et à l’opi-
nion exprimée par l’insiquisiteur Monetañ, que le Lyonnais
Pierre Valdo fut le père de la secte. Vers 1170 ou en 1173
d’après la chronique de l’Anonyme de Laonÿ, Pierre Valdo
prêcha, à Lyon, le retour à la pauvreté évangélique avec
succès. Hommes et femmes vinrent écouter sa parole, se
déclarèrent ses disciples et, à l’exemple de leur maître, en-
treprirent de convertir la population lyonnaise à leurs idées.
L’archevêque Guichard (1165-1180) leur interdit la prédica-
tion et les excommunia. Au concile de Latran (1179) les Vau-
dois comparurent. Le pape Alexandre III les reçut avec
bonté et leur permit de prècher, mais après avoir obtenu
Pautorisation des ordinairesé. Rentrés à Lyon, les Vaudois
enfreignirent les ordres pontificaux. Ce que voyant, l’arche-
vêque Jean aux Blanches-Mains (1181-1103) les expulsa de la
ville. Le 4 novembre 1184, le concile de Vérone? les ex-
1. Ch. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares
(Paris, 1848, in-8°), t. II, p. 287-203.
2. E. Comba, Histoire des Vaudois (Paris, 1901, in-8°), p. 12-23.
3. Cf. son traité intitulé À dversus Catharos et Valdenses, Rome,
1743, lib. V, chap. 1, ? 4, p. 402.
4. Cf. J. Marx, L'Inquisition en Dauphiné (Paris, 1914, in-8°;
fasc. 206 de la « Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences
philologiques et historiques »), p. 2-4.
5. Currente adhuc eodem anno scilicet M CC LXXIII, lit-on
dans le Chronicon universale anony mi Laudunensis, éd. A. Car-
tellieri (Leipzig et Paris, 1909, in-8°), p. 20.
6. Moneta, Adyersus Catharos et Valdenses, p. 402; Chronicon
universale anonymi Laudunensis, éd. Cartellieri, p 26; Gautier
Map, De nugis curialium, éd. Wright (Londres, 1850, in-8°),
p. 64-66.
7. Mansi, Sacrosanctorum conciliorum nova et amplissima col-
lectio (Florence et Venise, 1759, in-fol.), t. XXII, col. 477.
LES VAUDOIS XLI
communiait et, en 1215, le quatrième concile de Latran!
renouvelait la sentence.
Les condamnations de l’Église n’entravèrent pas les progrès
de la secte. Repoussés du Lyonnais, les Vaudois essaimèrent
en Dauphiné, en Franche-Comté, en Bourgogne, en Lor-
raine, puis dans le reste de l’Empire et en Italie. Ils péné-
trèrent également dans le Languedoc. Mais l’Inquisition et
surtout Bernard Gui exercèrent des poursuites si actives
contre eux qu'ils émigrèrent dans les Alpes dauphinoises et
l'Italie du Nord3. Ainsi eurent-ils le même sort que les Ca-
thares, aux côtés desquels ils vécurent longtemps dans le
midi de la France. Plus heureux qu'eux cependant, ils se
sont perpétués jusqu’à nos jours hors de chez nous.
Vaudois et Cathares ne professaient pas les mêmes doc-
trines. Les contemporains, voire les inquisiteurs, les confon-
dirent quelquefois. Bernard Gui les a fait entrer dans les
mêmes cadres. [Il sépare les Vaudois, à l’instar des Cathares,
en deux groupes : les « parfaits », les « croyants ». Quoi
qu’il en soit de sa classification, qui apparaît plutôt d’ordre
logique, il a caractérisé de façon spéciale les « parfaits » Vau-
dois. L'expérience lui a prouvé que la conversion des Ca-
thares était beaucoup plus sincère; car, dit-il, « pour leur foi,
mieux leur perfidie, ils préfèrent mourir que se convertir ».
Au contraire, les Vaudois feignaient de renier leurs erreurs
afin d'échapper aux mains des inquisiteursi. Bernard Gui
s’est, d’ailleurs, chargé de nous fournir la preuve de leur
1. Corpus juris canonici, Decretales Gregorii IX, lib. V,tit. VII,
cap. x, Excommunicamus.
2. C’est ainsi que les faits semblent s’être passés (E. Comba,
Histoire des Vaudois, p. 28-51).
3. Cf. l'introduction du livre de J. Marx, L’Inquisition en Dau-
phiné, cité plus haut, p. Lx.
4. Practica, éd. Douais, p. 220.
XLII PSEUDO-APÔTRES ET BÉGUINS
astuce. Les interrogatoires qu’il a empruntés à David d’Augs-
bourg montrent quelle devait être la sagacité des juges pour
les dépister!.
Quant aux « croyants » Vaudois, ils se reconnaissaient
particulièrement à divers actes : à la confession de leurs
fautes faite à des « parfaits » non ordonnés prêtres par un
évêque catholique; à la participation aux prières de la secte;
à l’assistance à la cérémonie de la Cène.
3. Les PsEuDO-APÔTRES. — Sur la secte des Pseudo-Apôtres
la Practica nous a livré les renseignements les plus circons-
tanciés; il suffira de noter qu’elle n’eut d’adeptes ni en
Languedoc ni en France. Le livre des sentences de l’inqui-
sition de Toulouse ne cite qu’un « apostolique », originaire
de Galice, du nom de Pierre, qui s’était réfugié accidentel-
lement dans le Toulousain$.
4. Les BéGuins. — A l’exemple des Vaudois et des Pseu-
do-Apôtres, les Béguins prèchaient le mépris de l’autorité
de l’Église et le retour à la pauvreté évangélique, mais ils
avaient des doctrines propres. La pauvreté, ils la voulaient
pratiquer suivant l’idéal qu’ils supposaient avoir été celui
de saint François d’Assise. Leur maître avoué était un fran-
ciscain authentique, natif de Sérignan (Hérault), Pierre-Jean
1. Voir ci-après, p. 64.
2. Quantum ad sectam vero Valdensium seu Pauperum de Lug-
duno sunt evidentia argumenta et certa judicia quod sint cre-
dentes eorum erroribus illi qui peccata sua confitentur Valdensi-
bus et penitentiam recipiunt ab eisdem, quos tamen sciunt vel
credunt non esse presbiteros ordinatos per episcopum Romane
ecclesie; item, qui scienter orant cum eisdem Valdensibus secun-
dum modum et ritum et doctrinam ipsorum flectendo genua cum
eisdem super bancam vel quidlibet aliud inclinati; item, qui inter-
sunt cene Valdensium in qua corpus Christi se conficere mentiun-
tur (Practica, éd. Douais, p. 223).
3. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 360-363.
Sn do m0 Te nt PC CE
PSEUDO-APÔTRES ET BÉGUINS XLIII
Olieu, dont la « postille » sur l’Apocalypse reproduisait ou
développait les rêveries dangereuses du moine calabrais Joa-
chim de Flore {lequel écrivait aux environs de l’an 1200).
Les Béguins n’appartenaient pas à l’ordre même des Fran-
ciscains. C’étaient des membres du tiers ordre de Saint-Fran-
çois, hommes et femmes, laïcs, qui partageaient les illusions
des fils du fondateur connus sous le nom de Spirituels, de
Frères de la pauvre vie ou encore d’ermites célestins, par
opposition aux Conventuels qui observaient une pauvreté
mitigée !.
Quand Jean XXII eut tranché sans appel, par la bulle Quo-
rumdam exigit?{(7 octobre 1317), le conflit irritant qui divi-
sait depuis longtemps les deux branches de l’ordre des Mi-
neurs sur la forme du costume et la légitimité des provisions
alimentaires, les Spirituels refusèrent en masse d’obéir. Les
tendances nettement schismatiques à l’autorité qu’ils affi-
chèrent obligèrent le Saint-Siège à sévir. La constitution
Sancta Romana promulgua l’excommunication contre les
Frères de la pauvre vie et contre les Béguins qui avaient
embrassé leurs doctrines (30 décembre 1317). Elle ordonna,
en outre, de dissoudre les associations indépendantes que
ces pieux exaltés avaient formées en Sicile, en Italie, en
Provence et dans le midi de la France. Dès lors, Spirituels
et Béguins furent confondus dans la même réprobation : les
inquisiteurs les traquèrent sans miséricorde. Le recueil des
sentences de l’inquisition de Toulouse témoigne surabon-
damment que Bernard Gui ne fut pas le moins actif dans
1. Cf. N. Valois, Jacques Duèse, pape sous le nom de Jean XXII,
dans l’Histoire littéraire de la France, t. XXXIV (1914), p. 426-
441, et G. Mollat, Les papes d'Avignon, 4° éd. (Paris, 1924, in-12),
p. 39, 49 et 50. |
2. C. Eubel, Bullarium Franciscanum, t. V (Rome, 1808, in-fol.),
p. 128, n° 280.
3. Op. cit., p. 134,.n° 297.
XLIV LA PROCÉDURE INQUISITORIALE
l’œuvre de répression!. Voilà pourquoi son Manuel est si
riche en renseignements de premier ordre sur les Béguins.
5. Les Juirs. — Les Juifs, proprement dits, ne tombaient
pas sous la juridiction des inquisiteurs. Ne devenaient leurs
justiciables que ceux qui, convertis au christianisme, reve-
naient au judaïsme. Dans ce cas ils commettaient le crime
d’apostasie, dont les juges d’inquisition avaient le devoir de
connaître.
6. LES FAISEURS DE SORTILÈGES. — Depuis Alexandre IV2,
les devins et les sorciers ne relevaient des tribunaux d’inqui-
sition que s'ils avaient enseigné des théories hétérodoxes et
accompli des actes hérétiques; autrement on les abandon-
nait aux officiaux, c’est-à-dire aux juges des cours ecclésias-
tiques. Jean XXII changea sur ce point la procédure. Il sup-
prima toute distinction entre les cas de sortilèges et les
soumit tous à la juridiction des inquisiteurs3. Invocateurs
et adorateurs des démons, gens coupables d’avoir conclu
des pactes avec eux, envoûteurs ayant fabriqué des statuettes
de cire, les ayant baptisées ou les ayant ointes de saint
chrême soit eux-mêmes, soit par des tiers, amateurs de sorti-
lèges et de maléfices ayant profané les sacrements de l’Église,
et en particulier celui d'eucharistie, furent désormais con-
sidérés et traités comme des hérétiques.
IT. — La PROCÉDURE INQUISITORIALE D'APRÈS BERNARD GuI
1. LA CITATION. — Dès que des soupsonsi, le bruit public,
des dénonciations ou des accusations désignaient quelqu'un
1. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 208-333 et 381-394.
2. J.-M. Vidal, Bullaire de l'Inquisition française, p. xLviri-Lt.
3. J.-M. Vidal, op. cit., p. 61, n° 30 bis. Mandat commis à l’in-
quisiteur de Carcassonne le 22 août 1320.
4. Un soupçon mêmie léger suffisait (Practica, éd. Douais, p. 181).
RE SE es
ms m. M M, ce a
LA CITATION XLV
à l’attention de Bernard Gui, celui-ci le citait à comparaître
devant lui, à Toulouse, en l’hôtel de l’Inquisition, situé près
du château Narbonnaïs, et qui n’était autre que le couvent
des Frères Prêcheurst.
Le curé, auquel était ordinairement adressée la citation,
se rendait au domicile de son paroissien et la signifiait en
présence de témoins dignes de foi. Le dimanche suivant, au
cours de la grand’messe, il la renouvelait en présence du
clergé et du peuple. La citation avait lieu, en principe, trois
dimanches ou trois jours de fête consécutifs2. Les inquisi-
teurs préféraient n’en ordonner qu’une, qui était dite pour
cette raison « péremptoire »3. Quand Bernard Gui employait
la triple citation, il spécifiait le plus souvent que chacune
des citations serait tenue pour péremptoirei. L’ordre de
Pinquisiteur était revêtu du sceau du curé, en signe d’exécu-
tionÿ. Il était, en certains cas, accompagné de l’acte nota-
rié qui en constatait l’accomplissementé.
Tout prévenu qui ne comparaissait pas au terme fixé ou
ne s’y faisait pas représenter par un procureur devenait
contumace et encourait l’excommunication provisoire. Au
bout d’un an, après avoir cité à nouveau? l'intéressé, le juge
prononçait contre lui une sentence d’excommunication
définitives, interdisait aux fidèles du lieu de son domicile
1. Practica, éd. Douais, p. 3, 4, 6, 8, 9, 10, 12, 15, 22 et 25.
2. Practica, éd. Douais, p. 8.
3. Practica, éd. Douais, p. 4.
4. Practica, éd. Douais, p. 8-16.
5. Practica, éd. Douais, p. 3, 8, 13, 16, 25 et 33.
6. Practica, éd. Douais, p. 8.
7. Practica, éd. Douais, p. 8-12.
8. Comme le faisait observer Bernard Gui, on pouvait tenir
pour hérétiques ceux qui persévéraient un an dans l’excommuni-
cation, parce que le mépris qu’ils affichaient à son égard laissait
peser sur eux « une présomption véhémente » d’hérésie (Prac-
tica, éd. Douais, p. 177 et 109). En l'occurrence il suivait le sen-
XLVI LE MANDAT DE CAPTURE
tout commerce avec lui et leur enjoignait de dévoiler le nom
de la localité où il se cachait, le tout sous la menace de
peines canoniques!. A la vérité, l’inquisiteur laissait parfois
s’écouler plusieurs mois ou plusieurs années avant d’en
arriver à cette extrémité2.
2. LE MANDAT DE CAPTURE. — On n’usait de la citation qu’à
l'égard des prévenus qui pouvaient être laissés en liberté pro-
visoire. Dans le cas contraire, Bernard Gui, se prévalant de
l’autorité du pape et de celle du roi de France, requérait
les pouvoirs civils d'opérer les arrestations et de remettre
les inculpés aux mains de son messager, d’un sergent, du
geôlier de la prison inquisitoriale de Toulouse ou d’un de
ses notaires$. Il les invitait, d’autres fois, à prêter seulement
main-forte à ses agents et à transmettre les personnes arrê-
tées sous bonne garde à Toulouse. Les frais de capture,
les gages des gens qui y avaient coopéré, la nourriture et
l'entretien des suspects pendant leur séjour provisoire dans
les geôles des cours séculières restaient à la charge desdits
suspects. Les officiers royaux qui les payaient se rembour-
saient sur le produit de leurs biens qui étaient séquestrésÿ.
La réquisition adressée au pouvoir séculier était rédigée
en termes comminatoires. On avertissait les contrevenants
qu’ils encourraient des peines canoniques6é. Au surplus, la
recommandation était superflue. Le roi de France n’avait-il
pas enjoint « à ses officiers, ainsi qu’à ceux des comtes, ba-
timent de Boniface VIII exprimé dans la décrétale Quum contu-
macia (Corpus juris canonici, in Sexto, lib. V, tit. II, cap. vu).
1. Practica, éd. Douais, p. 10, 12, 16, 18.
2. Practica, éd. Douais, p. 10, 13, 14 et 18.
3. Practica, éd. Douais, p. 5.
4. Practica, éd. Douais, p. 6 et 7.
5. Practica, éd. Douais, p. 7.
6. Practica, éd. Douais, p. 6, 7, 67, 68, 213 et 214.
L'INTERROGATOIRE XLVII
rons et seigneurs, aux baïles, juges, baillis et sergents dé-
pendant d’une autorité quelconque..., de prêter aide et con-
seils aux inquisiteurs dans l’exercice de leurs fonctions et
d’obéir à leurs ordres et réquisitions »!?
3. L’INTERROGATOIRE. — L’inquisiteur ou son substitut2 pro-
cédaient à l’interrogatoire des prévenus obligatoirement en
présence de deux religieux doués de discernement. Un no-
taire — à son défaut deux personnes idoines — rédigeait les
procès-verbaux des dépositions3. On ne reproduisait pas
celles-ci intégralement, on n’en conservait que la substance,
ce qui, au sens du juge, « exprimait le mieux la vérité »f.
Étant lui-même exempt de toute juridictions, l’inquisiteur
ne s’astreignait pas, sauf exceptions, à suivre les règles de
la procédure de droit commun. Il jouissait d’un pouvoir
discrétionnaire et de « privilèges spéciaux »6 qui lautori-
saient « à procéder simplement, directement (de plano), sans
clameurs d'avocats ni figure de jugement » ni présentation
du libelle introductif par lequel le demandeur exposait
d’ordinaire l’objet de sa demande. Il passait outre à tout
privilège d’exemption, aux procédés dilatoires, à l’appel et à
l'application du trente-septième canon du quatrième con-
cile de Latran? (1215) qui interdisait de citer quelqu'un à
comparaître devant des juges siégeant à plus de deux jour-
nées de marche (dietae) de son domicile8. Quand un pré-
1, Practica, éd. Douais, p. 214.
2. Practica, éd. Douais, p. 191.
3. Practica, éd. Douais, p. 188 et 214.
4. Practica, éd. Douais, p. 243.
5. Practica, éd. Douais, p. 209 et 210.
6. Practica, éd. Douais, p. 175.
7. Corpus juris canonici, Decretales Gregorii IX, lib. I, tit. IT,
Cap. XXVIIT. |
8. Practica, éd. Douais, p. 192 et 212.
XLVIII L'INTERROGATOIRE
venu relevait à la fois d’un tribunal inquisitorial et d’un tri-
bunal épiscopal, Bernard Gui dédaignait les prescriptions
de Boniface VIIT!, rappelait l’ancienne règle d’après laquelle
chacun pouvait agir en toute liberté, séparément, et donnait,
conformément à la doctrine enseignée par Gui Foucoi, la
préférence au juge d’inquisition2. Si un inculpé d’hérésie se
soustrayait par la fuite aux poursuites engagées contre lui,
Pinquisiteur conservait sur lui sa juridiction en dehors de
son ressort3. Il ne lui était pas loisible de récuser son juge
qui possédait le droit d’entrer en relations avec des excom-
muniés sans contracter d’excommunication et la facilité
d’être relevé par son assistant de toutes irrégularités ou ex-
communications encouruesÀ.
La culpabilité s’établissait de deux façons : soit par l’aveu
de l'intéressé, soit par la preuve testimoniale. On admettait,
contrairement au droit commun, le témoignage des « in-
fâmes », comme les parjures, des criminels ou des excom-
muniésÿ. Si les dires des témoins ne concordaient pas, le
juge se contentait de constater qu’ils s’accordaient sur la
« substance de la chose ou du fait ». On s’en remettait à sa
seule appréciation du soin de décider si les témoignages
étaient recevablesé. |
Les dépositions des témoins étaient communiquées aux
prévenus, mais leurs noms étaient tenus secrets si on redou-
tait pour eux des représailles. Les inquisiteurs du Toulou-
sain se firent une règle de ne jamais les dévoiler. Boni-
face VIIT eut beau restreindre cette pratique au cas où un
1. Corpus juris canonici, in Sexto, lib. V, tit. II, cap. xvir.
2. Practica, éd. Douais, p. 211.
3. Practica, éd. Douais, p. 192 et 212.
4. Practica, éd. Douais, p. 207 et 217.
5. Practica, éd. Douais, p. 214-215.
6. Practica, éd. Douais, p. 215.
7. Practica, éd. Douais, p. 189-191.
LA CONTRAINTE XLIX
« péril grave » existait pour les témoins et prescrire d’en prou-
ver la réalité!, Bernard Gui ne professa pas moins l’opinion
contraire?, On ne peut, d’ailleurs, citer qu’un seul cas où il
ait agi en conséquenceÿ.
4. LA CONTRAINTE. — Les inquisiteurs préféraient de beau-
coup l’aveu à la preuve testimoniale. La difficulté consistait
à l’obtenir. On disposait pour cela de moyens de contrainte
variés. Bernard Gui expérimenta un procédé qui ne produi-
sit pas toujours de bons résultats : c'était de consigner à sa
porte les prévenusi. Il préconisa plutôt la détention qui,
savamment prolongée, « donnait l’intelligence » aux prison-
niersS et les inclinait à se convertir et à découvrir leurs
frères en hérésief.
Le régime pénitentiaire comprenait plusieurs degrés. Il
impliquait tantôt des jeûnes7, tantôt les entraves aux pieds
et les chaînes aux mains8, tantôt d’autres tourments plus
cruels.
Le détenu se montrait-il récalcitrant, on le soumettait à
la torture. L’ordre était donné d’éviter la mutilation et le
danger de mort!°, Mais cette réserve n’avait que le caractère
d'une clause de style propre à éviter à l’inquisiteur tout re-
proche d’irrégularité canonique.
1. Corpus juris canonici, in Sexto, lib. V, tit. II, cap. xx, 8 Ju-
bemus et Cessante.
2. Dicta testium publicentur, tacitis nominibus eorum (Practica,
éd. Douais, p. 229).
3. Practica, éd. Douais, p. 130.
4. Practica, éd. Douais, p. 302.
5. Practica, éd. Douais, p. 302.
6. Practica, éd. Douais, p. 107 et 218.
7. Practica, éd. Douais, p. 284.
8. Practica, éd. Douais, p. 107 et 284.
9. Districtione alia graviori (Practica, éd. Douais, p. 107).
10. Ciîtra membri diminutionem et mortis periculum (Practica,
éd. Douais, p. 284).
Manuel de l’'inquisiteur. 4
L LA CONTRAINTE
L'emploi immodéré de la torture dans l’Albigeois provo-
qua l’intervention du Saint-Siège, au début du xive siècle :
Clément V décréta dans les constitutions Multorum querela
et Nolentes! que désormais la mise à la question, la pro-
mulgation des sentences définitives, la surveillance des pri-
sons appartiendraient conjointement aux évêques et aux in-
quisiteurs; que les uns n’agiraient pas sans les autres, du
moins passé le délai de huit jours après qu’ils se seraient
requis mutuellement de prêter leur concours; enfin que, si
l'un d’eux ne désirait pas ou ne pouvait répondre à l’invita-
tion de l’autre, il aurait le loisir soit de se faire suppléer
par un tiers, soit d'envoyer par écrit son avis et son consen-
tement.
Bernard Gui considérait les prescriptions de Clément V
comme désastreuses. À plusieurs reprises il exprima le vœu
qu’elles fussent ou amendées ou refondues totalement?; il
protesta même avec son collègue de Carcassonne dans un
mémoire en partie inédits. Le Saint-Siège resta sourd à ses
réclamations. Bien plus, Jean XXII aggrava la situation, en
obligeant les juges d’inquisition à communiquer les dossiers
d'enquêtes aux ordinairesi. Bernard Gui revint peut-être
sur ses premières impressions, car on le voit en 1319 étendre
la constitution Multorum querela jusqu’aux rémissions de
peines$. Au reste, les évêques se montrèrent bons princes;
car ils lui déléguèrent leurs pouvoirs6. N’était-ce pas là, de
part et d’autre, un subterfuge pour éluder l’importune cons-
titution et pour conserver la liberté d’action?
1. Corpus juris canonici, Clementinae, lib. V, tit. III, cap. 1 et 11.
2. Practica, éd. Douais, p. 174 et 188.
3. Voir plus haut, p. xxvui.
4. J.-M. Vidal, Bullaire de l'Inquisition française, p. xxtr1-xxiv.
5, Practica, éd. Douais, p. 30.
6. Practica, éd. Douais, p. 30, et Limborch, Historia Inquisitio-
nis, p. 209, 213-215.
LA SENTENCE LI
La preuve du crime d’hérésie administrée, 1l restait au
coupable l’alternative ou d’abjurer ses erreurs ou d’y per-
sévérer. Dans l’un et l’autre cas une sentence intervenait.
5. LA SENTENCE. — Le prononcé de la sentence avait lieu
soit solennellement au cours de ce qu’on appelait le « sermon
général »!, soit en dehors. Mais, dans les deux hypothèses,
il était précédé obligatoirement d’une délibération prise par
un conseil qui se composait de religieux, de clercs séculiers,
de prud'hommes et de juriconsultes. La coopération de l’in-
quisiteur et de !”’ « ordinaire » du coupable était pareille-
ment requise i.
Les sentences inquisitoriales étaient toujours révisables,
quant aux peines qu’elles statuaient. Seules, celles qui en-
traînaient la mort comme conséquence demeuraient irrévo-
cables, puisqu'elles impliquaient que l’accusé persistait dans
l’hérésie. Cependant, si celui-ci, amené sur le lieu de son
supplice, assurait qu’il se repentirait et renierait ses erreurs,
la cour laïque le rendait à l’inquisiteur.
Ces sortes de conversions in extremis avaient quelque
chose de suspect. Aussi le juge d’Église soumettait-il le con-
verti à un interrogatoire serré. Il exigeait de lui la dénoncia-
tion « prompte et volontaire » de tous ses complices, c’est-à-
dire sans doute une dénonciation faite hors de toute con-
trainte. L’inculpé devait être prêt « à persécuter » la secte
dont il avait fait partie « par signes, en paroles et en actes »,
avouer humblement, une à une, ses anciennes erreurs, les
détester et les abjurer ». Après quoi, il recevait pour châti-
ment la prison perpétuelle. Mais, si sa conversion paraissait
1. Le cérémonial en a été décrit longuement par Bernard Gui.
Voir notre tome II, appendice II, n° 1.
2. Corpus juris canonici, Clementinae, lib. V, tit. V, cap. 1, Mul-
torum querela, à Propter quod.
LI] LES PEINES
« vraisemblablement » feinte ou simulée, la sentence primi-
tive qui l’avait livré au bras séculier reprenait son effet.
La procédure, appliquée aux convertis in extremis, n’était
pas de droit commun, comme Bernard Gui le faisait à juste
titre observer. Le juge d’inquisition n’agissait ainsi qu’en
vertu des privilèges et de la liberté d’action dont il jouissait.
Il n’avait point d'ordinaire à regretter les mesures de clé-
mence, car les révélations des convertis lui permettaient de
découvrir de plus nombreux hérétiques. La législation ecclé-
siastique ne limitait ses pouvoirs qu’à l’égard des relaps.
Bien qu’ils se convertissent à la dernière heure, ceux-ci
n’obtenaient d’autre grâce que celle de recevoir, avant de
périr dans les flammes du bûcher, les sacrements de péni-
tence et d’eucharistie!.
6. Les PEINEs. — L’Église ne considéra point les pénalités
qu’elle infligeait comme de vraies peines. Elle leur laissa le
caractère de pénitences utiles au bien spirituel des inculpés
d’hérésies revenus à de bons sentiments. En face de l’héré-
tique qui refusait opiniâtrément de rétracter ses erreurs et
du relaps, elle se trouvait désarmée. Elle n’avait d’autre res-
source que de les abandonner au bras. séculier, en le priant
de leur épargner la mutilation et la mort2. Mais cette recom-
mandation n’avait aucun effet pratique. Elle préservait seu-
lement l’inquisiteur de l’irrégularité qu’il aurait contractée
1. Practica, éd. Douais, p. 127, 144 et 145.
2. Cum Ecclesia ultra non habeat quod faciat pro suis demeri-
tis contra ipsum, idcirco eumdem.. relinquimus brachio et judi-
cio curie secularis, eamdem affectuose rogantes, prout suadent
canonice sanctiones, quatinus citra mortem et membrorum ejus
mutilatione circa ipsum suum judicium et suam sententiam mode-
retur (Practica, éd. Douais, p. 127). — Quand lhérétique était un
clerc engagé dans les ordres, on procédait à sa dégradation avant
de le livrer au pouvoir civil. Voir le rite de la dégradation dans
notre tome II, appendice Il, n° 7.
LA PRISON LIII
en participant à une sentence capitale. Si la cour séculière
n'avait pas livré au feu l’impénitent ou le relaps, elle aurait
été passible de l’excommunication, comme favorisant l’hé-
résiel.
Quant aux Juifs tenus pour incapables d'acquérir des mé-
rites satisfactoires, le juge d’inquisition les condamnait à
une peine proprement dite, à une amende ou à la prison2.
7. LA PRISON. — Il existait un grand nombre de peines que
l’inquisiteur infligeait séparément ou qu’il combinait suivant
son bon plaisir3. La réclusion avait les préférences de Ber-
nard Gui qui, d’après le relevé fait par M. Vacandardi dans
le livre des sentences de l’inquisition de Toulouse, y con-
damna 3075 personnes, tandis que le nombre total des con-
damnations s’élève à 930. La peine, ordinairement, était
prononcée à perpétuité. Le prisonnier recevait pour toute
nourriture « le pain de douleur et l’eau de tribulation® ».
Le « mur étroit », qui comportait les fers aux mains et
les entraves aux pieds, semble avoir été le lot des hérétiques
repentants, mais coupables de parjure ou de faux témoignage,
de tentatives d’évasion, ou bien convaincus de n’avoir pas
signalé Pentrée subreptice d’argent et de vêtements, d’avoir
avoué incomplètement la vérité, d’avoir commis tel délit
contre la foi qui exigeait une aggravation de peine, c’est-à-
dire sans doute celle du « mur largeT ».
1. Practica, éd. Douais, p. 88.
2. Prefatum judeum pro predictis punivimus et eidem imposui-
mus in penam (Practica, éd. Douais, p. 50).
3. Practica, éd. Douais, p. 84.
4. Dans son volume sur l’/nquisition (Paris, 1912, in-12), p. 322.
5. Encore faut-il remarquer que dans ce chiffre ne sont com-
pris ni 139 gens relaxés ni 17 hérétiques décédés.
6. Practica, éd. Douais, p. 101, 105, 152, 154 et 159.
7. Practica, éd. Douais, p. 102 et 105.
LIV LES SIGNES D’INFAMIE
8. LES SIGNES D’INFAMIE. — À certains prisonniers on im-
posait des signes d’infamie. Un prêtre, convaincu d’avoir
baptisé une seconde fois un chrétien, portait cousus sur ses
vêtements extérieurs, à perpétuité, deux pièces de feutre
jaune, en forme de vases, l’une par devant, l’autre par der-
rière. Le baptême imprimant, d’après l’enseignement de
Église, un caractère ineffaçable et conférant l’état de grâce,
le renouvellement du rite laissait supposer que le ministre
du culte ne croyait pas à cette doctrine. Son acte passait,
par suite, pour avoir « saveur d’hérésie!{ ».
Certains ecclésiastiques administraient le baptême à des
« voults » ou figurines de cire? devant servir à l’envoûtement
ou distribuaient la communion pascale avec du pain non
consacré, selon le cérémonial usuel, et après accord avec un
tiers ; d’autres perpétraient des sortilèges et des maléfices au
moyen des espèces eucharistiques; d’autres, enfin, avec ado-
ration et invocation des démons ou avec offrande de sacri-
fices idolâtriques. Aux premiers on infligeait le port de
deux vases et de quatre figures; aux deuxièmes celui de deux
hosties de forme ronde; aux troisièmes celui de quatre fi-
guresi,
Le prisonnier, mis provisoirement en liberté, ne sortait
qu'avec des vêtements auxquels était cousu un marteau de
feutre jaune par devant, un second par derrièreÿ.
Deux langues de drap rouge, disposées de même façon,
1. Practica, éd. Douais, p. 155.
2. Le baptême avait lieu aux fonts baptismaux d’une église
paroissiale suivant les rites habituels. On imposait au « voult »
le nom de la personne que l’on désirait envoûter et on lui met-
tait la tunique blanche et le bonnet (capitale), usités pour les
nouveau-nés (Practica, éd. Douais, p. 156).
3. Tous ces actes étaient censés avoir « saveur d’hérésie ».
4. Practica, éd. Douais, p. 158, 159, 152 et 154.
5. Practica, éd. Douais, p. 54.
LES SIGNES D’INFAMIE LV
longues d’une palme et demie, larges de trois doigts, étaient
réservées aux calomniateurs et aux faux témoins. Deux jours
consécutifs depuis le lever du soleil jusqu’à none et les quatre
dimanches suivants, on les hissait sur une échelle, les mains
liées, la tête nue, vêtus d’une cotte sans ceinture, devant les
portes des églises, afin que la foule pût leur décocher ses
quolibets1i.
Les gens exempts de la détention se voyaient obligés de
porter sur leurs vêtements extérieurs, l’une placée sur la
poitrine, l’autre entre les deux omoplates, deux croix de
feutre jaune, dont les bras verticaux mesuraïent tantôt deux
palmes, tantôt deux palmes et demie, et les bras horizon-
taux tantôt une palme et demie, tantôt deux palmes2. Chaque
bras avait une largeur de trois doigts.
Ces croix étaient simples ou doubles. Ces dernières, ré-
servées plus spécialement aux parjuresi, comportaient l’ad-
dition d’un second bras transversal mesurant une palme envi-
ronÿ. Le pénitent était astreint à s’en revêtir tant au dedans
qu’au dehors de sa demeure, à les raccommoder et à les
renouveler en cas de vétustéé.
Ce n’était point sans raison que les croix des pénitences
étaient réputées infamantes (penitentie confusibiles)T, car elles
exposaient ceux qui devaient les porter à toutes sortes de
vexations, d’avanies, voire à de telles incommodités qu’elles
leur rendaient la vie impossible. On refusait d'entrer en re-
lations avec eux; leurs enfants, filles ou garçons, ne trou-
1. Practica, éd. Douais, p. 105.
2. Practica, éd. Douais, p. 37, 42, 89 et 98, et Limborch, Histo-
ria Inquisitionis, p. 13, 45 et 213.
3. Practica, éd. Douais, p. 37, 42, 89 et 9.
4. Practica, éd. Douais, p. 37, 42 et 98.
5. Tanon, Histoire des tribunaux de l’Inquisition, p. 493.
6. Practica, éd. Douais, p. 37, 42, 89 et 08.
7. Practica, éd. Douais, p. 43 et 48.
LVI LES PÈÉLERINAGES
vaient personne en mariage!. On les molestait à un tel degré
que les inquisiteurs durent menacer de peines canoniques
leurs insulteurs et leurs persécuteurs2.
9. LES PÈLERINAGES. — Les inquisiteurs de Carcassonne,
d'Albi et de Toulouse imposaient, en vertu d’une vieille cou-
tume, deux sortes de pèlerinages : les « majeurs », les
« mineurs ».
Les lieux de pèlerinages majeurs, tous situés hors de
France, étaient Saint-Jacques de Compostelle, Rome, Saint-
Thomas de Cantorbéry, les Trois-Rois de Cologne. Ceux qui
se rendaient dans la Ville Éternelle devaient habituellement
y rester une quinzaine de joursë, afin d’effectuer la visite des
tombeaux des saints et des églises à laquelle le Saint-Siège
avait attaché des indulgences nombreuses et fructueuses.
Les lieux de pèlerinages « mineurs » étaient les suivants :
Notre-Dame de Rocamadour, du Puy, de Vauvert, de Séri-
gnan, Notre-Dame-des-Tables à Montpellier, Saint-Guilhem
du Désert, Saint-Gilles en Provence, Saint-Pierre de Mont-
majour, Sainte-Marthe de Tarascon, Sainte-Marie-Magde-
leine de Saint-Maximin, Saint-Antoine de Viennois, Saint-
Martial et Saint-Léonard en Limousin, Notre-Dame de
Chartres, Saint-Denis en Parisis, Saint-Seurin de Bor-
deaux, Notre-Dame de Souillac, Sainte-Foi de Conques,
Saint-Paul de Narbonne, Saint-Vincent de Castres.
A ces pèlerinages on ajoutait toujours la visite annuelle,
à vie, de Saint-Étienne de Toulouse le 3 août et de Saint-
Sernin de Toulouse dans l’octave de Pâques, avec l’'obliga-
tion d’entendre en entier la messe et le sermon, de Saint-
1. Practica, éd. Douais, p. 50 et 53.
2. Practica, éd. Douais, p. 60 et 100.
3. Ou la durée d’un carême d’après d’autres formules (Practica,
éd. Douais, p. 37 et 94).
LES PÉLERINAGES LVII
Nazaire de Carcassonne le 28 juillet, de Sainte-Cécile d'Albi
le 22 novembre, de Saint-Antoine de Pamiers le 13 juin, de
Notre-Dame d’Auch le 8 septembre.
Les pèlerins s’engageaient par serment à se mettre en
route dans un délai d’un, de trois ou de quatre mois à par-
tir du jour de la délivrance de leurs lettres pénitentielles
qui leur servaient de sauf-conduits. A leur retour, ils pré-
sentaient à l’inquisiteur des certificats attestant qu’ils avaient
accompli les pèlerinages et visites obligatoires.
Aux pèlerinages et au port de croix étaient ordinairement
adjointes d’autres peines et obligations qui les aggravaient
notablement et dont la fustigation constituait la plus pénible.
Le dimanche ou les jours de fête, le pénitent assistait à la
grand’messe paroissiale. Entre l’épître et l’évangile, après le
prône ou le chant de l’offertoire, il se présentait devant le
célébrant, un cierge dans une main, des verges dans l’autre.
Il offrait le cierge au prêtre, puis s’inclinait avec humilité et
recevait la flagellation. Si une procession s’organisait, il se
plaçait entre le clergé et le peuple, tenant en main les verges.
A la dernière station l’officiant le fustigeait. Après avoir
subi sa correction, l’infortuné annonçait à haute voix au
peuple qu'il l’avait méritée pour avoir commis des méfaits
contre les inquisiteurs et l'office de l’Inquisition$.
Un autre document nous enseigne que, parfois, il devait se
rendre à la grand’messe en « cotte hardie », c’est-à-dire de
tissu grossier, sans chaperon ni chapeau et nu-pieds ou en
chausses et sans souliers, porteur d’une torche de cirei.
Les autres obligations qui grevaient les pénitents consis-
taient dans les suivantes : l’audition de la messe chantée et
1. Practica, éd. Douais, p. 97.
2. Practica, éd. Douais, p. 38, 41, 94 et 165.
3, Practica, éd. Douais, p. 38, 165 et 166.
4. Practica, éd. Douais, p. 165.
LVIII LES PEINES PÉCUNIAIRES
l'assistance au prône le dimanche et les jours de fêtes chô-
mées; l’abstention ces jours-là d'œuvres serviles; la récep-
tion du sacrement de pénitence à Noël, à Pâques et à la
Pentecôte, et celle de leucharistie si le confesseur le jugeait
à propos; le jeûne durant le temps de l’avent. I] fallait
encore prêter aide et assistance aux inquisiteurs dans la ré-
pression de l’hérésie, la découverte et la capture des héré-
tiques, et ne se livrer ni à des maléfices ni à des sortilèges
ni à l’usure n1 au vol.
Le premier dimanche de chaque mois, le pénitent exhi-
bait ses lettres pénitentielles à son curé ou à un clerc lettré
qui les lui traduisait en langue vulgaire et les lui expli-
quait, afin qu’il connût exactement ses obligations et n’en
omiît aucune.
10. LES PEINES PÉCUNIAIRES. — Les inquisiteurs réunissaient
d’abondantes ressources au moyen des peines pécuniaires
qu’ils prononçaient soit à titre principal, soit en compensa-
tion de peines graves qu’ils commuaient en de plus légères :
un juif, convaincu d’avoir recelé des apostats, versera une
amende de cent livres tournois; une imputation calom-
nieuse d’hérésie se paiera dix livres tournois {; tels autres
solderont deux cents ou trois cents marcs d’argent s'ils
n’accomplissent pas les obligations auxquelles ils se sont
soumisÿ; celui-là s’engagera à acquitter cent livres tournois
en retour de la faveur qui lui a été concédée de ne point
accomplir tels pèlerinagesé. Les amendes provenaient en-
1. Practica, éd. Douais, p. 38, 41 et 166.
2. Practica, éd. Douais, p. 38 et 41.
3. Practica, éd. Douais, p. 50 et 36.
4. Practica, éd. Douais, p. 44.
5. Practica, éd. Douais, p. 16r et 165.
6. Practica, éd. Douais, p. 55.
LES CONFISCATIONS DE BIENS LIX
core des héritiers d’un pénitent qui avait engagé ses biens à
Pexécution d’une peine et qui était mort avant de l’avoir pur-
gée. En cas de non-paiement au terme fixé, l'autorité civile
saisissait ou vendait les biens provenant de l'héritage.
D'autres fois, l’amende était fixée en nature : c'était le don
d’un certain nombre de calices d’argent du poids d’un marc
et demi chacun1.
Les formules reproduites par Bernard Gui indiquent quel
usage était fait du produit des amendes. Celles-ci subve-
naient aux frais qui incombaient au tribunal de l’Inquisition
en raison de la recherche et de la capture des hérétiquess.
On les employait surtout en œuvres pies, telles que la cons-
truction ou l'entretien d’églises, de ponts, de fontaines,
l’achat de vases sacrés et d’ornements sacerdotaux destinés
à des édifices cultuelsi.
11. LES CONFISCATIONS DE BIENS. — D’après une coutume im-
mémoriale observée en Carcassès, en Toulousain et en Al-
bigeois, la confiscation totale affectait les biens des hérétiques
endurcis et des relaps même pénitents, dès l’instant qu’une
sentence inquisitoriale les avait abandonnés comme tels au
bras séculier, ainsi que ceux de tout « croyant » condamné,
sa vie durant, à la prison, ou qui aurait encouru la même
peine s’il avait vécu. Avant la promulgation de la sentence,
le procureur du fisc royal hypothéquait les biens des cou-
pables et les délivrait, sous caution, aux héritiers légaux, qui
jouissaient des revenus à titre d’usufruitiers temporaires5.
Ces héritiers étaient admis à défendre la mémoire des dé-
1. Practica, éd. Douais, p. 57.
2. Practica, éd. Douais, p. 165.
3. Practica, éd. Douais, p. 36, 40 et 51.
4. Practica, éd. Douais, p. 51 et 160.
5. Practica, éd. Douais, p. 64.
LX LES CONFISCATIONS DE BIENS
funts sur lesquels pesaient des soupçons d’hérésie. S'ils
s'abstenaient de répondre à la citation! du juge, celui-ci pro-
nonçait, nonobstant leur absence, une sentence de confis-
cation, qui excluait de la succession ouverte les enfants
mêmes des morts2.
Ce n’était pas tout. La tache d’hérésie ne s’effaçant pas
avec la perte de la vie, la présence du corps d’un défunt qui
l'avait contractée de son vivant profanait le cimetière où il
gisait, d’après les décrétales3 : aussi l’inquisiteur donnait-il
l’ordre d’exhumer les ossements du mort et de les brûler.
On le voit même obliger des gens qui avaient enterré un
hérétique dans un jardin quelconque à opérer de leurs
propres mains l’exhumation : le corps devra être placé sous
séquestre jusqu’à ce qu’une sanction canonique soit interve-
nueÿ. Les restes d’un « fauteur d’hérésie » étaient simple-
ment extraits du cimetière; on leur épargnait le bûcherf.
En revanche, ceux d’un hérétique ou d’un « croyant » relevé
de l’excommunication et qui décédait avant l’achèvement
de la procédure en vertu de laquelle il aurait été condamné
au « mur », étaient laissés en paix; on confisquait seulement
son héritage7.
Le produit des confiscations passait aux mains du roi de
France, pratiquement en celles d’un fonctionnaire dit « re-
ceveur des encours ». Le roi assumait, en effet, les frais du
1. Practica, éd. Douais, p. 19-25.
2. Practica, éd. Douais, p. 120-123.
3. Corpus juris canonici, Decretales Gregorii IX, lib. III,
tit. XXVIIT, De sepulturis, cap. xn, De sacris, et lib. V, tit. VII,
De haereticis, cap. vi, Sicut.
4. Practica, éd. Douais, p. 122-126.
5. Practica, éd. Douais, p. 58.
6. Practica, éd. Douais, p. 122.
7. Practica, éd. Douais, p. 12r et 122.
LA DESTRUCTION DES MAISONS LXI
tribunal d’inquisition. Bernard Gui recevait un traitement
annuel de cent cinquante livres tournois, payable en trois
termes, à l’Ascension, à la Toussaint et en la fête de la Pu-
rification de la Vierge!. Le gardien-chef de la prison inqui-
sitoriale touchait également un salaire du fisc?. Le « rece-
veur des encours » lui versait aussi le prix de la nourriture
des incarcérés sur réquisition de l’inquisiteur3.
12. LA DESTRUCTION DES MAISONS. — Des constitutions apos-
toliques et un édit de l’empereur Frédéric II (Patharenorum,
22 février 1239), dont Bernard Gui a fourni l’interprétation#,
prescrivaient la destruction totale des maisons — y compris
leurs dépendances attenantes — dans lesquelles des « par-
faits » et « parfaites » (keretici, heretice) avaient été saisis,
s’étaient cachés, avaient prêché ou avaient administré le con-
solamentum. Dans la pratique, l’inquisiteur toulousain n’ap-
pliqua cette législation rigoureuse qu’aux habitations où
mouraient des gens qui y avaient été « consolés » à l’article
de la mort et au su du propriétaire ou qui avaient été éle-
vés au rang de « parfaits5 ». Les édifices, jetés bas, ne pou-
vaient pas être relevés de leurs ruines : le lieu de leur em-
placement devait rester à jamais inhabité, inculte, sans
clôture, réceptacle d’immondicesé. Toutefois l'inquisiteur
permettait d'employer les matériaux de démolition aux ré-
parations ou à l’édification de monuments nommément dési-
1. Practica, éd. Douais, p. 65.
2. Practica, éd. Douaïis, p. 62. — Le gardien-chef était nommé
par l’inquisiteur qui pouvait le révoquer selon son bon plaisir;
ce pouvait être un clerc (Practica, ibidem).
3. Practica, éd. Douais, p. 64 et 65.
4. Practica, éd. Douais, p. 208.
5. Practica, éd. Douais, p. 59 et 160.
6. Practica, éd. Douais, p. 160.
LXII REMISES ET COMMUTATIONS DE PEINES
gnés et servant à des œuvres pies, comme hôpitaux et cou-
vents, mais à titre exclusif et sous peine d’excommunication
contre les contrevenants!.
13. LES INCAPACITÉS. — Les « parfaits », les « croyants »,
les receleurs et les défenseurs? d’hérétiques contractaient
ipso facto des incapacités ecclésiastiques et civiles, quand
bien même ils se réconcilieraient avec l’Églises. Les laïcs se
trouvaient frappés dans leurs descendants jusqu’à la deuxième
génération en ligne paternelle et jusqu’à la première en ligne
maternellei. L’incapacité rendait ces mêmes laïcs inaptes à
exercer des offices publics, comme, par exemple, ceux de
consuls ou de bayles, et à remplir certains actes de la vie
civileS. Les clercs devenaient inhabiles à posséder des digni-
tés et des bénéfices ecclésiastiques; ils subissaient, par sur-
croît, la déposition et la dégradation. Bernard Gui étendait
ces dures peines à ceux qui avaient commis des actes ayant
« saveur d’hérésie »8 et aux fauteurs d’hérésie®,
14. REMISES ET COMMUTATIONS DE PEINES. — Au droit de
punir était lié celui de gracier, dans les cas où il y avait une
utilité évidente pour la cause de la foi et à condition que
Pinquisiteur n’agît sous l’impulsion ni de la haine ni de la
1. Practica, éd. Douais, p. 60.
2. Les receleurs et les défenseurs se confondent avec les « fau-
teurs ».
3. Practica, éd. Douais, p. 61.
4. Practica, éd. Douais, p. 196.
5. Voir le détail dans Tanon, Histoire des tribunaux de l'In-
quisition, p. 539-545.
6. Practica, éd. Douais, p. 61, 182, 195 et 196.
7. Practica, éd. Douaïis, p. 111-120, 127.
8. Practica, éd. Douais, p. 150 à 158. — Ces actes ont été énu-
mérés plus haut, p. LIv.
9. Practica, éd. Douais, p. 113.
REMISES ET COMMUTATIONS DE PEINES LXIII
faveur ni de l’amour du lucre ni d’un avantage temporel
quelconque ni contre la justice ou sa propre conscience. Les
juges d’inquisition du Toulousain et du Carcassès avaient
pour principe d’user largement du droit de grâce, dont ils
avaient très souvent éprouvé les bienfaits. Ils promettaient
la vie sauve, l’exemption de la prison, de l'exil et de la con-
fiscation des biens à toute personne qui avouait spontané-
ment ses fautes et celles des tiers dans le « temps de grâce »,
c'est-à-dire dans un délai fixé au cours d’un sermon général,
généralement d’un mois!. Ces mesures de clémence favori-
saient la découverte de faits d’hérésie qui, sans cela, seraient
demeurés cachés, et l’arrestation des « parfaits » qui ne révé-
laient leurs qualités qu'aux « croyants » et qui, pour cette
raison, échappaient le plus souvent à toutes recherches.
Cette pratique ne causait de tort ni au fisc royal ni aux sel-
gneurs, auxquels auraient échu les biens des hérétiques pé-
nitents, s’ils avaient été condamnés au « mur » : leurs
aveux, provoquant la capture d’un plus grand nombre de
coupables, augmentaient, au contraire, le montant des con-
fiscations. L’avantage perdu se trouvait donc compensé et
au delà 2.
Les aveux spontanés n’entraînaient pas l'impunité totale.
4
Ceux qui s’y résignaient étaient condamnés à porter des
croix, à accomplir des pèlerinages, à recevoir la discipline
ou à observer des obligations diverses3. Ils pouvaient, d’ail-
leurs, escompter tôt ou tard une remise ou une commuta-
tion de peines.
Les remises absolues et perpétuelles n'avaient presque
jamais lieu. On les accordait « sur les instances et à la prière
1. Practica, éd. Douais, p. 182-184.
2. Practica, éd. Douais, p. 185.
3. Practica, éd. Douais, p. 185.
LXIV REMISES ET COMMUTATIONS DE PEINES
d’un grand nombre d'hommes de qualité et de personnages
importants »!. Hormis des cas exceptionnels, les remises
ou commutations demeuraient partielles et conditionnelles.
Les sentences inquisitoriales portent toutes cette clause que
le juge retient pour soi et ses successeurs « le plein pouvoir
d'augmenter, de diminuer, de commuer, de mitiger et de
remettre la peine » dont il s’agit et même de l’imposer à
nouveau « sans une nouvelle cause ou une nouvelle faute »2.
Les inquisiteurs ont noté dans leurs actes les motifs qui
les inclinaient à la commisération. Ils allèguent la durée de
la détention ainsi que l’humilité et la patience avec les-
quelles le détenu a purgé sa peine. Un captif recouvre la
liberté, en exécution de la promesse qui lui avait été con-
sentie, au cas où il procurerait l’arrestation de « parfaits5». Tel
autre a révélé l’existence d’un complot tramé contre la vie
de l’inquisiteur6; cet autre a réveillé par ses cris les geôliers
au moment où des prisonniers tentaient de s'évader. Un
mari, dont l’absence a réduit la femme et les enfants à la
mendicité, peut sortir momentanément de prison; de même,
un père dont les filles ne parviennent pas à se mariers$.
Les instances d’honnèêtes gens, les nécessités de la famille,
la vieillesse, la maladie fournissaient aux pénitents des pré-
1. Îtem forma alia quittandi aliquem ab omnibus penis et peni-
tentiis de gratia speciali, quod nunquam vel rarissime fieri debet
(Practica, éd. Douais, p. 56).
2. Practica, éd. Douais, p. 36-41.
3. Le livre des sentences de l’inquisition de Toulouse donne
comme minimum du temps de la détention dix-neuf ans et comme
maximum trente-trois (Limborch, Historia Inquisitionis, p. 8, 40,
100, 176, 213 et 294).
4. Practica, éd. Douais, p. 35, 37, 39, 54 et 100.
5. Practica, éd. Douais, p. 48.
6. Practica, éd. Douais, p. 43 et 100.
7. Practica, éd. Douais, p. 54.
8. Practica, éd. Douais, p. 54.
REMISES ET COMMUTATIONS DE PEINES LXV
textes pour obtenir la faveur de ne plus porter des signes
d’infamie qui leur valaient tant d’avanies!.
Dans le Toulousain, le Carcassès et l’Albigeois, les inqui-
siteurs avaient toute latitude de modifier le nombre des pè-
lerinages à accomplir. Ils avaient égard à la qualité du péni-
tent et à la gravité de sa faute et omettaient, suivant cette
norme, d'imposer les pèlerinages majeurs, sauf celui de
Saint-Jacques de Compostelle. Ils entremêlaient, dans la
catégorie des pèlerinages « mineurs », ceux de France et du
Viennois, plus distants, à ceux qui étaient plus rapprochés.
Ils dispensaient également de la fustigation?. Somme toute,
là comme en autre chose, leur arbitraire était absolu.
A moins d'ordres contraires, les relaxés ne jouissaient
que d’une demi-liberté. Les marteaux de feutre jaune cou-
sus sur leurs vêtements indiquaient aux passants leur qua-
lité de prisonniers en congé. Ils devaient rentrer en prison
au moment des sermons généraux, au cours desquels se
tranchait leur destin3. De même, les pénitents délivrés du
port des croix s’engageaient par serment à les reprendre lors
de ces sermons, où la déposition avait lieu solennellement.
Toutefois, l’inquisiteur autorisait certains d’entre eux à dé-
poser les croix dans une église paroissiale, un jour de fête,
après le chant de l’évangile ou le prône.
Les remises de peines comportaient généralement des
commutations en d’autres, estimées moins dures. On échan-
geait la prison contre le port des croix, celles-ci contre des
pèlerinages qui, à leur tour, se rachetaient par des amendes
ou l'entrée en religioné. Notons cependant que quiconque
1. Practica, éd. Douais, p. 5oiet 53.
2. Practica, éd. Douais, p. 97 et 98.
3. Practica, éd. Douais, p. 54.
4. Practica, éd. Douais, p. 50, 52 et 53.
5. Practica, éd. Douais, p. 52.
6. Practica, éd. Douais, p. 37, 43, 51, 53 à 56.
Manuel de linquisiteur. 5
LXVI BIBLIOGRAPHIE
quittait l’ordre qu’il avait choisi perdait le profit de la com-
mutation et reprenait ses anciennes obligations!. D’autre
part, Bernard Gui dispensait rarement de la visite des églises
Saint-Étienne et Saint-Sernin de Toulouse; mais il com-
muait facilement les pèlerinages en œuvres pies, quand il
s'agissait d’un vieillard, d’un infirme, d’une jeune fille, de
jeunes mariés, d’une femme enceinteë,
III. — BIBLIOGRAPHIE
La bibliographie à peu près complète des ouvrages rela-
tifs à l’Inquisition a été récemment donnée par M. VAcAN-
DARD4{. Je me contenterai d’indiquer au lecteur soucieux de
s’instruire quelques ouvrages fondamentaux.
Malgré son âge, l’Histoire des tribunaux de l’Inquisition
en Franceÿ de M. L. Tanon a gardé sa valeur. Il faut tou-
tefois la compléter pour le xive siècle par deux publications
très importantes de M. J.-M. VinazS qui ont apporté sur
l’'Inquisition des renseignements nouveaux. L'Histoire de
l’Inquisition au moyen äâgeT de H.-Ch. Lea n’est plus au
1. Practica, éd. Douais, p. 47 et 48.
2. Practica, éd. Douais, p. 5r, 54 et 55.
3. Practica, éd. Douais, p. 08.
4. Article /nquisition dans le Dictionnaire de théologie catho-
lique, publié sous la direction de MM. Mangenot, Vacant et Amann,
t. VII (1923), col. 2016 à 2068.
5. Paris, 1893, in-&.
6. J.-M. Vidal, Bullaire de l'Inquisition française au XIV* siècle
et jusqu'à la fin du Grand Schisme (Paris, 1913, in-8°), et Le tri-
bunal d'inquisition de Pamiers (Toulouse, 1906, in-8°).
7. Traduction de S. Reinach (Paris, 1900-1902, 3 vol. in-8°).
BIBLIOGRAPHIE LXVII
courant de la science. M. A.-S. TuserviLe! l’a mise au
point de façon remarquable. Son travail complète aussi le
livre de M. Vacanparp intitulé : L'Inquisition. Étude histo-
rique et critique sur le pouvoir coercitif de l'Église?. Enfin
l’article déjà cité du même, dans le Dictionnaire de théolo-
gie catholique, fournit un bon résumé de ce qui a été pu-
blié sur l’Inquisition jusqu’à ce jour.
1. A. S. Tuberville, Mediæval Heresy and the Inquisition
(Londres, 1920, in-8°).
2. Paris, 1912, in-r2.
L À
RS +.
TABLEAU DES MANUSCRITS
UTILISÉS POUR LA PRÉSENTE ÉDITION
(voir ci-dessus, p. xxv-xxIX).
À = Toulouse, bibliothèque municipale, 387.
B = Toulouse, bibliothèque municipale, 388.
C = Rome, bibliothèque du Vatican, Vatic. 4032.
D = Londres, Musée britannique, Egerton 1897.
E = Paris, Bibliothèque nationale, Doat 29 et 30.
F' = Dôle, bibliothèque municipale, 100.
MANUEL DE L'INQUISITEUR
DE MODO,
ARTE ET INGENIO INQUIRENDI
ET EXAMINANDI HERETICOS
CREDENTES ET COMPLICES EORUMDEM"*
INSTRUCTIO SEU INFORMATIO GENERALIS
Quando igitur aliquis, sponte veniens per se ipsum
vel etiam citatus aut vocatus tanquam suspectus aut no-
tatus aut diffamatus vel etiam accusatus de crimine he-
resis vel de fautoria! seu receptatione hereticorum vel
de aliis quibuscumque pertinentibus ad officium inqui-
sitionis pravitatis heretice vel ipsum contingentibus
quoquo modo, audiendus et examinandus fuerit, in
primis ab inquisitore vel ejus locum tenente man-
suete ac modeste requisitus et monitus, Juret ad sancta
a. Dans les manuscrits, le titre complet est : « Sequitur quinta
et ultima pars tractatus, in qua agitur de modo, arte et ingenio
inquirendi et examinandi hereticos, credentes et complices eorum-
dem, ut singulorum fraudes et doli et astucie quibus se conte-
gunt subtilius detegantur ex propriis interrogatoriis singulorum,
tam de secta Manicheorum quam Valdensium seu Pauperum de
Lugduno quam etiam quorumdam Pseudo-Apostolorum qui falso
se Christi apostolos profitentur, cum sint potius apostoli anti-
christi, tam etiam quorumdam aliorum cujusdam secte pestifere
modernis temporibus adinvente, qui sub simulate magis quam
assimilate evangelice paupertatis perfectione Christi pauperes se
MÉTHODE,
ART ET PROCÉDÉS À EMPLOYER
POUR
LA RECHERCHE ET L'INTERROGATOIRE
DES HÉRÉTIQUES, DES CROYANTS
ET DE LEURS COMPLICES
INSTRUCTION OU INFORMATION GÉNÉRALE
Quiconque, venant en personne soit spontanément, soit
sur une citation ou un appel, à comparaître comme suspect,
noté ou diffamé, voire accusé du crime d’hérésie ou sous
limputation d’avoir favorisé! ou recélé des hérétiques, ou
bien poursuivi pour toute autre cause relevant de l'office
de l’inquisiteur d’hérésie ou s’y rattachant de manière
quelconque, devra être entendu ou interrogé, sera tenu
tout d’abord, sur requête bienveillante et après discrète
monition de l'inquisiteur ou de son substitut, de jurer sur
appellant, dicentes se esse de tertio ordine seu de tertia regula
sancti Franscisci, qui vulgo Bequini et Bequine communiter ap-
pellantur, necnon et illorum qui, a perfidia Judeorum conversi
ad fidem Christi, revertuntur ad vomitum judaysmi; in fine vero
contra pestem seu errorem pestiferum sortilegiorum, divinatio-
num et invocationum demonum et aliqua perstringentur ac
modi diversi et proprii abjurandi heresim in judicio describen-
tüur. »
1. Les fauteurs d’hérésie étaient tous ceux qui favorisaient les
hérétiques de façon quelconque.
4 INSTRUCTIO GENERALIS
Dei evangelia de facto heresis ipsumque contingentibus
aut pertinentibus ad inquisitionis officium quoquo
modo tam de se, ut de principali, quam de aliis perso-
nis vivis et defunctis!, sicut testis, plenam et meram di-
cere veritatem.
Facto autem et recepto juramento, requiratur et exor-
tetur ut dicat per se ipsum? quicquid scit aut scivit vel
audivit de facto heresis veritatem. Si autem ipse requi-
sierit tempus seu spatium deliberandi ut magis consulte
respondeat, poterit ei concedi, si inquisitori expediens
videatur, presertim si appareat quod petit hoc bono
animo, non in dolo; alias, tenetur sine dilatione requi-
situs de facto proprio respondere.
Postmodum vero per notarium publicum scribatur
dies comparitionis illius, videlicet : Anno tali, kalenda
tali, talis N., de tali castro seu villa, talis dyocesis,
sponte veniens vel citatus vel vocatus, constitutus in ju-
dicio coram religioso viro tali N., inquisitore heretice
pravitatis in regno Francie per sedem apostolicam de-
putato, juratus ad sancta Dei evangelia plenam et me-
ram dicere veritatem de facto seu de crimine heresis
ipsumque contingentibus, tam de se, sicut de principali,
quam de aliis personis vivis et defunctis, sicut testis
dixit et confessus fuit, etc.
Notandum autem quod, si aliquis contra fidem aperte
et manifeste disputaret, rationes et auctoritates quibus
consueverunt inniti heretici inducendo, talis faciliter
per fideles Ecclesie litteratos convinceretur hereticus,
cum eo ipso jam hereticus censeretur quo errorem de-
fendere niteretur. Set quia moderni heretici querunt et
nituntur latenter palliare errores suos magis quam aperte
fateri, ideo viri litterati per scientiam Scripturarum non
possunt eos convincere, quia per fallacias verborum et
INSTRUCTION GÉNÉRALE 5
les saints évangiles de Dieu de dire la pleine et entière vé-
rité sur le fait d’hérésie et sur les faits connexes ou qui
relèvent à un titre quelconque de l'office de l’Inquisition,
tant en ce qui le regarde comme principal intéressé qu’en
ce qui concernerait d’autres personnes vivantes ou dé-
funtes', en qualité de témoin.
Le serment prêté et reçu, il sera requis et exhorté à dire
de lui-même? la vérité sur tout ce qu’il sait, a su ou entendu
sur le fait d’hérésie. S’il requiert un délai ou un instant de
réflexion afin de répondre plus sagement, l’inquisiteur
pourra, s’il le juge expédient, le lui accorder, surtout si la
demande semble être faite de bonne foi et non par dol; au-
trement, le prévenu sera obligé de répondre sur-le-champ
de son propre fait.
Ensuite, le notaire public consignera par écrit le jour de
la comparution : En telle année, à telle calende, N., natif de
tel bourg ou village, de tel diocèse, s'étant présenté spontané-
ment, ou cité ou appelé, constitue en jugement devant reli-
gieuse personne N., inquisiteur de l’hérésie pour le royaume
de France par délégation du Siège apostolique, après avoir
juré sur les saints évangiles de Dieu de dire la pleine et en-
tière vérité sur le fait ou le crime d'hérésie et sur les faits
connexes, tant en ce qui le regarde comme principal interessé
qu'en ce qui concernerait d’autres personnes vivantes ou
défuntes, à titre de témoin, a dit et avoué, etc.
A noter que si quelqu'un discutait ouvertement et mani-
festement contre la foi, en alléguant les arguments et auto-
rités sur lesquels les hérétiques ont coutume de s’appuyer,
celui-là serait facilement convaincu d'hérésie par les fidèles
instruits de l’Église, puisqu'on l’estimerait hérétique du fait
même qu’il tente de défendre l'erreur. Mais les hérétiques
actuels s’essayant et cherchant à voiler leurs erreurs plutôt
qu’à les avouer ouvertement, les gens versés dans la science
des Écritures ne peuvent les convaincre, parce qu'ils se
1. La mort n’abolissait pas la tache contractée de son vivant
par l’hérétique. Voir, sur la procédure entamée contre les morts,
Tanon, Histoire des tribunaux de l'Inquisition, p. 407-413.
2. C'est-à-dire sans l’emploi de la torture.
6 INSTRUCTIO GENERALIS
per excogitatas astutias dilabuntur!; et ideo potius con-
funduntur ab eis viri litterati, et ipsi heretici gloriantes
per hoc amplius roborantur, videntes quod viris litte-
ratis ita illudunt quod de manibus eorum per suas vul-
pinas, versutias et tortuosas responsionum ambages cal-
lide celabuntur.
Nimis enim est grave hereticos deprehendere ubi ipsi
non aperte confitentur errorem set occultant vel ubi non
babentur certa et sufficientia testimonia contra ipsos. In
quo casu concurrunt undique angustie inquirenti. Angit
enim conscientia, ex una parte, si non confessus nec
convictus puniatur; ex altera vero parte, angit amplius
animum inquirentis informatum de falsitate et callidi-
tate et malitia talium per experientiam frequentem, si
evadant per suam vulpinam astutiam in fidei nocumen-
tum, quia ex hoc ipsi amplius roborantur et multipli-
cantur et callidiores efficiuntur. Ex altera quoque parte,
layci fideles inde sumunt materiam scandali quod incep-
tum inquisitionis negocium contra aliquem quasi con-
fuse relinquitur et quodam modo infirmantur in fide,
videntes quod viri litterati sic a personis rudibus et vi-
libus illuduntur, quia credunt nos ita in promptu ha-
bere ipsas fidei rationes lucidas et apertas quod nullus
in hiis nobis* valeat obviare quin statim sciamus ipsum
convincere, ita quod etiam ipsi layci clare possint ipsas
intelligere rationes. Et ideo non expedit in tali casu
contra hereticos sic astutos de fide coram laycis dispu-
tare.
Advertendum autem est quod, sicut non omnium
morborum est eadem medicina, quin potius singulorum
diverse sunt et singule medicine, sic nec ad omnes he-
a. vobis À, B.
INSTRUCTION GÉNÉRALE 7
dérobent sous la supercherie des mots et les astuces de la
pensée!. Les lettrés sont même plutôt confondus par eux et
les hérétiques s’en félicitent et n’en sont que plus forts,
voyant qu’ils abusent ainsi les doctes au point de leur
échapper sournoisement par les détours de leurs réponses
rusées, fourbes et tortueuses.
Il est, en effet, trop difficile d'amener les hérétiques à se
découvrir quand ceux-ci, au lieu d’avouer franchement leur
erreur, la cachent, ou lorsqu’on n’a pas contre eux des té-
moignages certains et suffisants. Dans ce cas, les embarras
surgissent de toutes parts pour l’enquêteur. D’un côté, sa
conscience le tourmente, s’il punit sans avoir obtenu un
aveu ou convaincu d’hérésie; de l’autre, il est d'autant plus
dans l’angoisse que des expériences renouvelées l’ont ren-
seigné sur la fausseté, la ruse, la malice de telles gens. Si
ceux-ci échappent au châtiment grâce à leur astuce de re-
nards, c’est au grand dommage de la foi, car ils en de-
viennent plus forts, plus nombreux et plus rusés encore
qu'auparavant. Par ailleurs, les laïcs solides dans la foi
trouvent matière à scandale par le fait qu’on abandonne,
en quelque sorte faute de méthode, un procès inquisitorial
entamé. Voyant que les doctes sont ainsi trompés par des
gens grossiers et vils, ils sont en une certaine mesure affai-
blis dans leur foi, car ils s’imaginent que nous avons tou-
jours à notre portée des arguments lumineux et évidents
auxquels nul n’est capable de s’opposer, sans qu’aussitôt
nous ne puissions le convaincre et de telle manière que les
laics mêmes comprennent clairement ces arguments. Aussi
bien, en pareil cas, n’est-il pas expédient de discuter de la
foi en présence des laïcs avec des hérétiques aussi astucieux.
De même que — remarquons-le — un remède unique ne
convient pas à toutes les maladies et que la médication dif-
fêre suivant les cas particuliers, ainsi l’on ne peut employer
1. Des procédés astucieux en honneur chez les Vaudois, on
trouvera plus loin (p. 64) un curieux exemple. La plupart des
justiciables de l’Inquisition étaient incapables de les mettre en
œuvre, car ils appartenaient plutôt à des classes peu cultivées.
Voir J.-M. Vidal, Le tribunal d’inquisition de Pamiers, p. 121.
8 INSTRUCTIO GENERALIS
reticos diversarum sectarum idem modus interrogandi,
inquirendi et examinandi est servandus, set ad singulos,
ut in pluribus, singularis et proprius est habendus. Ideo
inquisitor, ut prudens medicus animarum, circa perso-
nas quas vel cum quibus inquirit, ipsarum qualitatem,
conditionem, statum, morbum locumque considerans,
circa illa inquirendo et examinando caute negocietur,
non omnibus personis similiter et eodem ordine omnes
sequentes interrogationes faciens seu inculcans nec circa
aliquos eisdem vel totidem sit contentus, set sic freno
discretionis hereticalium astutias circumducat ut, fa-
vente Domino, de sentina et abysso errorum obstetric-
ante manu educatur coluber tortuosus.
Non enim potest super istis una et infallibilis depingi
regula ne, si fieret, cum filii tenebrarum assuetum mo-
dum unicum diutius pravidissent, ipsum tanquam la-
queum facilius evitarent seu etiam precaverent. Curet
igitur sapiens inquisitor occasionem accipere sive ex
deponentium responsis sive éx attestationibus accusan-
tium sive ex hiis que experientia docuit sive ex proprii
acumine ingenii sive ex sequentibus questionibus seu
interrogatoriis, sicut Dominus ministrabit.
Ad habendam autem aliqualem examinandi notitiam,
contra quinque sectas-scilicet Manicheorum, item Val-
densium seu Pauperum de Lücduno, item Pseudo-Apos-
tolorum, item illorum qui Bequini vulgariter appellan-
tur, item conversorum ex Judeis ad fidem Christi qui
redeunt ad vomitum judaysmi ac etiam de sortilegis et
divinis et de invocatoribus demonum, quorum pestis
plurimum obficit fidei puritati-aliqua per ordinem in
sequentibus subnectemus, premittendo uniuscujusque
secte erroris Mmateriam in generali et subsequenter exa-
minandi formam seu modum, prout in sequentibus ap-
parebit.
INSTRUCTION GÉNÉRALE re)
pour tous les hérétiques des diverses sectes le même mode
d'interrogation, d'enquête et d'examen; mais on doit utili-
ser une méthode particulière et propre à chacun, comme
s’il s’agissait de plusieurs. En conséquence, l’inquisiteur,
en prudent médecin des âmes, selon les personnes qu’il in-
terroge ou en compagnie de qui il enquête, eu égard à leur
qualité, à leur condition, à leur situation, à leurs maladies,
aux circonstances locales, procédera avec précaution au
cours de l’enquête et de l’interrogatoire. Il ne posera point
à toutes les personnes l’ensemble des questions que nous
indiquerons. Envers certaines, qu’il ne soit pas toujours
tendre, mais qu’avec le frein du discernement il encercle les
astuces des hérétiques de façon à extirper, avec l’aide du
Seigneur, à l’exemple d’un habile accoucheur, le serpent tor-
tueux de la sentine et de l’abîme des erreurs.
On ne peut, à la vérité, indiquer une règle unique et in-
faillible. Si cela était, les fils des ténèbres s’attendraient trop
longtemps d’avance à l’emploi constant d’une méthode uni-
forme, éviteraient plus facilement les pièges qu’on leur
tend ou encore se tiendraient sur leur garde. L’inquisiteur
avisé aura donc soin de tirer parti tantôt des réponses des
déposants, tantôt des attestations des accusateurs, tantôt
des données de l’expérience, tantôt de l’acuité de son propre
esprit, tantôt des questions ou interrogations qui seront
détaillées plus loin, selon que le Seigneur y pourvoira.
Afin de fournir un aperçu de la façon de procéder à l’in-
terrogatoire, nous donnerons successivement dans les pages
suivantes quelques détails touchant les cinq sectes — savoir
les Manichéens, les Vaudois ou Pauvres de Lyon, les
Pseudo-Apôtres, ceux qu'on appelle vulgairement Béguins,
les Juifs convertis à la foi du Christ qui retournent au vo-
missement du judaïsme, ainsi que les sorciers, devins et
invocateurs des démons dont les pratiques pestilentielles
nuisent beaucoup à la pureté de la foi —, traitant d’abord
de la matière de l’erreur de chaque secte en général, puis de
la forme et du mode de l’interrogatoire, ainsi qu’il apparaî-
tra ci-après.
[DE MANICHEIS
MODERNI TEMPORIS]
[1.] DE ERRORIBUS MANICHEORUM MODERNI TEMPORIS !. —
Manicheorum itaque secta et heresis et ejus devii sec-
tatores duos Deos aut duos Dominos asserunt et faten-
tur, benignum Deum videlicet et malignum, creationem
omnium rerum visibilium et corporalium asserentes non
esse factam a Deo patre celesti, quem dicunt Deum be-
nignum, sed a dyabolo et Sathana, malo Deo, quia ip-
sum vocant Deum malignum et Deum hujus seculi et
principem hujus mundi. Sicque duos ponunt creatores,
Deum videlicet et dyabolum, et duas creationes, unam
scilicet rerum invisibilium et incorporalium et alteram
visibilium et corporalium.
Item, duas confingunt esse ecclesias, unam benignam,
quam dicunt esse sectam suam, eamque esse asserunt
ecclesiam Jhesu Christi; aliam vero ecclesiam vocant
malignam, quam dicunt esse Romanam ecclesiam,
eamque impudenter appellant matrem fornicationum,
Babilonem magnam, meretricem et basilicam dyaboli
et Sathane synagogam. Omnesque gradus et ordines ac
ordinationes ejus et statuta despiciunt et depravant et
omnes qui fidem ejus tenent appellant hereticos et er-
rantes nec aliquem posse salvari in fide Romane eccle-
sie dogmatizant.
[
[LES NOUVEAUX
MANICHÉENS)
[1.] Les ERREURS DES MANICHÉENS DU TEMPS PRÉSENT !. —
La secte, l’hérésie et les partisans dévoyés des Manichéens
reconnaissent et confessent deux Dieux ou deux Seigneurs,
à savoir un Dieu bon et un Dieu mauvais. Ils affirment que
la création de toutes choses visibles et matérielles n’est pas
l’œuvre de Dieu, le Père céleste — celui qu'ils appellent le
Dieu bon —, mais l’œuvre du diable et de Satan, du Dieu
mauvais : car ils le nomment Dieu malin, Dieu de ce siècle
et prince de ce monde. Ils distinguent donc deux créateurs,
Dieu et le diable, et deux créations, l’une des êtres invi-
sibles et immatériels, l’autre des choses visibles et maté-
rielles.
De même, ils imaginent deux églises : l’une, la bonne, qui
est leur secte, disent-ils; c’est elle, prétendent-ils, l’église de
Jésus-Christ; l’autre, la mauvaise, qui est, selon eux,
l'Église romaine : ils l’appellent impudemment mère des
fornications, grande Babylone, courtisane et basilique du
diable, synagogue de Satan. Ils en méprisent et déforment
toute la hiérarchie, les ordres, l’organisation et les statuts,
traitent d’hérétiques et d’égarés tous ceux qui conservent sa
foi, et enseignent que personne ne peut être sauvé dans la
foi de l’Église romaine.
1. C'est-à-dire les Cathares languedociens ou albigeois. — Le
paragraphe a été emprunté aux aveux faits par Pierre Autier en
1310 (Ph. Limborch, Historia inquisitionis, p. 92). Nous impri-
mons en italiques dans l'original latin les passages reproduits
textuellement.
12 DE ERRORIBUS CATHARORUM
Item, omnia sacramenta Romane ecclesie domini Jhesu
Christi, videlicet eucharistie seu altaris ac baptismi qui
fit in aqua materiali necnon confirmationis et ordinis et
extreme unctionis et penitentie ac matrimonti inter vi-
rum et mulierem, singillatim et singula asserunt esse
inania atque vana. Et confingunt, tanquam simie!, que-
dam alia loco ipsorum, que quasi similia videantur,
confingentes Joco baptismi facti in* aqua baptismum#
alium spiritualem, quem vocant consolamentum Spiri-
tus Sancti, quando videlicet recipiunt aliquam personam
in sanitate vel in infirmitate ad sectam et ordinem suum
per impositionem manuum secundum ritum suum exe-
crabilem.
Loco vero consecrati panis eucharistie corporis
Christi, confingunt quemdam panem quem appellant
panem benedictum seu panem sancte orationis, quem
in principio mense sue, tenendo in manibus secundum
ritum suum, benedicunt et frangunt et distribuunt as-
sistentibus et credentibus suis?.
Loco vero sacramenti penitencie, dicunt esse veram
penitenciam suscipere ettenere sectam et ordinem suum.
Et suscipientibus dictam sectam et ordinem, sive in in-
firmitate sive in sanitate, dicunt omnia peccata esse di-
missa et tales esse absolutos ab omnibus peccatis suis
sine quacumque alia satisfactione et absque etiam res-
titutione, si haberent aliquid de alieno, dummodo ser-
vent sectam et ordinem illum, asserentes se super hiis
habere potestatem eamdem et tantam quantam habue-
runt Petrus et Paulus et alii apostoli Domini Jhesu
Christi, dicentes confessionem peccatorum, que fit sa-
cerdotibus Romane ecclesie, nichil valere penitus ad sa-
a. in aliqua aqua À. — b. baptismum omis par À et B.
1. C’est bien à tort que Bernard Gui qualifie de « singeries » les
ERREURS DES CATHARES 13
Item, tous les sacrements de l’Église romaine de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, l’eucharistie ou sacrement de l'autel,
le baptême de l’eau matérielle, la confirmation, l’ordre, l’ex-
trême-onction, la pénitence et le mariage entre homme et
femme sont, chacun en particulier, déclarés par eux vains
et inutiles. Et ils en imaginent, tels des singes!, d’autres à
leur place qui paraissent presque semblables. C’est ainsi
qu’ils remplacent le baptême d’eau par un autre baptême,
spirituel celui-là, appelé consolamentum du Saint-Esprit,
quand, par exemple, ils reçoivent une personne, bien por-
tante ou malade, dans leur secte et leur ordre, en imposant
les mains selon leur exécrable rite.
Au lieu du pain eucharistique consacré au corps du
Christ, ils fabriquent une sorte de pain qu’ils nomment pain
bénit ou pain de la sainte oraison. Au début de leur repas,
le tenant entre les mains selon leur rite, ils le bénissent,
le rompent et le distribuent aux assistants et à leurs
croyants ?.
Quant au sacrement de pénitence, ils disent que la vraie
pénitence consiste à embrasser leur secte et leur ordre et à
y persévérer. À ceux qui, malades ou bien portants, em-
brassent ladite secte et ledit ordre, ils assurent que tous
leurs péchés sont remis; ils les déclarent absous de toutes
leurs fautes, sans aucune autre œuvre satisfactoire et même
sans restitution, s'ils possèdent le bien d’autrui, à condition
toutefois de persévérer dans la secte et l’ordre. Ils se recon-
naissent, sur ces nouveaux adeptes, un pouvoir identique
et égal à celui de Pierre, de Paul et des autres apôtres de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils prétendent que la contes-
sion des péchés faite aux prêtres de l’Église romaine n’est
sacrements Cathares, si l’on admet avec M. Jean Guiraud (Cartu-
laire de Prouille, t. I, Introduction, p. cLxxxv et suiv.) qu'ils re-
présentent assez exactement un stade figé de l’ancienne liturgie
chrétienne. Cette méprise provient de ce qu’à l’instar de ses con-
temporains Bernard Gui ignorait les usages de la primitive
Église. La comparaison faite par M. Guiraud entre les rites
cathares et les anciens rites chrétiens est fort impressionnante.
2. On reconnaît ici la cérémonie de l’agape usitée à l’âge
apostolique.
Manuel de linquisiteur. 6
14 DE ERRORIBUS CATHARORUM
lutem nec papam nec aliquem alium de ecclesia Romana
habere potestatem absolvendi aliquem a peccatis.
Loco vero sacramenti matrimonii carnalis inter vi-
rum et mulierem, confingunt esse spirituale matrimo-
nium inter animam et Deum, quando videlicet ipsi he-
retici perfecti seu consolati recipiunt aliquem ad sectam
et ordinem suum.
Item, incarnationem Domini Jhesu Christi ex Maria
semper virgine negant, asserentes ipsum non habuisse
verum corpus humanum nec veram carnem hominis si-
cut habent ceteri homines ex natura humana nec vere
fuisse passum ac mortuum in cruce nec vere resur-
rexisse a mortuis nec vere ascendisse in celum cum cor-
pore et carne humana, set omnia in similitudine facta
fuisse.
Item, beatam Mariam Virginem negant fuisse veram
matrem Domini Jhesu Christi, nec fuisse mulierem
carnalem, sed sectam suam et ordinem suum dicunt
esse Mariam Virginem, id est veram penitenciam cas-
tam et virginem que generat filios Dei, quando recipiun-
tur ad eamdem sectam et ordinem.
Item, resurrectionem corporum humanorum futuram
negant, loco ejus confingentes quedam spiritualia! cor--
pora et quemdam îinteriorem hominem, in quibus et
qualibus dicunt resurrectionem futuram esse intelli-
gendam.
Predictos errores et quamplures alios, qui ex eis ne-
cessario consecuntur, tenent et credunt et dogmatizant;
et nichilominus, palliatis verbis et vocabulis, prima fa-
cie videntur inexpertis hominibus etlaycis confiteri ve-
ram fidem, dicendo se credere in Deum Patrem et Fi-
tium et Spiritum Sanctum, creatorem omnium, et se
credere [in] sanctam Romanam ecclesiam et in Domi-
1. D’après certains Cathares, les âmes avaient perdu leurs corps
+ ERREURS DES CATHARES 15
d’aucune valeur pour le salut, que ni le pape ni personne n’a,
dans l’Église romaine, le pouvoir d’absoudre qui que ce soit
de ses péchés.
Au lieu du sacrement de mariage, union charnelle entre
homme et femme, ils inventent un mariage spirituel entre
l’âme et Dieu, quand, par exemple, les hérétiques « par-
faits » ou « consolés » initient quelqu’un à leur secte et à
leur ordre.
Item, ils nient l’incarnation de Notre-Seigneur Jésus-
Christ dans le sein de Marie toujours vierge et soutiennent
qu’il n’a pas pris un véritable corps humain ni une véritable
chair humaine comme en ont les autres hommes en vertu de
la nature humaine, qu’il n’a point souffert et n’est point
mort sur la croix, qu’il n’est point ressuscité d’entre les
morts, qu’il n’est point monté au ciel avec un corps et une
chair humaine, mais que tout cela s’est passé en figure.
Ils nient également que la bienheureuse Vierge Marie ait
été la vraie mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ et qu’elle
ait été une femme de chair. La Vierge Marie, disent-ils,
c'est leur secte et leur ordre, c’est-à-dire la vraie pénitence
chaste et virginale qui engendre les fils de Dieu, dès qu'ils
sont initiés à cette secte et à cet ordre.
Ils nient, de même, la résurrection future des corps hu-
mains et, à défaut, imaginent certains corps spirituels! et
certain homme intérieur ; c’est de ces derniers et en ce sens
qu’il faut entendre, disent-ils, la résurrection à venir.
Ils soutiennent, croient et enseignent les susdites erreurs,
ainsi que plusieurs autres qui en découlent nécessairement.
Néanmoins, sous le couvert des mots et des vocables, ils pa-
raissent au premier abord, aux yeux des gens inexpérimen-
tés et des laïcs, confesser la vraie foi, disant qu’ils croient
en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, créateur de toutes choses,
à la sainte Église romaine et en Notre-Seigneur Jésus-
spirituels ou célestes lors de leur chute. La résurrection con-
sistait en ce que les âmes des « parfaits » les recouvraient,
lorsqu'elles passaient du paradis terrestre au ciel, à l’heure du
jugement dernier. Voir J.-M. Vidal, Doctrine et morale des der-
niers ministres albigeois, dans la Revue des questions historiques,
t. LXXXV (1909), p. 408.
16 DE ERRORIBUS CATHARORUM
num Jhesum Christum et beatam Mariam Virginem"
et incarnationem et passionem et resurrectionem et as-
centionem ejusdem Domini Jhesu Christi et sanctum
baptismum et veram penitentiam et verum Corpus
Christi et sacramentum matrimonii, cum tamen, veri-
tate diligentius examinata, inquisita et comperta, omnia
predicta dicant in dupplicitate et falsitate secundum in-
tellectum suum superius expressatum et declaratum, ut
ita fallant simplices et etiam magnos litteratos inexper-
tos. Et omnes predictos errores suis credentibus dogma-
tizant et exponunt et, postquam detecti sunt et celare
non possunt, coram inquisitoribus manifeste defendunt,
asserunt et fatentur. Et ex tunc opus est eos exortari ad
conversionem et ostendere eis errorem suum quibus-
cumque modis per viros maxime expertos et indus-
trios. |
Tales? autem perfectos hereticos consueverunt inqui-
sitores detinere diutius multiplici ratione : primo, ut ad
conversionem sepius invitentur, quia conversio talium
est plurimum utilis ex eo quod conversio hereticorum
Manicheorum communiter vera est et raro ficta; et,
quando convertuntur, detegunt omnia et aperiunt veri-
tem et revelant omnes complices suos; unde sequitur
magnus fructus. Item, quamdiu detinentur tales per-
fecti heretici, credentes et complices eorumdem facilius
confitentur et detegunt se et alios, timentes quod, si he-
retici convertantur, detegantur ab eis. Postquam autem
sepius fuerint invitati et expectati ad conversionem, si
redire noluerint et apparuerint indurati, proceditur ad
sententiam contra eos et relinquuntur brachio et judi-
tio seculari.
1. Pour certains Cathares la Vierge était leur propre église
(J.-M. Vidal, loc. cit., p. 387).
2. Le reste du paragraphe est un résumé des pages 218-220
ERREURS DES CATHARES 17
Christ, à la bienheureuse Vierge Marie!, à l’incarnation, à
la passion, à la résurrection et à l’ascension du même Jé-
sus-Christ Notre-Seigneur, au saint baptême, à la vraie péni-
tence, au vrai corps du Christ et au sacrement de mariage.
Mais, lorsqu'on y regarde de plus près, qu’on recherche et
découvre la vérité, on constate qu’ils énoncent tout cela
avec duplicité et fausseté, selon leurs propres conceptions
ci-dessus exposées; en sorte qu’ils trompent les simples et
même de grands savants inexpérimentés. Ces erreurs, ils les
enseignent et les exposent à leurs croyants; et, lorsqu'ils
sont découverts et ne peuvent plus les cacher, ils les dé-
fendent, les soutiennent et les professent ouvertement de-
vant les inquisiteurs. Dès lors, 1l est nécessaire de les
exhorter à la conversion et de leur démontrer leur erreur
par tous les moyens et en recourant aux services d’hommes
très habiles et d’une expérience consommée.
Les hérétiques? dont on vient de parler et qui sont des
« parfaits », les inquisiteurs ont accoutumé de les détenir
plus longtemps, et pour de multiples raisons. En premier
lieu, pour les inviter plus fréquemment à se convertir, car
leur conversion est particulièrement avantageuse : la con-
version des hérétiques manichéens est généralement sin-
cère, rarement feinte, et, lorsqu'ils sont convertis, ils dé-
couvrent toute la vérité et dénoncent tous leurs complices,
ce qui est d’un grand profit. De plus, aussi longtemps que
ces hérétiques « parfaits » sont détenus, leurs croyants et
leurs complices avouent plus volontiers, se dénoncent, eux
et les autres, dans la crainte d’être dénoncés par les héré-
tiques si ceux-ci viennent à se convertir. Si ces mêmes hé-
rétiques, après avoir été fréquemment et patiemment exhor-
tés à la conversion, refusent de revenir à la foi et paraissent
endurcis, on prononcera contre eux la sentence et on les
livrera au bras et au tribunal séculiers.
(éd. Douais) d’une des parties de la Practica que nous avons
jugé inutile de reproduire ici et qui dérive sans doute lui-même
d’un recueil de sentences du tribunal inquisitorial de Toulouse
(voir notre Introduction, p. xvinr). Les mots imprimés en italiques
dans l'original latin sont des emprunts textuels.
18 DE MODO VIVENDI CATHARORUM
[2.] DE MODO ET RITU VIVENDI IPSORUM MANICHEORUM. —
De ritu autem et modo vivendi et conversandi ipsorum
hereticorum! expedit tangi aliqua, per que et facilius
cognoscuntur et deprehenduntur.
In primis itaque sciendum est quod ipsi in nullo casu
Jurant.
Item, jejunant tres quadragesimas in anno, videlicet a
festo sancti Bricii® usque ad natale et a dominica in
quinquagesima usque ad pascha et a festo pentecostes
usque ad festum apostolorum Petri et Pauli. Et septi-
manam primam et ultimam cujuslibet quadragesime
vocant septimanam strictam, quia in illa jejunant in
pane et aqua et in aliis autem septimanis tribus diebus
jejunant in pane et aqua. Et per totum annum residuum
tribus diebus jejunant in pane et aqua in qualibet sep-
timana, nisi sint itinerantes aut infirmi. Item, nunquam
comedunt carnes nec etiam tangunt eas, nec caseum nec
ova, nec aliquid quod nascatur ex carne per viam gene-
rationis seu cohitus$.
Item, nullo modo occiderent aliquod animal nec ali-
quod volatile, quia dicunt et credunt quod in animali-
bus brutis et etiam in avibus sint spiritus 1lli qui rece-
dunt de corporibus hominum, quando non sunt re-
cepti ad sectam et ordinem suum per impositionem
manuum ipsorum secundum ritum eorum, et quod
transeunt de uno corpore in aliud corpus.
Item, non tangunt aliquam mulierem.
Item, in principio mense, quando sunt inter credentes
vel inter se, benedicunt unum panem vel unam petiam
panis, tenendo panem in manibus cum manutergio seu
1. C'est-à-dire le 13 novembre.
2. Il ne s’agit ici que des « parfaits »; cf. l’article cité de
J.-M. Vidal dans la Revue des questions historiques, t. LXXXVI
(1909), p. 10-21.
PRATIQUES DES CATHARES 19
[2.] Du GENRE DE VIE ET DES RITES DES MANICHÉENS. — Des
rites, du genre de vie et des relations des hérétiques!, il
importe de toucher quelques mots qui permettront de les
mieux connaître et de les atteindre plus facilement.
Tout d’abord, il faut savoir qu’ils ne prêtent serment en
aucun cas.
Item, ils observent trois carêmes par an, à savoir de la
Saint-Brice? à Noël, du dimanche de la Quinquagésime jus-
qu'à Pâques, de la Pentecôte à la fête des apôtres Pierre et
Paul. Ils appellent la première et dernière semaine de
chaque carême semaines rigoureuses, car, pendant ce
temps, ils jeûnent au pain et à l’eau et, pendant les autres
semaines, trois jours au pain et à l’eau. Tout le reste de
l’année, ils jeûnent au pain et à l’eau trois jours par se-
maine, sauf s'ils sont malades ou en voyage. Ils ne mangent
jamais de viande, n’en touchent même point, pas plus que
de fromages ou d’œufs ni d'aucun être né de la chair par
voie de génération ou de coits.
Item, ils ne feraient périr, de quelque façon que ce fût,
ni un animal ni un volatile, car ils disent et croient que les
esprits qui se retirent des corps des hommes non initiés à
leur secte et à leur ordre par l’imposition des mains, effec-
tuée selon leurs rites, se réfugient chez les animaux privés
de raison et même chez les oiseaux et passent d’un corps
dans un autre.
Item, ils n’ont de commerce avec aucune femme.
Item, au début du repas, lorsqu'ils sont entre eux ou
entre « croyants », ils bénissent un pain ou un morceau de
pain, le tenant dans leurs mains avec un manuterge ou une
3. Le poisson était permis, sous ce prétexte que l’eau l’engen-
drait; cf. l’article cité de J.-M. Vidal dans la Revue des questions
historiques, t. LXXXV, p. 370.
4. L'œuvre de chair était réputée essentiellement mauvaise,
parce qu’elle multipliait les corps matériels qui appartenaient au
Dieu mauvais, et parce qu’elle retardait l’union des âmes au Dieu
bon. M. J.-M. Vidal a, du reste, montré que certains « parfaits »
manquaient à la continence; cf. l’article cité de la Revue des
questions historiques, t. LXXXV, p. 403, et t. LXXXVI, p. 19-21.
20 DE MODO VIVENDI CATHARORUM
aliquo panno albo dependente a collo, dicendo oratio-
nem « Pater noster » et frangendo in parvas petias. Et
talem panem vocant panem sancte orationis et panem
fractionis, et credentes eorum vocant panem benedictum
seu panem signatum, et de illo pro communione come-
dunt in principio mense et dant et distribuunt credenti-
bus suis!.
Item, docent credentibus suis quod exibeant eis reve-
rentiam, quam vocant melioramentum?, nos autem vo-
camus adorationem, videlicet flectendo genua et incli-
nando se profunde coram ipsis super aliquam banquam
vel usque ad terram, junctis manibus, tribus vicibus
inclinando et surgendo et dicendo qualibet vicet : « Be-
nedicite » et in fine concludendo : « Boni christiani,
benedictionem Dei et vestram ; orate Dominum pro no-
bis quod Deus custodiat a mala morte et perducat nos
ad bonum finem, vel ad manus fidelium christiano-
rum. » Et hereticus respondet : « À Deo et a nobis ha-
beatis eam (scilicet benedictionem); et Deus vos bene-
dicat et a mala morte eripiat animam vestram et ad bo-
num finem vos perducat. » Per malam mortem dant
intelligere heretici mori in fide ecclesie Romane; per
bonum autem finem et per manus fidelium christiano-
rum dant intelligere quod recipiantur in fine suo ad
sectam et ordinem ipsorum, secundum ritum eorum ; et
hoc dicunt esse bonum finem. Predictam autem reve-
rentiam dicunt fieri non ipsis, set Spiritui Sancto, quem
dicunt esse in se ipsis, ex quo sunt recepti ad sectam et
ordinem quem dicunt se tenere.
Item, docent credentibus suis quod faciant eis pac-
tum quod vocant « la covenensa », videlicet quod in fine
suo velint recipi ad sectam et ordinem ipsorum; et ex
1. Le rite de la bénédiction du pain est décrit dans un texte du
PRATIQUES DES CATHARES 21
étoffe blanche suspendue au cou; ils récitent l’oraison Pa-
ter noster et rompent le pain en petites parcelles. Le pain,
ils l’appellent pain de la sainte oraison ou pain de la frac-
tion; leurs « croyants » le nomment pain bénit ou pain
« Signé »; ils en mangent au début du repas en donnent et
en distribuent à leurs « croyants! ».
Item, ils apprennent à leurs « croyants » à leur rendre une
marque de respect qu’ils appellent melioramentum? et que
nous appelons adoration. Le croyant fléchit le genou en
présence des hérétiques, s'incline profondément sur un es-
cabeau ou jusqu'à terre, les mains jointes, à trois reprises,
se relevant et disant chaque fois : Benedicite. A la fin, il
ajoute : « Bons chrétiens, donnez-nous la bénédiction de
Dieu et la vôtre; priez le Seigneur qu’il nous garde de la
male mort et nous conduise à la bonne fin ou entre les
mains des fidèles chrétiens. » Et l’hérétique de répondre :
« Recevez la bénédiction de Dieu et la nôtre; que Dieu vous
bénisse, arrache votre âme à la male mort et vous conduise
à la bonne fin. » Par male mort, ils entendent la mort dans
la foi de l’Église romaine; la bonne fin et les mains des
fidèles chrétiens, c’est l’initiation, au moment de la mort,
à leur secte et à leur ordre, selon leur rite; c’est là ce qu’ils
appellent la bonne fin. Quant à la susdite révérence, les hé-
rétiques prétendent qu’elle s'adresse, non pas à eux-mêmes,
mais au Saint-Esprit qui, disent-ils, habite en eux et à qui
ils doivent leur initiation à la secte et le rang que, selon eux,
ils y occupent.
Item, ils enseignent à leurs « croyants » à conclure un
pacte appelé la covenensa, d'après lequel ceux-ci s’en-
gagent à se faire recevoir, au moment de la mort, dans la
xui* siècle édité par Ch. Molinier dans les Archives des missions
scientifiques et littéraires, t. XIV, 3° série (1888), p. 283.
2. Il y avait deux sortes de melioramentum : celui que prati-
quaient les « croyants » lorsqu'ils saluaient un « parfait »; celui
qui avait lieu lors de la cérémonie de l'initiation. Voir le rituel
cathare publié par L. Clédat, Le Nouveau Testament traduit au
XIII. siècle en langue provençale, suivi d'un rituel cathare (Paris,
1887, in-8°), p. xx.
22 QUO MODO CATHARI INFIRMOS HERETICENT
tunc heretici possunt recipere tales in infirmitate eorum,
etiam si perdidissent loquelam aut non haberent me-
moriam ordinatam.
[3.1] DE MODO HERETICANDI SEU RECIPIENDI INFIRMOS AD
SECTAM ET ORDINEM IPSORUM!. — Modus autem seu ritus
recipiendi ad sectam et ordinem ipsorum in infirmitate
seu in fine recipiendorum talis est, videlicet, quod here-
ticus? petit a persona que debet recipi, si potest loqui,
si vult fieri bonus christianus vel bona christiana, vel
recipere sanctum baptismum. Quo respondente quod
sic et dicendo : « Benedicite », hereticus tenendo ma-
num super caput infirmi, non tamen tangendo si sit mu-
lier, ettenendo librum, dicit evangelium « In principio
erat verbum », usque ibi : « Verbum caro factum estet
habitavit in nobis. »
Quo lecto, infirmus dicit orationem « Pater noster »,
si potest, sin autem aliquis de astantibus sive assisten-
tibus dicit pro eo. Quo facto, infirmus, si potest, dicit
tribus vicibus : « Benedicite », inclinando caput et jun-
gendo manus, et omnes alii assistentes adorant hereti-
cum modo adorandi supra scripto; et hereticus in
eodem loco vel in alio separato facit multas prostra-
tiones et inclinationes et venias usque ad terram, di-
cendo orationem « Pater noster » pluribus vicibus,
inclinando et levando.
[4.] DE MODO DOGMATIZANDI IPSORUM. — De modo au-
tem predicandi et dogmatizandi ipsorum hereticorum
Manicheorum credentibus suis longum esset per sin-
gula enarrare, set expedit hic breviter aliqua perstringi.
In primis communiter dicunt de se ipsis quod ipsisunt
a. De modo predicandi et B.
1. Le rituel cathare publié par L. Clédat (op. cit., p. xxtI-xxiv)
COMMENT LES CATHARES « HÉRÉTIQUENT » LES MALADES 23
secte et l’ordre des hérétiques; dès lors, les hérétiques
peuvent les initier au cours d’une maladie, même si le ma-
lade avait perdu la parole ou l’usage normal de la mémoire.
[8.] DE LA MANIÈRE D’ « HÉRÉTIQUER », C’EST-A-DIRE DE
RECEVOIR LES MALADES DANS LA SECTE ET L'ORDRE !{. — Voici
la méthode ou le rite à suivre pour recevoir dans la secte ou
l’ordre les malades ou les moribonds.
À la personne qui doit être agrégée, lorsqu'elle peut par-
ler, l’hérétique? demande si elle veut devenir bon chrétien
ou bonne chrétienne, et recevoir le saint baptême. Lors-
qu’elle a répondu affirmativement et dit : Benedicite, l’héré-
tique lui impose les mains sur la tête, mais sans la toucher
si c’estune femme et, tenant le livre, il lit l'Évangile : « Au
commencement était le Verbe », jusqu’à « Et le Verbe s’est
fait chair et il a habité parmi nous. »
La lecture achevée, le malade récite l’oraison Pater nos-
ter, s’il le peut; sinon un assistant le récitè pour lui. Après
quoi le malade, s’il le peut, dit par trois fois : Benedicite,
la tête inclinée et les mains jointes, et tous les assistants
adorent l’hérétique de la façon décrite plus haut; puis l’hé-
rétique, sur place ou dans un autre lieu à part, se livre à de
multiples prostrations, inclinaisons et coulpes, s’inclinant
jusqu’à terre et se relevant à plusieurs reprises, en récitant
plusieurs fois l’oraison Pater noster.
[4.] DE LEUR MANIÈRE D’ENSEIGNER. — Il serait trop long
de décrire par le menu la prédication et l’enseignement que
proposent à leurs « croyants » les hérétiques manichéensi,
mais il importe de les résumer ici brièvement.
Tout d’abord, ils disent d'eux-mêmes qu’ils sont de bons
est plus complet. Les cérémonies de l'initiation usitées pour les
adultes en bonne santé étaient fort longues (L. Clédat, op. cit.,
P- XI-XX1).
2. C'est-à-dire le parfait.
3. L’évangile selon saint Jean a été publié par L. Clédat (op.
cit., p. 155-203).
4. Les doctrines exposées ici ne représentent que celles des Albi-
geois, et non celles des autres Cathares répandus en Europe.
24 QUO MODO CATHARI DOGMATIZENT
boni christiani, qui non jurant nec mentiuntur! nec
maledicunt alicui:; nec occidunt nec hominem nec ani-
mal nec aliquid quod habeat vitam respirantem et
quod tenent fidem Domini Jhesu Christi et evangelium
ejus, sicut docuit Christus et apostoli ejus; et quod ipsi
tenent locum apostolorum et quod propter predicta illi
de ecclesia Romana, videlicet prelati, clerici et religiosi,
persecuntur eos, et precipue inquisitores hereticorum,
et vocant eos hereticos, cum tamen ipsi sint boni homi-
nes et boni christiani, sicut pharisei persequebantur
Christum et apostolos ejus.
Item, ut plurimum locuntur laycis de mala vita cle-
ricorum et prelatorum ecclesie Romane. Et specificant
et exponunt de superbia, de cupiditate, de avaritia et de
immunditia vite et quecumque mala alia sciunt. Et ad
hoc adducunt auctoritates, secundum suam expositio-
nem et suum intellectum, evangelii et epistolarum con-
tra statum prelatorum et clericorum et religiosorum
quos vocant phariseos et falsos prophetas qui dicunt et
non faciunt.
Deinde paulatim lacerant et vituperant omnia sacra-
menta Ecclesie, specialiter sacramentum eucharistie,
dicentes quod non sit ibi corpus Christi, quia si -esset
ita magnum sicut unus maximus mons, jam christiani
comedissent totum; item, quod illa hostia nascitur de
palea et quod transit per caudas equorum vel equarum,
videlicet quando farina purgatur per sedatium®; item,
quod mittitur in latrinam ventris et emittitur per tur-
pissimum locum, quod non posset fieri, ut aiunt, si es-
set ibi Deus.
Item, de baptismo quod est aqua materialis et corrup-
tibilis et ideo est de opere et de creatione mali Dei, et
a. Lisez setatium.
COMMENT LES CATHARES ENSEIGNENT 25
chrétiens qui ne jurent ni ne mentent! ni ne maudissent
personne. Ils ne tuent, ajoutent-ils, ni homme? ni animal ni
quoi que ce soit qui ait un souffle de vie. Ils gardent la foi
de Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Évangile conformé-
ment à l’enseignement du Christ et de ses apôtres. Ils
tiennent la place des apôtres. C’est à cause de tout cela que
ceux de l’Église romaine, prélats, clercs et religieux et sur-
tout les inquisiteurs d’hérésie, les persécutent et les appellent
hérétiques, eux qui sont de bonnes gens et de bons chré-
tiens, tout comme les pharisiens persécutaient le Christ et
ses apôtres.
Ils entretiennent fréquemment les laïcs de la mauvaise vie
des clercs et des prélats de l’Église romaine. Ils spécifient
et parlent de leur orgueil, de leur cupidité, de leur avarice,
de leur conduite déshonnête et de tous autres maux qu'ils
connaissent. Ils invoquent l’autorité de l'Évangile et des
Épîtres, en les interprétant selon leur mentalité et leur es-
prit, contre la condition des prélats, des clercs et des reli-
gieux, qu'ils traitent de pharisiens et de faux prophètes qui
parlent et n’agissent point.
Ils en viennent peu à peu à mettre en pièces et à critiquer
les sacrements de l’Église, particulièrement le sacrement de
l'eucharistie. Le corps du Christ, prétendent-ils, n’y réside
pas, car, à supposer qu'il égalât la plus haute montagne,
les chrétiens l’auraient déjà mangé tout entier; l’hostie naît
de la paille, passe par les queues des chevaux ou des juments,
c’est-à-dire quand la farine est purgée de ses impuretés par
le crible elle descend dans la latrine du ventre et est reje-
tée par l’organe le plus honteux, ce qui serait impossible, à
ce qu'ils disent, si Dieu y résidait.
Quant au baptême, ce n’est que de l’eau matérielle et cor-
ruptible, œuvre donc et création du Dieu mauvais, qui dès
1. M. J.-M. Vidal a relevé des cas du contraire (Doctrine et mo-
rale des derniers ministres albigeois, dans la Revue des questions
historiques, t. LXXXVI, 1909, p. 11-12).
2. Les « parfaits » conseillaient pourtant aux « croyants » de
supprimer les traîtres (J.-M. Vidal, article cité, p. 7).
26 DE MODO INTERROGANDI CREDENTES CATHAROS
non potest sanctificare animam; set clerici ex avaricia
vendunt illam aquam, sicut vendunt terram in sepultu-
ris mortuorum et sicut vendunt oleum infirmorum,
quando inungunt infirmos!, et sicut vendunt confessio-
nem peccatorum que fit sacerdotibus.
Item, confessionem factam sacerdotibus ecclesie Ro-
mane dicunt nichil valere, quod, cum sint peccatores,
non possunt solvere nec ligare et, cum sint immundli,
nullum alium possunt mundare.
Item, dicunt quod crux Christi non est adoranda nec
veneranda, quia, ut dicunt, nullus adorat aut veneratur
patibulum in quo pater aut aliquis propinquus vel ami-
cus fuisset suspensus; item, dicunt quod illi qui ado-
rant crucem pari ratione deberent adorare omnes spi-
nas et omnes lanceas, quia sicut in passione Christi fuit
crux in corpore, ita fuerunt spine in capite et lancea
militis in Christi latere. Et multa alia circa istam ma-
teriam de sacramentis Ecclesie vituperabilia dogmati-
zant.
Item, legunt de evangeliis et de epistolis? in vulgari,
applicando et exponendo pro se et contra statum Ro-
mane ecclesie quod longum esset per singula explicare;
set in libris eorum quos habent confectos et infectos de
ista materia plenius leguntur et in confessionibus* cre-
dentium ipsorum, quando convertuntur, plenius au-
diuntur.
[b.] HEC AUTEM SUNT INTERROGATORIA AD CREDENTES DE
sECTA MANICHEORUM. — In primis examinandus interro-
getur si vidit aut scivit alicubi hereticum vel hereticos,
1. Les « parfaits » ne se faisaient d’ailleurs pas faute d’extorquer
des legs ou des dons aux agonisants (J.-M. Vidal, article cité,
p. 12-13).
INTERROGATOIRE DES CATHARES « CROYANTS » 27
lors ne peut sanctifier l’âme : les clercs la vendent par ava-
rice, comme ils vendent la terre pour les sépultures des
morts et l’huile des infirmes quand ils oignent les malades,
comme ils trafiquent de la confession des péchés faite aux
prêtres.
La confession faite aux prêtres de l'Église romaine, ils la
déclarent de nulle valeur : pécheurs, ces prêtres ne peuvent
lier ni délier; impurs, ils ne peuvent purifier les autres.
La croix du Christ ne doit être ni adorée ni vénérée, car
personne n’adore ou ne vénère le gibet auquel son père, un
parent ou un ami aurait été pendu. Ceux qui adorent la Croix,
ajoutent-ils, devraient, avec autant de raison, adorer toutes
les épines et toutes les lances, car, s’il y eut dans la passion
du Christ une croix pour le corps, il y eut des épines pour
la tête et une lance de soldat pour le flanc du Christ. Ils en-
seignent encore beaucoup d’autres choses blâmables sur la
matière des sacrements de l’Église.
Item, ils lisent les Évangiles et les Épitres? en langue vul-
gaire, les expliquant et les interprétant en leur faveur et
contre l’état de l’Église romaine, ce qu’il serait trop long
d’exposer en détail. On en trouve l'exposé développé dans
les livres qu’ils ont écrits et infectés de leur erreur et, à l’oc-
casion, dans les aveux$ des « croyants » convertis.
[b.] INTERROGATOIRES DESTINÉS AUX « CROYANTS » DE LA
SECTE DES MANICHÉENS. — Tout d’abord on demandera au
prévenu s’il a vu ou connu quelque part un ou plusieurs hé-
2. M. Clédat (Le Nouveau Testament traduit au XIII° siècle en
langue provençale, Paris, 1887, p. 1-450) a publié un fac-similé du
Nouveau Testament et J. Benoist (Histoire des Albigeois, Paris,
1691, t. I, p. 283-296) un faux évangile de saint Jean.
3. Les dépositions des auditeurs des ministres cathares n'offrent
pas moins d'intérêt, du moins celles que reçut le tribunal d’in-
quisition de Pamiers. Elles fournissent « jusqu'aux canevas des
allocutions adressées par les parfaits à leurs croyants » (J.-M. Vi-
dal, Le tribunal d’inquisition de Pamiers, p. 123). C’est grâce à
elles que M. Vidal a réussi à donner des aperçus nouveaux sur
la doctrine et la morale des derniers ministres albigeois dans un
article de la Revue des questions historiques, t. LXXXV (1909).
28 DE MODO INTERROGANDI CREDENTES CATHAROS
sciens aut credens ipsos esse aut nominari seu reputari
tales, et ubi vidit et quotiens et cum quibus et quando:;
item, si habuit aliquam familiaritatem cum eis et
quando et quomodo et quis posuit eum in tali familia-
ritate ;
item, si recepit in domo sua aliquem vel aliquos he-
reticos et quem vel quos; et quis adduxit eos illuc et
quantum steterunt ibi et qui visitaverunt eos ibi et quis
inde eduxit eos et quo iverunt;
item, si audivit predicationem eorum et de hiis que
dicebant et docebant;
item, si adoravit eos vel vidit ab aliis adorari aut
eis reverentiam exhiberi modo hereticali et de modo
adorandi;
item, si comedit de pane benedicto ipsorum et de
modo benedictionis dicti panis;
item, si fecit eis pactum seu convenientiam quod vel-
let recipi in fine suo ad sectam et ad ordinem ipsorum;
item, si salutavit eos vel vidit ab aliis salutari modo
hereticali, videlicet ponendo manus ad utrumque mus-
culum heretici et inclinando caput et vertendo ad
utrumque musculum et dicendo tribus vicibus : « Bene-
dicite »,quem modum salutandi in adventu hereticorum
vel in recessu eorum observant perfecti credentes;
item, si interfuit hereticationi alicujus persone et de
modo hereticationis, de nominibus heretici vel hereti-
corum et de personis ibidem presentibus et de loco in
domo in quo persona infirma decumbebat et de tempore
et de hora et si aliquid legavit dicta persona hereticata
hereticis et quid et quantum et quis solvit legatum et si
fuit ibi facta adoratio dicto heretico et si persona hereti-
cata obiit de illa infirmitate! et ubi fuit sepulta et quis ad-
duxit illuc vel eduxit inde hereticum vel hereticos;
INTERROGATOIRE DES CATHARES «( CROYANTS » 29
rétiques, les sachant ou croyant tels de nom ou de réputa-
tion, où il les a vus, combien de fois, avec qui et quand;
item, s’il a eu quelque relation familière avec eux, quand
et comment, et qui la leur a ménagée;
item, s’il a reçu à son domicile un ou plusieurs héré-
tiques, qui et lesquels; qui les lui avait amenés ; combien de
temps ils y restèrent; qui leur a fait visite; qui les a emme-
nés; où ils allèrent;
item, s’il a entendu leur prédication, et en quoi celle-ci
consistait ;
item, s’il les a adorés, s’il a vu d’autres personnes les ado-
rer ou leur faire la révérence à la façon hérétique et quel
était le mode d’adoration;
item, s’il a mangé du pain bénit par eux et quelle était la
manière de bénir ce pain;
item, s’il a conclu avec eux le pacte coyenensa, par le-
quel il désirait être reçu, à l’article de la mort, dans leur
secte et leur ordre;
item, s’il les a salués ou s’il a vu d’autres personnes les
saluer à la mode hérétique, c’est-à-dire en posant les mains
sur les deux joues de l’hérétique, en inclinant la tête, la pen-
chant alternativement vers les deux joues et répétant trois
fois : Benedicite, ce qui est la façon de saluer qu’observent
les « croyants » devenus « parfaits » à l’arrivée et au départ
des hérétiques ; |
item, s’il a assisté à l'initiation de l’un d’eux; comment
celle-ci s’est opérée ; quel était le nom du ou des hérétiques,
les personnes présentes, l’endroit de la maison où gisait le
malade, le temps que dura la cérémonie, l’heure à laquelle
elle eut lieu; si Pinitié a légué quelque chose aux héré-
tiques, quoi et combien, qui a acquitté le legs; si l’adoration
a été rendue à l’hérétique initiateur; si l’initié succomba de
cette maladie! et où on l’enterra; qui a amené ou remmené
le ou les hérétiques ;
1. Afin d’être sûrs de ne pas perdre le bienfait du consolamen-
tum, certains malades se faisaient étouffer ou se laissaient mou-
rir de faim, en la « endura ». Voir Ch. Molinier, L’Endura, cou-
tume religieuse des derniers sectaires albigeois, dans Annales de
la Faculté des lettres de Bordeaux, t. III (1881), p. 282-200.
Manuel de l’inquisiteur. 7
30 DE MODO INTERROGANDI CREDENTES CATHAROS
item, si credidit quod persona hereticata in fide here-
ticorum posset salvari;
item, de hiis que audivit dici aut doceri ab hereticis
contra fidem et contra sacramenta ecclesie Romane et
quid audivit eos dicentes de sacramento eucharistie, de
baptismo et de matrimonio, de confessione peccatorum
facta sacerdotibus, de adoratione seu veneratione sancte
crucis et sic de aliis erroribus eorum superius expres-
satis ;
item, si credidit quod heretici essent boni homines et
veraces et quod haberent et tenerent bonam fidem et
bonam sectam et bonam doctrinam et quod possent sal-
vari ipsi heretici et alii credentes eorum in fide et secta
Ipsorum ;
item, quanto tempore fuit aut stetit in dicta credentia;
item, quando primo incepit ita credere;
item, si adhuc credit idem;
item, quando et quare recessit a dicta credentia;
item, si nunquam alias fuit vocatus aut citatus coram
aliquo inquisitore et quando et quare et si fuit confes-
sus alias de facto heresis et si abjuravit heresim coram
aliquo inquisitore et si fuit reconsiliatus vel absolutus;
item, si ex tunc commisit aliquid in facto heresis et
quid et qualiter, ut supra;
item, si scit aliquem vel aliquos credentes vel consen-
tientes in facto hereticorum vel receptatores eorum;
item, si unquam associavit hereticorum vel hereticos
de loco ad locum vel tenuit libros eorum;
item, si parentes sui fuerunt credentes aut consen-
tientes in facto hereticorum vel fuerunt penitentiati pro
facto heresis.
Hec sunt interrogatoria generalia! dicte secte ex qui-
1. Ainsi qu'on a pu le constater, par cet interrogatoire, les in-
P ’
INTERROGATOIRE DES CATHARES « CROYANTS » 31
item, s’il a cru que la personne initiée à la foi des héré-
tiques pouvait être sauvée;
item, on lui demandera ce que les hérétiques ont soutenu
et enseigné en sa présence contre la foi et contre les sacre-
ments de l’Église romaine; ce qu’il a entendu dire du sacre-
ment d’eucharistie, du baptême et du mariage, de la con-
fession des péchés faite aux prêtres, de l’adoration ou de la
vénération de la sainte Croix et des autres erreurs exposées
ci-dessus;
item, s’il a considéré les hérétiques comme des hommes
bons et sincères, possédant et tenant la bonne foi, la bonne
secte, la bonne doctrine, capables, eux et leurs « croyants »,
d’être sauvés au sein de leur foi et de leur secte;
item, combien de temps il a été ou est resté dans ladite
croyance;
item, quand il a commencé à la partager;
item, s’il y persévère encore;
item, quand et pourquoi il s’en est détaché;
item, s’il a été antérieurement appelé ou cité devant un
inquisiteur, quand et pourquoi; s’il a proféré quelque aveu
sur le fait d’hérésie; s’il a abjuré l’erreur en présence d’un
inquisiteur; s’il a été réconcilié ou absous ;
item, si depuis lors il a commis quelque délit d’hérésie,
lequel et de quelle manière (ainsi qu'il a été dit ci-dessus);
item, s’il connaît un ou plusieurs « croyants » partageant
le sentiment des hérétiques ou les recélant;
item, s’il a accompagné quelquefois d’un lieu à un autre
un ou des hérétiques, ou s’il a possédé quelques-uns de
leurs livres ; |
item, si ses parents ont été « croyants »; s'ils ont partagé
les sentiments des hérétiques ou ont été condamnés à des
pénitences pour fait d’hérésie.
C’est là l’interrogatoire général! de cette secte dont le zèle
quisiteurs s’attachaient à obtenir des aveux touchant les doctrines
que professaient les hérétiques, afin de les mieux combattre. Ils
favorisaient encore plus les dénonciations qui leur permettaient
de découvrir les coupables habiles à se dérober à leurs re-
cherches. Cf. J.-M. Vidal, Le tribunal d’inquisition de Pamiers,
p. 15-58.
32 DE CATHARIS INSTRUCTIO GENERALIS
bus sepius specialia fienda oriuntur per bonam indus-
triam et sollertiam inquirentis.
[6.] INSTRUCTIO SEU INFORMATIO QUEDAM GENERALIS. —
Notandum tamen et advertendum est in predictis quod,
licet fiant tot interrogationes et quandoque alie secun-
dum diversitatem personarum et factorum ad eruendum
et extorquendum plenius veritatem, non tamen expedit
quod omnes interrogationes scribantur, set tantum ille
que magis verisimiliter tangunt substantiam vel naturam
facti et que magis videntur exprimere veritatem. Si enim
in aliqua depositione inveniretur tanta interrogationum
multitudo, alia depositio pauciores continens posset
diminuta videri, et etiam cum tot interrogationibus
conscriptis in processu vix posset concordia in deposi-
tionibus testium inveniri, quod considerandum est et
precavendum.
REMARQUE GÉNÉRALE AU SUJET DES CATHARES 33
discret et l’habileté de l’inquisiteur sauront fréquemment
tirer parti dans l’examen de points spéciaux.
[6.] INSTRUCTION OU REMARQUE GÉNÉRALE. — À propos de
ce qui précède, il convient de noter et de remarquer que si
l’on pose tant de questions et si, à l’occasion, selon la diver-
sité des personnes et des faits, on en ajoute d’autres pour
dénicher et extorquer une grande part de vérité, il n’est pas
expédient toutefois de consigner par écrit toutes les inter-
rogations, mais celles-la seulement qui touchent avec le plus
de vraisemblance à la substance ou à la nature du fait et qui
semblent serrer de plus près la vérité. Si, en effet, une dé-
position présentait un interrogatoire trop développé, une
autre plus succincte risquerait de paraître tronquée et, devant
une telle masse de questions transcrites au cours du procès,
l’on ne pourrait qu'avec peine faire concorder les dépositions
des témoins; ce qui est à considérer et à éviter.
Il
[DE SECTA VALDENSIUM]
[L.] SEQUITUR DE SECTA VALDENSIUM ET PRIMO DE EJUS
ORIGINE ET TEMPORE QUO INCEPIT!'. — Valdensium seu
Pauperum de Lugduno secta et heresis incepit circa
annum Domini Mn Cr LXX®»3;cujus actor et inventor
fuit quidam civis Lugdunensis, nomine Valdesius seu
Valdensis, a quo sectatores ejus fuerunt taliter nomi-
nati, qui dives rebus extitit et relictis omnibus proposuit
servare paupertatem et perfectionem evangelicam si-
cut aposioli servaverunt. Et cum fecisset conscribi sibi
evangelia et aliquos alios libros de Biblia in vulgari
gallico ac etiam aliquas auctoritates sanctorum Augus-
tini, Jeronimi, Ambrosii, Gregorii ordinatas per titulos,
quas ipse et sequaces sententias appellaverunt, ea sepius
secum legentes et minus sane intelligentes, sensu suo
inflati, cum essent modicum litterati, apostolorum sibi
officium usurparunt et presumentes per vicos et plateas
evangelium predicare; dictusque Valdesius seu Valden-
sis multos homines utriusque sexus viros et mulieres ad
similem presumptionem complices sibi fecit ipsosque
ad predicandum tanquam discipulos emittebat.
Qui, cum essent ydiote et illiterati, per villas discur-
rentes et domos penetrantes, tam viri quam etiam mu-
1. Ce paragraphe a été presque intégralement emprunté au
traité De septem donis Spiritus Sancti d’Etienne de Bourbon
(A. Lecoy de la Marche, Anecdotes historiques, légendes et apo-
Il
[LA SECTE DES VAUDOIS]
[1.] De LA SECTE DES VAUDOIS ET PREMIÈREMENT DE SES ORI-
GINES ET DE SES DÉBUTS!. — La secte ou hérésie des Vau-
dois ou Pauvres de Lyon prit naissance vers l’an du Sei-
gneur 11702. Elle eut pour auteur responsable un habitant
de Lyon, Valdès ou Valdo : d’où le nom de ses sectateurs.
Il était riche; mais, après avoir abandonné tous ses biens,
il se proposa d’observer la pauvreté et la perfection évan-
gélique, à limitation des apôtres. Il avait fait traduire pour
son usage en langue vulgaire les Évangiles et quelques autres
livres de la Bible et aussi quelques maximes des saints Au-
gustin, Jérôme, Ambroise et Grégoire, distribués sous des
titres, que lui et ses partisans appelèrent sentences. Ils les
lisaient très souvent, mais n’en avaient guère l'intelligence;
pourtant, infatués d’eux-mêmes, bien qu'ils fussent peu
lettrés, ils usurpèrent la fonction des apôtres et osèrent
prêcher l’évangile dans les rues ou sur les places publiques.
Ledit Valdès ou Valdo entraîna dans cette présomption de
nombreux complices des deux sexes qu'il envoyait prêcher
en qualité de disciples.
Ces gens, bien qu’ignorants et illettrés, parcoururent les
villages, les hommes comme les femmes, et, pénétrant dans
logues tirés du recueil inédit d’Étienne de Bourbon, Paris, 1877;
p. 290-2093). Nous imprimons en italiques dans l'original latin
les passages reproduits textuellement.
2. Le manuscrit 2015, folio 116 r°, de la bibliothèque Mazarine
de Paris, qui contient un extrait de l’ouvrage d’Étienne de Bour-
bon, porte la date de 1180. Cette variante doit être rejetée, parce
qu’elle ne concorde pas avec les événements.
36 DE VALDENSIUM ORIGINE
lieres, in plateis ac etiam in ecclesiis, viri maxime, pre-
dicantes multos errores circumquaque diffuderunt.
Vocati, autem ab archiepiscopo Lugdunensi, domino
Johanne de Bellis Manibus', super tanta presumptione
prohibiti sunt ab eodem, set obedire minime voluerunt,
in velamen sue vesanie pretendentes et dicentes quod
opportebat magis Deo quam hominibus obedire, qui
precepit apostolis omni creature evangelium predicare,
arrogantes sibi id quod apostolis erat dictum; quorum
apostolorum imitatores et successores falsa paupertatis
professione et ficta sanctitatis ymagine se esse temera-
rie asserebant, aspernantes prelatos et clericos, quia di-
vitiis habundabant et in deliciis vivebant.
Sic itaque, ex presumptuosa usurpatione officii predi-
candi, facti sunt magistri erroris: et, moniti ut desiste-
rent, inobedientes et contumaces effecti sunt; et exinde
excommunicati ab illa civitate et patria sunt expulsi.
Demum vero in quodam concilio, quod fuit Rome ante
Lateranense concilium? celebratum, cum essent perti-
naces, fuerunt scismatict judicati et deinde ut heretici
condempnati. Sic itaque multiplicati super terram dis-
perserunt se per illam provinciam et per partes vicinas
et in confinibus Lombardie et, separati ac prescisi ab
Ecclesia, cum aliis hereticis se miscentes et eorum er-
rores bibentes, suis adinventionibus hereticorum anti-
quorum errores et hereses miscuerunt.
[2.1] DE TriPLici 1PSORUM VALDENSIUM NUNCUPATIONE VUL-
GATA. — Valdensium itaque seu Pauperum de Lugduno
vel Insabbatatorum secta dicta est seu nominata a quo-
dam nomine Valdesio seu Valdensi actore et inventore
primo ipsius secte; Pauperes vero de Tugduno dicti seu
1. Lisez aux Blanches-Mains; cf. J. Mathorez, Guillaume aux
Blanches-Mains (Paris, 1911, in-8).
ORIGINE DES VAUDOIS 37
les maisons, prêchant sur les places et dans les églises
même, les hommes en particulier, répandirent autour d’eux
une foule d’erreurs.
Mandés par l’archevêque de Lyon, le seigneur Jean aux
Belles-Mains!, qui leur interdit une telle présomption, ils
refusèrent l’obéissance, soutenant pour pallier leur folie qu'il
fallait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Dieu ordonna
aux apôtres de prêcher l’évangile à toute créature, répé-
taient-ils, en s'appliquant à eux-mêmes ce qui avait été dit
des apôtres, dont ils se déclaraient d’ailleurs avec témérité
les imitateurs et les successeurs, par une fausse profession
de pauvreté et sous l’image déguisée de la sainteté. Ils mé-
prisaient, en effet, les prélats et les clercs, parce que
ceux-ci, disaient-ils, possédaient d’abondantes richesses et
vivaient dans les délices.
Grâce à cette arrogante usurpation de l'office de la prédi-
cation, ils devinrent des maîtres d’erreur. Sommés de re-
noncer à la parole, 1ls désobéirent et furent déclarés contu-
maces et, par suite, excommuniés et chassés de leur ville et
de leur patrie. Finalement, comme ils s’obstinaient, un con-
cile célébré à Rome avant le concile de Latran? les déclara
schismatiques et les condamna comme hérétiques. Ainsi
multipliés sur la terre, ils se dispersèrent à travers la pro-
vince, dans les régions voisines et jusqu’aux confins de la
Lombardie. Séparés et retranchés de l’Église, s’associant,
en revanche, aux autres hérétiques et buvant leurs erreurs,
ils mêlèrent à leurs élucubrations les erreurs et les hérésies
des hérétiques antérieurs.
[2.] Des TRoIS APPELLATIONS VULGAIRES DES VAUDoIs. — On
appelle communément ces hérétiques3 : Vaudois, Pauvres
de Lyon ou « Ensavatés »; Vaudois, du nom de Valdès ou
Valdo, premier auteur et créateur de la secte; Pauvres de
2. Il s’agit ici du quatrième concile de Latran (1215) dont les
actes se trouvent dans Mansi, op. cit., t. XXII, col. 960.
3. Tout le début de ce paragraphe est également inspiré
d’Étienne de Bourbon, éd. citée, p. 290. L’italique, dans l'original
latin, indique les emprunts textuels.
38 DE ERRORIBUS VALDENSIUM
nominati sunt a loco ubi inceptum et ortum habuit;
Insabbatati' autem dicti sunt quia olim a principio sui
Valdenses perfecti speciale signum in modum quasi
scuti in parte superiori sotularium deferebant, in quo
signo ab aliis suis complicibus et credentibus differe-
bant; cujus secte errores in sequentibus subnectuntur,
ut precogniti cautius possint inquiri et examinari.
13.] DE ERRORIBUS VALDENSIUM MODERNI TEMPORIS, QUIA
OLIM PLURES ALIOS HABUERUNT. — Valdensium itaque pre-
dictorum prima heresis fuit et adhuc perseverat con-
temptus ecclesiastice potestatis. Ex hoc autem excom-
municati et traditi Sathane precipitati sunt ab ipso in
errores innumeros et antiquorum hereticorum errores
suis adinventionibus miscuerunt?.
Istius itaque secte devii sectatores et prophani
sores tenent et dogmatizant se non esse subjectos do-
mino pape seu Romano pontifici nec aliis prelatis Ro-
mane ecclesie, asserentes quod Romana ecclesia eos in-
injuste et indebite persequitur et condempnat. Item,
asseverant se non posse excommunicari ab eisdem Ro-
mano pontifice et prelatis nec esse obediendum alicui
ex eisdem precipienti seu mandanti sectatoribus et pro-
fessoribus dicte secte quod ipsam deserant et abjurent,
quanquam per Romanam ecclesiam i ipsa secta tanquam
heretica sit dampnata.
Item, tenent et dogmatizant quod omne juramentum,
tam in judicio quam extra jJudicium sine exceptione et
expositione aliqua, est a Deo prohibitum et illicitum et
peccatum, verba sancti evangelii et sancti Jacobi apos-
toli de non jurando ad hoc quamwvis intellectu tam in-
1. C'est-à-dire chaussés de savates. D’après Innocent III leurs
souliers, coupés sur le dessus, affectaient la forme de. sandales;
voici quelle défense le pape faisait aux disciples de Durand
ERREURS DES VAUDOIS 39
Lyon, du lieu où elle commença et prit naissance; « Ensa-
vatés »1, parce qu’au début les Vaudois « parfaits » portaient
un signe spécial affectant la forme d’un bouclier sur le des-
sus de leurs souliers, afin de se distinguer de leurs com-
plices et des « croyants ». Leurs erreurs vont être exposées
dans les pages suivantes, afin que, grâce à cette connaissance
préalable, on puisse les interroger et examiner avec plus de
prudence.
[8.] Des ERREURS DES VAUDOIS ACTUELS (AUTREFOIS ILS EN
ONT EU PLUSIEURS AUTRES). — Le dédain du pouvoir ecclésias-
tique a été et est encore la principale hérésie des Vaudois.
Excommuniés pour cette raison et livrés à Satan, ils sont
tombés dans d'innombrables erreurs et ont mêlé les erreurs
des anciens hérétiques à leurs propres élucubrations?.
Les partisans égarés et les maîtres sacrilèges de cette secte
soutiennent et enseignent qu'ils ne sont point soumis au sei-
gneur pape ou pontife romain ni aux autres prélats de
l’Église romaine et que celle-ci les persécute et condamne
injustement et indûment. Item, ils ne peuvent, assurent-ils,
être excommuniés par ce pontife romain et ces prélats, et
l’on ne doit obéissance à aucun d’eux, quand ils ordonnent
et mandent aux partisans et docteurs de ladite secte de l’aban-
donner ou de l’abjurer, bien que cette secte soit condamnée
comme hérétique par l’Église romaine.
Item, ils soutiennent et enseignent également que tout
serment, tant en justice qu'ailleurs, sans exception ni expli-
cation, est défendu par Dieu, illicite et coupable, interpré-
tant ainsi en un sens excessif et déraisonnable les paroles
du saint Évangile et de l’apôtre saint Jacques contre le ser-
ment. Il est pourtant avéré que le serment est licite et même
d'Huesca qui penchait vers les idées vaudoises : non se astringant
utendi sandaliis super perforatis neque talibus calceamentis utan-
tur (Migne, Patrologia latina, t. 216, col. 76).
2. Tout le début de ce paragraphe est emprunté au traité De
inquisitione hereticorum de David d’Augsbourg, édité par W. Pre-
ger dans les Abhandlungen def historischen Classe der bayeris-
chen Akademie der Wissenschaften, t. XIV (1879), p. 206. L’ita-
lique, dans l'original latin, indique les emprunts textuels.
40 DE ERRORIBUS VALDENSIUM
sano quam devio applicando, cum tamen, secundum
sanam doctrinam sanctorum et doctorum Ecclesie et
traditionem ejusdem sancte Ecclesie catholice, non so-
lum pro veritate asserenda in Judicio licite et ex debito
sit jurandum, verum etiam ex statuto ejusdem contra
prefatum errorem jamdudum edito : « Si qui ex eis ju-
ramenti religionem superstitione dampnabili respuentes
jurare [forte] noluerint, ex hoc ipso [tanquam] heretici
reputentur!. »
Notandum famen quod ipsi Valdenses dispensant in
juramento ut possit inter eos quis jurare pro morte sua
vel alterius vitanda seu evadenda et etiam ne alios
complices prodat aut secretum secte sue revelet. Dicunt
enim esse crimen inexpiabile et peccatum in Spiritum
Sanctum prodere aliquem de secta sua perfectum.
Item, ex eodem fonte erroris, predicta secta et heresis
asserit omne judicium esse a Deo prohibitum et per
consequens esse peccatum et contra Dei prohibitionem
existere quod judex aliquis in quocumque casu et ex
quacumque causa hominem judicet ad supplicium cor-
poris aut ad penam sanguinis seu ad mortem, verba
sancti evangelii, ubi scribitur : « Nolite judicare et non
judicabiminif », item : « Non occidesf » et quecumque
similia, sine expositione debita ad hec applicans nec
ea intelligens nec recipiens intellectum nec expositionem
eorum, sicut sancta Romana ecclesia ea sane intelligit
et tradit fidelibus secundum doctrinam Patrum et doc-
torum et canonicas sanctiones.
Item, sanctiones canonicas decretalesque constitutio-
nes summorum pontificum et statuta de jejuniis et de
festis colendis ac decreta Patrum predicta secta, devians
a via et recta semita, non recipit nec valere reputat, set
spernit et respuit et condempnat.
ERREURS DES VAUDOIS 41
obligatoire en justice à l'appui de la vérité, non seulement
selon la saine doctrine des saints, des docteurs de l’Église
et de la tradition de la sainte Église catholique, mais encore
en vertu d’un décret jadis porté contre la susdite erreur : Si
quelques-uns d’entre eux, répudiant par une superstition con-
damnable la religion du serment, refusent de jurer, qu’ils
soient de ce fait réputés hérétiques!.
On remarquera que les Vaudois accordent eux-mêmes
des dispenses en matière de serment : ils ont le droit de
jurer pour échapper à la mort ou pour en sauver autrui et
même pour ne point livrer leurs complices et ne point révé-
ler le secret de la secte. Livrer un « parfait » est d’ailleurs,
à leurs yeux, un crime inexpiable et un péché contre le
Saint-Esprit2.
Item, de la même source découle l'erreur suivante, à sa-
voir que tout jugement est interdit par Dieu et, donc, une
faute : il se dresse contre la défense de Dieu, le juge qui
condamne un homme à un supplice corporel, à une peine
sanglante ou à la mort; en cela peu importent le cas et la
cause. C’est qu’ils appliquent, sans les éclaircissements né-
cessaires, les paroles du saint Évangile, où il est écrit : « Ne
jugez pas et vous ne serez pas jugés3 », « Tu ne tueras
point » et autres textes semblables; ils ne les comprennent
point, n’en saisissent ni le sens ni l'interprétation, alors
que la sainte Église romaine les interprète sagement et en
transmet la signification aux fidèles selon la doctrine des
Pères et des docteurs et les décisions canoniques.
Item, la secte n’admet point les sanctions canoniques ni
les décrétales ni les constitutions des souverains pontifes,
pas plus que les règlements concernant le jeûne et l’obser-
vation des fêtes ou les décrets des Pères. S'’écartant du droit
chemin, elle ne leur reconnaît aucune valeur, les méprise,
les rejette et les condamne.
1. Corpus juris canonici, Decretales Gregorit IX, lib. V, tit. VII,
cap. xIn, 8 7. Adjicimus.
2. Tout le début de cet alinéa est encore emprunté à David
d’Augsbourg, éd. Preger, loc. cit., p. 208. L’italique, dans l’origi-
nal latin, indique les emprunts textuels.
3. Matthieu, VIL, 1.
4. Matthieu, V, 21.
42 DE ERRORIBUS VALDENSIUM
Item, circa sacramentum penitentie et claves Ecclesie
perniciosius oberrantes, predicti sectatores dicunt,
tenent et docent se habere potestatem a solo Deo et a
nullo alio, sicut apostoli habuerunta Christo, audiendi
confessiones predictorum virorum ac mulierum sibi
volentium confiteri et absolvendi et penitentias injun-
gendi. Et confessiones talium audiunt et absolvunt et
penitentiam injungunt, quamyvis non sint sacerdotes nec
clerici per aliquem episcopum Romane ecclesie ordi-
nati, set sunt layci simpliciter. Talemque potestatem
non confitentur se habere a Romana ecclesia, set potius
diffitentur, et revera nec a Deo nec ab ejus ecclesia
ipsam habent, cum sint extra Ecclesiam et ab ipsa
Ecclesia jam prescisi, extra quam non est vera peniten-
tia neque salus. |
Item, predicta secta et heresis indulgentias que fiunt
et dantur per prelatos Ecclesie irridendo asserit peni-
tus non valere.
Circa sacramentum vero eucharistie errant, dicentes,
non publice, set in secreto suo, quod in sacramento
altaris panis et vinum non efficitur corpus et sanguis
Christi si sacerdos celebrans aut consecrans sit pecca-
tor; et reputant quemlibet hominem peccatorem nisi
sit de secta ipsorum. Item, dicunt quod consecratio
corporis et sanguinis Christi potest fieri a quolibet
justo, quamvis sit laycus nec sit sacerdos aut presbiter
ab episcopo catholico ordinatus, dum tamen sit de secta
ipsorum! ; et hoc etiam credunt de mulieribus, dummo-
do sint de secta ipsorum, et ita discunt quod omnis
sanctus est sacerdos.
[4.] DE MoDo SEU% RITU CELEBRANDI MISSAM IPSORUM. —
Modus autem seu ritus ipsorum celebrandi missam
a. et F.
ERREURS DES VAUDOIS 43
Item, les partisans de la secte se méprennent plus perni-
cieusement encore sur le sacrement de pénitence et le pou-
voir des clefs. Ils disent avoir reçu — c'est là leur doctrine
et leur enseignement — de Dieu seul et de nul autre, comme
les apôtres qui le tenaient du Christ, le pouvoir d’entendre
les confessions des hommes et des femmes qui désirent se
confesser à eux, de les absoudre et de leur imposer des pé-
nitences. Aussi ils entendent les confessions, absolvent et
donnent des pénitences, bien que n’ayant pas été ordonnés
prêtres ni clercs par un évêque de l'Église romaine et bien
qu’ils restent, en réalité, simples laïcs. Ce pouvoir, ils
n’avouent point le tenir de l’Église romaine, bien plus ils le
nient; et, de fait, ils ne le tiennent ni de Dieu ni de son
Église, puisqu'ils ont été rejetés de l’Église par cette Église
même, hors de laquelle 1l n’y a ni vraie pénitence ni salut.
Item, cette même secte tourne en ridicule les indulgences
instituées et accordées par les prélats de l’Église, disant
qu’elles ne valent rien.
Item, ils errent au sujet du sacrement de l’eucharistie. Au
sacrement de l’autel, prétendent-ils non publiquement, mais
en secret, le pain et le vin ne deviennent pas corps et sang
du Christ, quand le prêtre qui célèbre ou consacre est un
pécheur; et par pécheur ils entendent tout homme qui n’ap-
partient point à leur secte. Item, ils prétendent, en revanche,
que tout juste, même laïc et sans avoir reçu l’ordination
sacerdotale des mains d’un évêque catholique, peut consacrer
le corps et le sang du Christ, pourvu qu’il soit de leur secte:
les femmes, elles aussi, le peuvent, à la même condition. A
les entendre, tout saint est prêtre.
[4.] DE LA MANIERE OU DU RITE SELON LESQUELS ILS CÉ-
LÈBRENT LA MESSE. — Voici leur façon habituelle de célé-
1. Le passage imprimé ici en italiques est emprunté à la con-
sultation de l’évêque de Tarragone, qui a été insérée dans la
Doctrina de modo procedendi contra hereticos (Martène et Durand,
Thesaurus novus anecdotorum, t. V, col. 1800).
44 DE MISSA VALDENSIUM
consuevit esse talis, videlicet quod solum semel conse-
crant* aut missam celebrant in anno, scilicet in Cena
Domini; et tunc, quasi juxta noctem qui preest inter
eos, quamvis non sit sacerdos aut presbiter a catholico
episcopo ordinatus, convocat omnes de familia sua
utriusque sexus et facit ibt ante eos preparari bancum
unum seu Scrinium ad hoc ydoneum et facit poni desu-
per mapam unam mundam; et postea Superponunt unum
plenum cyphum de bono vino puro et unam fogaciam
seu placentam a7imam seu de pane azimo. Postmodum
vero ille qui preest ait astantibus : « Rogemus Domi-
num nostrum quod ipse parcat nobis peccata nostra et
offensiones nostras propter misericordiam suam et ea
que petimus digne propter suam misericordiam debeat
adimplere et dicamus septies Pater noster ad honorem
Dei et sancte Trinitatis, ut ipse hoc faciat. » Et tunc,
flexis genibus, omnes dicunt septies Pater noster et
, postea Surgunt.
Et tunc qui consecrat signat panem et cyphum vini
et, fracto pane, dat omnibus astantibus particulam suam
et postea dat omnibus bibere cum cypho et stant semper
super pedes suos. Et sic finitur eorum sacrificium. Et
credunt firmiter et confitentur quod istud est corpus et
sanguis Domint nostri Jhesu Christi. Et si aliquid
superesset de sacrificio conservarent illud usque ad
Pascha et tunc totum sumerent. Per totum autem resi-
duum spatium anni non dant infirmis suis nisi panem
benedictum et vinum.
Omnes itaque Pauperes dicti Lugdunenses seu Val-
denses eumdem modum consecrandi tenebant ante divi-
sionem que fuit inter eos?, videlicet quando diviserunt
se in Pauperes vocatos lombardos et in Pauperes ci-
tramontanos.
LA CÈNE VAUDOISE 45
brer la messe. Ils consacrent! ou célèbrent une seule fois
par an, le jeudi saint. À peu près à la tombée de la nuit,
celui qui préside, bien qu’il ne soit pas prêtre et n’ait pas
été ordonné par un évêque, convoque toute sa famille,
hommes et femmes. Il fait préparer devant eux un banc ou
un coffre à ce convenable et le fait recouvrir d’une nappe
propre. On y pose ensuite une coupe de bon vin pur et une
fouace ou galette de pain azÿme ou un pain azyme. Puis
celui qui préside dit aux assistants : « Prions Dieu de nous
pardonner nos péchés et nos offenses en vertu de sa misé-
ricorde ; de réaliser, en vertu de cette même miséricorde, les
désirs que nous formulons dignement, et, pour qu’il nous
exauce, récitons sept fois le Pater noster en l'honneur de
Dieu et de la sainte Trinité. » Tous alors se mettent à genoux,
récitent sept Pater noster et se relèvent.
Le consécrateur trace alors le signe de la croix sur le pain
et la coupe de vin, rompt le pain, en distribue une parcelle
à chacun des assistants et, ceux-ci demeurant toujours de-
bout, leur présente la coupe à boire. Ainsi se termine leur
sacrifice. Ils croient fermement et confessent que le corps
et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ sont là présents.
S’il reste quelque chose du sacrifice, ils le conservent jus-
qu’à Pâques et le consomment alors entièrement. Pendant
tout le reste de l’année, ils ne donnent à leurs malades que
du pain bénit et du vin.
Tous les Pauvres de Lyon ou Vaudois observaient le
même rite de consécration jusqu’au jour où, une scission
s’étant opérée parmi eux2, ils se sont séparés en Pauvres
lombards et Pauvres citramontains.
1. La partie de ce paragraphe imprimée en italiques a été tex-
tuellement empruntée à un écrit anonyme inséré dans une dis-
cussion entre un catholique et un cathare (Martène et Durand,
Thesaurus novus anecdotorum, t. V, col. 1754-1755).
2. Cette scission eut lieu vers 1205; elle devint définitive à
partir de 1218, lors de la conférence qui se tint à Bergame en
vue d’une conciliation. Voir K. Müller, Die Waldenser und ihre
einzelnen Gruppen (Gotha, 1886), p. 21-65.
Manuel de Pinquisiteur. 8
46 DE SERMONIBUS VALDENSIUM
Item, negant predicti Valdenses post hanc vitam esse
purgatorium animarum et consequenter orationes et
elemosinas ac missarum celebrationes et alia suffragia
pietatis que fiunt a fidelibus pro defunctis ipsis asserunt
non prodesse.
Item, prelatis et clericis ac religiosis Romane ecclesie,
detrahentes statum eorum, reprobant et condempnant
et dicunt eos esse cecos et duces cecorum et non servare
evangelii veritatem nec sequi apostolicam paupertatem.
Item, ipsam Romanam ecclesiam domum esse mendacii
mordaciter mentiuntur. Item, se ipsos vite et perfec-
tioni apostolice comparantes et meritis coequantes, in
se ipsis inaniter gloriantur, dicentes se esse successores
apostolorum et jactantes se tenere et servare evangeli-
cam et apostolicam paupertatem.
Item, tres esse ordines in sua ecclesia asserunt et
fatentur, videlicet dyachonum et presbiterum et epis-
copum!, quorum et singulorum potestas ab eis solum
dependet et non ab ecclesia Romana; quinymmo ordi-
nes sacros Romane ecclesie non reputant esse a Deo,
set a traditione hominum. Ideoque fallaciter decipiunt
dicentes et fatentes se credere esse in sancta Ecclesia,
intelligentes de sua, sacrum ordinem episcopatus, pres-
biterii et dyachonatus.
Item, nulla miracula que fiunt in Ecclesia sanctorum
meritis et precibus dicunt esse vera, quia nullus ipso-
rum aliquando fecit miraculai. Item, dicunt$ et tenent
in secreto quod sancti in celo non audiunt orationes fide-
lium nec attendunt venerationes quibus eos honoramus
in terris dicuntque sanctos non orare pro nobis et ideo
non opportet nos eorum suffragia implorare. Unde
1. Le passage relatif aux ordres a été emprunté au livre des
sentences de l’inquisition de Toulouse (Limborch, Historia In-
quisitionis, p. 289-291).
PRÉDICATION DES VAUDOIS 47
Item, les Vaudois soutiennent qu’après cette vie, il n’y a
pas de purgatoire et, partant, que les prières, aumônes,
messes et autres suffrages pieux des fidèles ne profitent point
aux défunts.
Item, ravalant les prélats, clercs et religieux de l’Église
romaine, ils les réprouvent et les condamnent. Ce sont,
disent-ils, des aveugles et des conducteurs d’aveugles, qui
n’observent point le pur évangile et ne pratiquent point la
pauvreté apostolique. Item, au gré de leur fallacieuse mé-
chanceté, l’Église romaine est elle-même la demeure du
mensonge. Îtem, en revanche, rapprochant personnellement
leur conduite de la vie et perfection des apôtres et faisant la
balance de leurs propres mérites, ils s’enorgueillissent vai-
nement, se prétendent les successeurs des apôtres, se vantent
de pratiquer et de garder en dépôt la pauvreté évangélique
et apostolique.
Item, ils reconnaissent dans leur église une triple hiérar-
chie : les diacres, les prêtres et les évêques!, dont le pou-
voir ne dépend que d’eux-mêmes et non de l’Église ro-
maine ; bien plus, à leurs yeux, les ordres sacrés de l’Église
romaine ne sont point d’origine divine, mais de tradition
tout humaine. Aussi usent-ils d’un fallacieux artifice quand
ils confessent leur foi à l’existence, dans la sainte Église
(entendez la leur), des ordres sacrés de l’épiscopat, de la
prêtrise et du diaconat.
Item, ces hérétiques se refusent à admettre la réalité des
miracles? dus, au sein de l’Église, aux mérites et aux prières
des saints qui jamais n’en ont opéré de réels. Item, au ciel,
insinuent$-ils en cachette, les saints n’écoutent point les
prières et ne prêtent pas attention aux hommages que nous
leur rendons sur terre; les saints ne prient pas pour nous:
ilest donc inutile d’implorer leurs suffrages. En conséquence,
les Vaudois méprisent les solennités que nous célébrons en
2. Les mots en italiques dans l’original latin ont été emprun-
tés textuellement au traité De inquisitione hereticorum de David
d’Augsbourg, éd. Preger, loc. cit., p. 207.
3. Les mots en italiques dans l'original latin ont été emprun-
tés textuellement au même traité, éd. Preger, p. 208.
48 DE SERMONIBUS VALDENSIUM
spernunt sollempnitates quas in sanctorum veneratione
celebramus et alia quibus eos veneramur vel honoramus
et in diebus festis, ubi caute possunt, operantur.
Hec tamen tria non manifestant indifferenter creden-
tibus suis, set inter se perfecti illius secte sic tenent,
scilicet de miraculis sanctorum, quod non sint vera, et
de suffragiis eorum non implorandis et de festis non
colendis preter diem dominicum et festa beate Marie
Virginis, et aliqui addunt apostolorum et evangelista-
rum.
Hec autem et nonnulla alia erronea et insana, que a
precedentibus necessario consequntur, credentibus suis
clamculo in suis conventiculis dogmatizant. Item pre-
dicant suis credentibus de evangeliis et epistolis aliisque
sacris scripturis quas exponendo corrüumpunt tanquam
magistri erroris qui non noverunt esse discipuli verita-
tis, cum tamen predicatio sit penitus laycis interdicta.
Sciendum quoque est quod predicta secta multos alios
errores ab olim habuit et tenuit et adhuc in aliquibus
partibus habere dicitur in secreto, sicut de celebratione
misse in die Cene, sicut dictum est supra, et de mixto
abhominabili in tenebris faciendo quilibet cum qualibet
indistincte et de apparitione cati et aspersione cum
cauda et de quibusdam aliis que in summulis super hoc
conscriptis! latius continentur.
[6.] DE mono vivenp1 VaLpENsIUM. — De ritu autem
et modo vivendi hereticorum Valdensium aliquid per-
stringendum est consequenter, ut ex hoc aliqualiter dis-
cerni valeant et cognosci.
In primis itaque sciendum est quod Valdenses habent
et constituunt sibi unum superiorem super se, quem
1. Voir en particulier le traité de David d’Augsbourg, cité à la
PRÉDICATION DES VAUDOIS 49
l’honneur des saints et les autres marques de vénération et
d'hommage, et les jours de fête, s’ils le peuvent sans impru-
dence, ils travaillent.
Ces trois derniers points, ils ne les dévoilent pas indiffé-
remment à tous leurs « croyants », mais en réservent la
connaissance aux « parfaits »; c’est à savoir : l’irréalité des
miracles des saints, l’abandon des suffrages qu’on a coutume
de leur adresser, l’inobservation des fêtes, en dehors pour-
tant du dimanche, des fêtes de la bienheureuse Vierge Marie
et, ajoutent d’aucuns, de celles des apôtres et des évangé-
listes.
C'est là, avec quelques autres opinions erronnées et dérai-
sonnables qui découlent nécessairement des précédentes, ce
qu’ils enseignent en secret, au cours de leurs assemblées, à
leurs « croyants ». Item, ils prêchent devant eux sur les
Évangiles, les Épîtres et autres écritures sacrées, qu’ils dé-
forment par leurs explications, en maîtres d’erreur qui
n’ont jamais été les disciples de la vérité; ils savent sou-
vent que la prédication est absolument interdite aux laïques.
Rappelons aussi que la secte a pratiqué autrefois beaucoup
d'autres erreurs, qui persistent secrètement dans certaines
régions, paraît-il, à savoir la célébration de la messe le
jeudi saint, comme on a dit plus haut; accouplement abo-
minable et indistinctement, au milieu des ténèbres, des
hommes et des femmes, apparitions de chats, aspersions avec
une queue, et d’autres plus largement détaillées dans les pe-
tites « sommes » composées! à ce sujet.
[ë.] Du GENRE DE vie Des Vaupois. — Afin de permettre
de les distinguer et de les reconnaître, on parlera briève-
ment du genre de vie de ces hérétiques.
Il faut savoir en premier lieu que les Vaudois ont et éta-
blissent au-dessus d’eux un supérieur nomimé « majoral »,
page précédente, éd. Preger, p. 210. D’ailleurs David d'Augs-
bourg n’ajoute pas foi à ces racontars et pense que les mœurs
que l’on prête aux Vaudois ont été le fait d’autres hérétiques. —
Les « sommes » étaient de courts traités résumant une doctrine
quelconque et affectant la forme de sommaires.
50 DE MODO VIVENDI VALDENSIUM
vocant majoralem suum, cui omnes tenentur obedire,
sicut omnes catholici sunt sub obedientia domini pape.
Item, Valdenses communiter comedunt et bibunt ci-
bos communes. Item, jejunant die lune et die mercurii
qui possunt et volunt: jejunantes tamen vescuntur car-
nibus. Item, jejunant diebus veneris et in quadrage-
sima et tunc abstinent a carnibus, ne ceteris veniant in
horrorem, quia dicunt quod carnes comedere qua-
cumque die non est peccatum, quia Christus non pro-
hibuit vesci carnibus nec precepit ab eis abstinere.
Item, postquam sunt recepti ad illam societatem quam
vocant fraternitatem et promiserunt obedientiam supe-
riori SuO et se servare evangelicam paupertatem, ex
tunc debent servare castitatem et non habere proprium,
set debent vendere omnia que habent et ponere pre-
tium in communi et vivere de elemosinis que dantur
eis a suis credentibus et consentientibus in facto ipso-
rum. Et ille qui major est inter eos distribuit et dis-
pensat cuilibet secundum necessitatem ejus.
Item, Valdenses continentiam laudant credentibus
suis; concedunt tamen ut urenti! libidini satisfieri
debeat quocumque modo turpi, exponentes illud apos-
toli eorum : « Melius est nubere quam uri »?, dicentes
quod melius sit satisfieri libidini quocumque actu turpi
quam intus in corde temptari; hoc autem valde tenent
occultum, ne vilescant apud credentes suos.
Item, collectas faciunt per credentes et amicos et ea
que data sunt et collecta deferunt ad superiorem suum.
Item, singulis annis tenent aut celebrant unum vel
duo capitula generalia in aliqua sollempni villa, occulte
quantum possunt, convenientes in aliqua domo con-
ducta per aliquem vel aliquos de credentibus diu ante,
quasi sint mercatores. Etinillis capitulis major omnium
1. Les mots en italiques, dans l'original latin, sont un nouvel
GENRE DE VIE DES VAUDOIS 5]
auquel tous sont tenus d’obéir, comme tous les catholiques
obéissent au pape.
Item, les Vaudois boivent et mangent comme tout le
monde. Item, ceux qui le peuvent et le veulent jeûnent les
lundis et les mercredis; ces jours-là, pourtant, ils usent de
viande. Item, ils jeûnent le vendredi et en carême; ils s’abs-
tiennent alors de viandes pour ne pas faire horreur aux
autres : en soi, faire gras tous les jours ne serait pas un pé-
ché, car le Christ n’a pas défendu de se nourrir de chair et
n’a pas commandé de s’en abstenir.
Item, après qu’ils ont été reçus dans cette société qu’ils
appellent « fraternité » et qu’ils ont promis d’obéir à leur
supérieur et de garder la pauvreté évangélique, ils doivent
observer la chasteté et ne rien posséder en propre; ils sont
obligés de vendre tous leurs biens, d’en remettre le prix à
la communauté et de vivre des aumônes de leurs « croyants »
et de ceux qui sympathisent avec eux. Le plus âgé procède
à la distribution et donne à chacun selon ses besoins.
Item, les Vaudois prônent à leurs croyants la continence;
ils accordent cependant que l’on satisfasse à l’ardeur de la
passion !, quelle que soit d’ailleurs la turpitude du procédé.
« Îl est meilleur de se marier que d’être en proie à la con-
cupiscence »2, expliquent les apôtres de la secte, et mieux
vaut satisfaire au désir par n’importe quelle indécence que
d’être tenté dans son cœur. Ceci, ils veillent soigneusement
à le tenir caché pour ne point s’avilir aux yeux de leurs
« croyants ».
Item, les Vaudois font des collectes chez leurs « croyants »
et amis et apportent à leur supérieur ce qui a été donné et
recueilli.
Item, chaque année ils tiennent un ou deux chapitres
généraux dans une ville importante, aussi discrètement que
possible; ils se rassemblent, à la manière des marchands,
dans une maison louée, longtemps auparavant, pour un ou
plusieurs « croyants ». Là, le plus ancien règle ce qui con-
emprunt textuel au traité déjà signalé de David d’Augsbourg, éd.
Preger, loc. cit., p. 207.
2. I Corinthiens, VII, 0.
52 DE MODO VIVENDI VALDENSIUM
ordinat et disponit de presbiteris et dyachonibus et de
mittendis ad diversas partes et regiones ad credentes
et amicos suos pro confessionibus audiendis et elemo-
sinis colligendis et audit et recipit rationem de collec-
tis et de expensis factis.
Item, non laborant manibus suis postquam sunt
facti perfecti nec faciunt aliquod opus ad lucrandum,
nisi forsitan in casu ad dissimulandum, ne cognoscan-
tur aut deprehendantur.
Item, communiter vocant se fratres et dicunt se esse
Pauperes Christi seu Pauperes de Lugduno.
Item, aliquando! se ingerunt simulate familiaritati-
bus religiosorum et clericorum, ut se contegant, et
largiuntur eis munera vel dona vel faciunt obsequia
seu servitia ut sibi et suis adquirant oportunitatem
liberiorem latendi et vivendi et nocendi animabus.
Item, frequentant ecclesias et predicationes et in
omnibus se religiose et composite exterius gerunt et
student habere verba quasi linita et cauta.
Item, faciunt multas orationcs in die et dicunt et
instruunt credentes suos quod faciant sicut ipsi et cum
ipsis. Modus autem orandi ipsorum talis est, videlicet
quod, flexis genibus in terra, inclinant et appodiant se
super aliquam bancam vel super aliquid aliud consi-
mile ad hoc aptum et sic, flexis genibus, in terra incli-
nati, stant ibi omnes orantes in silentio ita diu quod
possint dicere XXX2 vel XLa2 vicibus orationem « Pater
noster », et amplius aliquotiens; et hoc faciunt cotidie
regulariter quando sunt cum credentibus suis et con-
sentientibus in facto ipsorum sine aliis extraneis, ante
prandium et post et ante cenam et post et de nocte
quando volunt ire ad lectum, antequam ponant se ad
jacendum; item de mane, postquam surrexerunt de
GENRE DE VIE DES VAUDOIS 53
cerne les prêtres et les diacres et désigne ceux qui doivent
être délégués près des « croyants » et de leurs amis, dans
les diverses régions et contrées, pour entendre les confes-
sions et recueillir les aumônes; on lui rend compte des re-
cettes et des dépenses.
Item, les « parfaits » ne travaillent plus de leurs mains et
ne font aucune œuvre pour de l'argent, sauf le cas échéant,
afin de se dissimuler et de peur d’être reconnus et appré-
hendés.
Item, ils s’appellent communément frères et prennent les
noms de Pauvres du Christ ou Pauvres de Lyon.
Item, parfois! ils s’insinuent hypocritement dans les so-
ciétés de religieux et de clercs, pour se mettre à couvert; ils
leur offrent des présents ou des dons, leur témoignent des
marques de déférence et de soumission et acquièrent ainsi,
pour eux et les leurs, une plus grande liberté de se dissimu-
ler, de vivre et de nuire aux âmes.
Item, ils fréquentent les églises et les sermons et se con-
duisent extérieurement, en tout, avec religion et componc-
tion; ils s’étudient à user d’un langage onctueux et discret.
Item, ils se livrent souvent à la prière au cours de la jour-
née et apprennent à leurs « croyants » à le faire comme eux
et avec eux. Voici leur manière de prier : ils fléchissent les
. genoux jusqu’à terre, se prosternent, en s'appuyant sur une
banquette ou sur quelque autre meuble du même genre; à
genoux, inclinés à terre, ils prient longtemps en silence,
récitant jusqu’à trente à quarante fois2, et plus, l’oraison
Pater noster. Ils agissent ainsi régulièrement chaque jour,
quand ils sont en compagnie de leurs seuls « croyants » ou
complices en hérésie, à l’exclusion de tout étranger, avant
et après le déjeuner, avant et après le dîner, la nuit, avant
de se mettre au lit, le matin, en se levant, et d’autres fois
1. Les mots en italiques, dans l'original latin, sont à nouveau
empruntés textuellement au traité de David d’Augsbourg, éd.
Preger, loc. cit., p. 216.
2. Le Vaudois Raymond de la Côte Saint-André prétendait
qu’on le récitait cinquante fois avant les repas et autant après.
Voir J.-M. Vidal, Le tribunal d’inquisition de Pamiers, p. 134.
54 DE MODO VIVENDI VALDENSIUM
lecto; item in aliquibus aliis vicibus per diem tam de
mane quam de meridie.
Item, nullam aliam orationem dicunt tunc nec docent
nec habent nisi orationem « Pater noster » nec aliquid
reputant salutationem beate Marie « Ave Maria » nec
symbolum apostolorum « Credo in Deum », quia dicunt
illa per Romanam ecclesiam et non per Christum fuisse
ordinata seu composita. Verumptamen articulos fidei
septem de divinitate et septem de humanitate et decem
precepta dechalogi et septem opera misericordie, sub
quodam compendio et sub quodam modo ab eis ordi-
nato et composito, dicunt et docent et in illo plurimum
gloriantur et statim offerunt se promptos ad respon-
dendum de fide sua.
Possunt autem tunc cito hoc modo capi : « Dicas
mihi symbolum fidei, scilicet Credo in Deum, sicut
dicit ecclesia catholica, quia ibi sunt omnes articuli »
et tunc ipsi respondent : « Nescio, quia nullus me
docuit ita. »
Item, antequam ponant se ad mensam benedicunt
eam dicendo : « Benedicite, Kyrie eleison, Christe
eleison, Kyrie eleison, Pater noster »; quo dicto, anti-
quior inter eos dicit in vulgari : « Deus qui benedixit
quinque panes ordeaceos et duos pisces? in deserto dis-
cipulis suis benedicat hanc mensam et ea que sunt super
eam et ea que apponentur in ea. » Et facit signum
crucis, dicendo : « In nomine Patris et Filii et Spiritus
sancti, amen. » |
Item, quando surgunt de mensa in prandio vel in
cena reddunt gratias hoc modo, videlicet quod antiquior
dicit in vulgari illud quod habetur in Apocalipsi$ :
« Benedictio et claritas et sapientia et gratiarum actio,
honor, virtus et fortitudo Deo nostro in secula seculo-
Co. OR TE PS PE RE Re
GENRE DE VIE DES VAUDOIS 55
encore au cours de la journée, dans la matinée ou dans la
soirée.
Item, ils ne récitent, n’enseignent et ne reconnaissent
d'autre prière que le Pater noster. Ils n’ont aucun égard
pour la salutation de la Vierge Mariel, « Je vous salue Ma-
rie », ni pour le symbole des Apôtres, « Je crois en Dieu »,
car ces prières, disent-ils, ont été arrangées ou composées
par l’Église romaine et non par le Christ. Ils conservent
cependant sept articles de foi sur la divinité, sept sur l’hu-
manité, les dix préceptes du Décalogue, les sept œuvres de
miséricorde. Ils en ont constitué une sorte de résumé; ils en
tirent vanité et s’offrent volontiers à répondre de leur foi.
C’est ainsi qu’on peut facilement les surprendre. Vous
leur demandez : « Récitez-moi le symbole de la foi, « Je
« crois en Dieu », selon la formule de l’Église catholique »,
qui, elle, contient tous les articles; ils vous répondront :
« Je ne le sais pas; personne ne me l’a appris ainsi. »
Item, avant de se mettre à table, ils la bénissent en di-
sant : « Bénissez, Seigneur ayez pitié de nous, Christ ayez
pitié de nous, Seigneur ayez pitié de nous, Notre Père. »
Puis, le plus ancien prie en langue vulgaire : « Que Dieu
qui, dans le désert, a béni, pour ses disciples, cinq pains
d’orge et deux poissons, bénisse cette table, ce qu'il y a
dessus et ce que l’on y déposera »; il fait ensuite le signe
de la croix en disant : « Au nom du Père, du Fils et de l’'Es-
prit-Saint. Ainsi soit-il. »
Item, quand ils se lèvent de table, au déjeuner ou au diner,
ils rendent grâces de cette façon : le plus ancien récite en
langue vulgaire ce verset de l’Apocalypses : « Louange,
gloire, sagesse, action de grâces, honneur, puissance et force
soient à notre Dieu, dans les siècles des siècles »; puis, il
1. Certains Vaudois récitaient cependant l’Ave Maria en pré-
sence des inquisiteurs afin de leur cacher leur vraie qualité; ils
s’excusaient de cette pratique en disant qu'après tout ils ne
faisaient que répéter des passages de l'Évangile. Voir E. Comba,
_ Histoire des Vaudois, p. 317.
2. Allusion au miracle de la multiplication des pains (Matthieu,
XIV, 17-21).
3. Apocalypse, VII, r2.
56 DE MODO VIVENDI VALDENSIUM
rum »; et postea subdit : « Deus reddat mercedem bo-
nam et bonum escambium omnibusillis qui benefaciunt
nobis et benedicunt nobis » et « Deus qui dedit nobis
cibum corporalem et det nobis cibum spiritualem »,
et « Deus sit cum nobis et nos cum eo semper ». Et alii
respondent : « Amen. »
Item, quando benedicunt mensam et quando reddunt
gratias, tenent ut frequenter manus junctas et elevant
versus celum.
Item, post prandium, dictis gratiis et facta oratione
ut supra, predicant et docent seu faciunt exortationes
suas de doctrina sua illis qui sunt ibi presentes, si sint
in loco opportuno ubi non timeant de exterioribus vel
servientibus qui non essent consentientes in facto ipso-
rum. Set ut frequentius faciunt predicationes suas de
nocte, post cenam, quando credentes ipsorum sunt
congregati, quia tunc redierunt de operibus suis et
secretius ac securius et abscondite possunt loqui. Et
interdum, facta predicatione, ponunt se omnes ibidem
flexis genibus, inclinati modo quo supra ad orationem;
et aliquando faciunt extingui lumen, si sit ibi, propter
hoc, ut dicitur, ut non videantur vel deprehendantur
ab extraneis seu exterioribus non consentientibus in
facto eorum.
Item, dicunt credentibus suis et informant eos quod
nullo modo revelent eos capellanis aut clericis nec re-
ligiosis neque inquisitoribus, quia, si scirentur, cape-
rentur ab eis, quia inquisitores persecuntur eos et illi
de ecclesia Romana injuste, ut dicunt credentibus suis,
propter hoc quia ipsi serviunt Deo et servant mandata
Dei et paupertatem ac perfectionem evangelicam, sicut
Christus et apostoli. Et dicunt quod ipsi melius cognos-
cunt veritatem et viam Dei quam capellani et clerici et
GENRE DE VIE DES VAUDOIS 57
ajoute : « Que Dieu rende une bonne récompense et un bon
intérêt à tous ceux qui nous font du bien et disent du bien
de nous; que Dieu, qui nous a donné la nourriture corpo-
relle, nous distribue aussi la nourriture spirituelle ; que Dieu
soit avec nous, et nous avec lui, à jamais. » Les autres ré-
pondent : « Ainsi soit-il. »
Item, lorsqu’ils bénissent la table, ils tiennent ordinaire-
ment les mains jointes et les élèvent vers le ciel.
Item, après le repas, la prière et les grâces dites comme
ci-dessus, ils se livrent à la prédication, enseignent et déve-
loppent leur doctrine devant ceux qui sont présents, si, du
moins, ils se trouvent en un lieu opportun où ils n’aient rien
à craindre d’étrangers ou de domestiques qui ne partage-
raient point leur croyance. Le plus souvent, ils prêchent la
nuit, après le repas du soir, quand leurs « croyants » sont
revenus du travail et se sont rassemblés. Ils peuvent alors
parler plus en secret et en toute sécurité. De temps en
temps, après le sermon, l’on s’agenouille et l’on s’incline,
comme il a été dit plus haut, pour la prière. Parfois, on fait
éteindre la lumière!, afin, disent-ils, de ne pas être surpris
par des personnes étrangères à leur foi.
Item, les hérétiques recommandent aux croyants de ne
jamais les dénoncer aux curés, clercs et religieux, ni aux
inquisiteurs : découverts, ils seraient arrêtés, tant ils sont
poursuivis par les inquisiteurs et ceux de l’Église romaine —
injustement d’ailleurs, car, affirment-ils aux « croyants »,
c’est précisément parce qu’ils servent Dieu, gardent ses com-
mandements et pratiquent la pauvreté et la perfection évan-
gélique, comme le Christ et les apôtres. Ne connaissent-ils
pas d’ailleurs la vérité et la voie de Dieu mieux que les cu-
rés, clercs et religieux de l’Église romaine qui ne les persé-
1. L’extinction de la lumière fit accuser les Vaudois de pail-
lardise. I1 semble que ce soit une calomnie. Les poursuites dont
ils étaient l’objet expliquent aisément les mesures de précaution
qu'ils-prenaient. Notons que le même reproche fut adressé aux
chrétiens des premiers siècles. Cf. Comba, Histoire des Vaudois,
p. 339-341.
58 DE MODO DOCENDI VALDENSIUM
religiosi de ecclesia Romana et ideo persecuntur eos
quia ignorant veritatem et quia Christus dixit in evan-
gelio ‘ apostolis et discipulis suis quod, quando essent
persecuti propter nomen Dei quod fugerent de una ci-
vitate in aliam civitatem. Propter hoc ipsi, ut dicunt,
fugiunt persecutionem adversariorum.
[6.] DE mono pocenDt VaLDENsiuM. — De modo au-
tem docendi seu predicandi ipsorum hereticorum Val-
densium aliquid perstringendum est in hoc loco.
Duo siquidem sunt genera secte ipsorum? : quidam
enim eorum sunt perfecti, et isti vocantur proprie Val-
denses. Qui, prius informati, recepti sunt ad ordinem
ipsorum secundum ritum suum wt alios sciant docere.
Isti nichil proprium dicunt se habere nec domos nec
possessiones nec certas mansiones. Si qui autem ipso-
rum antea uxores habuerunt, quando recipiuntur, eas
relinquunt. Hii dicunt se esse apostolorum successsores
et sunt magistri aliorum et confessores et circumeunt
per terras visitando et confirmando discipulos in errore.
Hiis ministrant discipuli et credentes ipsorum necessa-
ria. In quocumque autem loco venerint, insinuant sibi
mutuo adventum illorum et conveniunt ad eos plures ad
hospitium ubi recepti sunt audire et videre eos; et
mittunt eis illuc quecumque bona habent ad comeden-
dum et bibendum et audiunt predicationem ipsorum
in conventiculis que maxime frequentant de nocte,
quando alii dormiunt aut quiescunt.
Non autem statim in principio aperiunt secreta erro-
ris sui, set prius dicunt quales debent esse Christi disci-
puli ex verbis evangelit et apostolorum, dicentes illos
tantum esse apostolorum successores qui vitam eorum
imitantur et tenent; et ex hoc arguunt et concludunt
ENSEIGNEMENT DES VAUDOIS 59
cutent que par ignorance de la vérité? Et puis, le Christ n’a-
t-il pas dit dans l'Évangile! à ses apôtres et à ses disciples
de passer d’une cité à une autre, lorsqu’on les persécuterait
pour le nom de Dieu. Aussi bien, ils ne font eux-mêmes
que fuir la persécution de leurs adversaires.
[(6.] DE LA FAÇON D’ENSEIGNER DES VauDois. — Exposons
brièvement la manière d'enseigner ou de prêcher en usage
chez les hérétiques vaudois.
Il faut distinguer chez eux? deux catégories. Il y a les
« parfaits » : ce sont les Vaudois proprement dits. Après un
temps de préparation, ils sont reçus dans l’ordre, selon un
rite spécial, avec la mission d’en instruire d’autres. Les « par-
faits » prétendent ne rien posséder en propre, ni maisons ni
propriétés ni demeures. S'ils ont pris femme auparavant, ils
l'abandonnent lors de leur réception. Ils se posent en suc-
cesseurs des apôtres, sont les maîtres et les confesseurs des
autres. Ils parcourent le pays, visitant leurs disciples et les
confirmant dans leur erreur. Leurs disciples et « croyants »
pourvoient à leurs nécessités. Arrivent-ils en quelque lieu,
les « croyants » se transmettent mutuellement la nouvelle
et l’on se réunit à la maison où ils sont hébergés, pour les
voir et les entendre. On leur envoie toutes sortes de bonnes
choses à manger et à boire; on écoute leurs prédications,
au cours d’assemblées qu’on fréquente principalement la
nuit, alors que les autres dorment ou se reposent.
Les « parfaits » ne dévoilent pas au premier abord les secrets
de leur erreur. Ils commencent par indiquer quelles quali-
tés doivent avoir les disciples du Christ, d’après les paroles
de l'Évangile et des apôtres; ceux-là seuls, poursuivent-ils,
sont les successeurs des apôtres, qui les imitent et observent
la même ligne de conduite; partant, concluent-ils, le pape,
1. Matthieu, X, 23.
2. Tout ce qui suit a été emprunté au traité De inquisitione
hereticorum de David d’Augsbourg, éd. Preger, loc. cit., p. 209,
210, 213 et 214. Les emprunts textuels sont reproduits en italiques
dans l'original latin.
60 DE MODO DOCENDI VALDENSIUM
quod papa et episcopi et prelati ef clerici, qui habent di-
vitias hujus mundi et sanctitatem aposiolorum non
imitantur, non sunt ecclesie Dei veri pastores et guber-
natores, set lupi rapaces et devoratores nec talibus
Christus dignatur committere Ecclesiam sponsam suam
et ideo eis non est obediendum. Dicunt etiam quod
immundus non potest alium mundare nec ligatus alium
solvere nec reus potest alteri reo judicem® sibi iratum
placare nec ille qui est in via perditionis potest alii
ducatum ad celum prebere. Et isto modo detrahunt
clero et prelatis, ut eos reddant exosos, ne credatur eis
nec obediatur. |
Valdenses itaque communiter in primis dicunt et
docent credentibus suis quedam, que videntur bona et
moralia, de virtutibus et bonis operibus faciendis et de
vitiis cavendis et fugiendis, ut sic facilius in aliis au-
diantur et capiant audientes. Dicunt enim quod homo
non debet mentiri, quia omnis qui mentitur occidit
animam, ut dicit Scriptura'; item, quod homo non
debet facere alii quod non vult sibi fieri?; quod homo
debet servare mandata Dei*; item, quod homo non debet
jurare in aliquo casu, quia Deus prohibuit omne jura-
mentum, in evangelio dicens : « Nolite jurare omnino
neque per celum, quia tronus Dei est, neque per ter-
ram, quia scabellum pedum ejus est, neque per quam-
cumque aliam creaturam, quia homo non potest facere
unum capillum album vel nigrum; set sit sermo vester
est est, non non, et quod amplius est a malo est!. » Et
ista verba multum imprimunt credentibus suis nec
aliquam expositionem super eis recipiunt.
Item dicunt et docent quod jurare semper et in quo-
a. judisio 4, B.
ENSEIGNEMENT DES VAUDOIS 61
les évêques, les prélats et les clercs, qui possèdent les ri-
chesses de ce monde et n’imitent point la sainteté des
apôtres, ne sont pas les véritables pasteurs et pilotes de
l’église de Dieu, mais des loups ravissants et dévorants, à
qui le Christ n’a pu juger bon de confier l’Église, son
épouse; aussi, ne doit-on point leur obéir. Celui qui est
impur ne peut purifier son semblable; celui qui est lié
ne peut délier. Un coupable fléchit-il le juge, déjà irrité
contre lui, en faveur d'un autre accusé? Celui qui est dans
la voie de la perdition se charge-t-il d’en guider un autre
vers le ciel? C’est ainsi qu'ils dénigrent le clergé et les pré-
lats, pour les rendre odieux et ruiner leur crédit et leur
autorité.
Les Vaudois exposent d’ordinaire en premier lieu, devant
leurs « croyants », des idées qui semblent bonnes et mo-
rales, touchant les vertus à pratiquer, les bonnes œuvres à
accomplir, les vices à éviter et à fuir; ils captivent de la
sorte leurs auditeurs qui n’en écoutent le reste que plus
volontiers. Il n’est pas permis de mentir, déclarent-ils : tout
homme qui ment, selon l’'Écriture{, tue son âme. Item, on
ne doit pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’il
nous fit à nous-mêmes2. Item, on doit observer les comman-
dements de Dieu. Item, il ne faut jurer en aucun cas, car
Dieu, dans l'Évangile, a défendu tout serment : « Ne jurez
jamais, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu, ni par la terre,
car c’est son marchepied, n1 par quelque autre créature, car
l’homme ne peut rendre blanc ou noir un seul de ses che-
veux; mais que votre parole soit oui, oui, non, non; ce qu’on
y ajoute vient du malini. » Ils gravent ces sentences dans
l'esprit de leurs « croyants » et n’admettent à leur sujet
aucun éclaircissement.
Item, le serment est toujours et dans n’importe quel cas
1. Sagesse, I, 11.
2. Matthieu, VII, r2.
3. Matthieu, XIX, 17.
4. Matthieu, V, 34-37.
Manuel de l’inquisiteur. 9
62 DE MODO DOCENDI VALDENSIUM
cumque casu est peccatum mortale; et si aliquis de
credentibus ipsorum compellatur jurare in judicio per
aliquam potestatem secularem vel ecclesiasticam, talis
jurans debet de hoc postea confiteri et recipere peni-
tentiam sicut de peccato.
Item, quandoque predicant de evangeliis et de episto-
lis vel de exemplis et auctoritatibus sanctorum, dicendo
et allegando': « Istud dicitur in evangelio vel in epistola
sancti Petri aut sancti Pauli aut sancti Jacobi », vel ita
dicunt : « Talis sanctus aut talis doctor », ut magis
dicta eorum ab auditoribus acceptentur.
Habent autem evangelia et epistolas in vulgari com-
muniter et etiam in latino, quia aliqui inter eos intelli-
gunt. Et aliqui sciunt legere et interdumilla que dicunt
aut predicant legunt in libro, aliquando autem sine
libro, maxime illi qui nesciunt legere, set ea corde tenus
didiscerunt. Item, predicationem suam faciunt in domi-
bus credentium suorum, sicut pretactum est supra,
aliquando in itinere seu in via.
Item, dicunt et docent credentibus suis quod vera
penitentia et purgatorium de peccatis est tantummodo
in hac vita et non in alia. Et ideo dicunt et docent
credentibus suis quod confiteantur sibi peccata sua et
audiunt confessiones eorum et absolvunt confitentes
sibi et injungunt penitentiam confitentibus etimponunt
communiter jeJunia sexte ferie et orationes « Pater
noster ». Et dicunt se habere talem potestatem a Deo
sicut sancti apostoli habuerunt.
Item, dicunt et docent quod anime, quando exeunt
de corporibus, immediate vadunt vel in paradisum, ille
que debent salvari, vel in infernum, ille que debent
dampnari; et non est alius locus animarum post hanc
vitam nisi paradisus vel infernus.
Item, dicunt quod nulla suffragia!' que fiant pro de-
Jfunctis prosunt? eis, quia illi qui sunt in paradiso non
ENSEIGNEMENT DES VAUDOIS 63
un péché mortel; un « croyant » est-il mis devant un tribu-
nal, par la puissance séculière ou ecclésiastique, dans l’obli-
gation de jurer, il doit s’en confesser par la suite et subir
une pénitence comme pour une faute.
Item, ils prêchent parfois sur l'Évangile, sur les Épîtres,
sur les exemples et les maximes des saints : « Ceci est écrit,
allèguent-ils, dans l'Évangile, dans l’épître de saint Pierre
ou de saint Paul ou de saint Jacques »; ou encore ils s’ap-
puient sur tel saint, tel docteur, afin que leur discours soit
mieux accueilli des auditeurs.
Ils ont des évangiles et des épîtres en langue vulgaire
ordinairement, et même en latin, car quelques-uns le com-
prennent. Quelques-uns aussi savent lire, et tantôt lisent ce
qu’ils disent et prêchent, tantôt ne font usage d’aucun livre.
C'est le cas, naturellement, de ceux qui ne savent pas lire;
aussi bien ces derniers ont-ils soin d’apprendre par cœur.
Item, ils débitent leurs sermons dans les maisons de leurs
« croyants », comme il a été dit plus haut, d’autres fois en
voyage ou sur les routes.
Item, selon eux, pour les péchés, la véritable pénitence et
le purgatoire sont du ressort de cette vie et non de l’autre.
C’est pourquoi ils recommandent à leurs « croyants » de
faire connaître leurs fautes; 1ls entendent les aveux, ab-
solvent ceux qui se confessent et leur imposent des pénitences
consistant ordinairement en jeûnes le vendredi et en orai-
sons Pater noster. Ce pouvoir, déclarent-ils, ils le tiennent
de Dieu, comme les saints apôtres.
Item, d’après leurs doctrines, quand les âmes quittent les
corps, celles qui doivent être sauvées vont immédiatement
au paradis, celles qui doivent être damnées, en enfer. Après
cette vie, il n’y a, pour les âmes, d'autre demeure que le
paradis ou lenfer.
Item, ils disent que les « suffrages »! en mémoire des dé-
funts ne profitent en aucun cas à ces derniers? : ceux qui
1. C'est-à-dire les prières pour les morts.
2. Pour ce passage, Bernard Gui fait de nouveaux emprunts
au traité déjà cité de David d'Augsbourg, éd. Preger, loc. cit.,
p. 208. Nous imprimons en italiques dans l'original latin les
mots textuellement reproduits.
64 QUO MODO VALDENSES INTERROGANDI SINT
indigent, illis autem qui sunt in inferno nulla est re-
demptio.
Item, quando audiunt confessiones, dicunt confiten-
tibus quod, quando confitebuntur sacerdotibus, non
dicant nec revelent eis quod confessi fuerunt ipsis Val-
densibus.
[7.] DE ASTUCIIS ET FALLACIIS QUIBUS SE CONTEGUNT® IN
RESPONDENDO. — Notandum est autem quod Valdenses
sunt valde difficiles ad examinandum et inquirendum et
ad habendum veritatem ab eis de erroribus suis propter
fallacias et dupplicitates verborum quibus se contegunt
in responsionibus suis ne deprehendantur; et ideo de
eorum dupplicitatibus et fallaciis aliqua perstringenda
sunt in hoc loco.
In primis! itaque modus eorum talis esse consuevit :
quando aliquis eorum captus offertur ad examinationem,
venit quasi intrepidus et quasi nullius mali sibi conscius
et securus. Interrogatus si scit quare sit captus, respon-
det valde mansuete et subridendo : « Domine, libenter
discerem a vobis causam. » — Interrogatus de fide quam
tenet et credit, respondet : « Omnia credo que debet
credere bonus christianus. » — Examinatus vero quem
reputat bonum christianum, respondet : « Illum qui
credit sicut sancta Ecclesia docet credere et tenere. »
— Interrogatus quam vocat sanctam Ecclesiam, respon-
det : « Domine, quam dicitis et creditis vos esse sanc-
tam Ecclesiam. » — Si dicitur ei : « Ego credo sanctam
Ecclesiam esse Romanam ecclesiam, cui presidet domi-
nus papa et alii prelati sub eo », et ipse respondet :
« Et ego credo, intelligendo quod ipse credit me ita
credere. »
Interrogatus de articulis quos ipse credit, sicut de
a. tagunt F.
MANIÈRE D’'INTERROGER LES VAUDOIS 65
sont au ciel n’en ont pas besoin et, pour ceux qui sont en
enfer, il n’est plus de rédemption.
Item, quand les Vaudois entendent les confessions, ils
engagent les pécheurs qui se confesseraient dans la suite à
des prêtres à ne pas dire, à ne pas révéler qu’ils se sont
déjà confessés à des Vaudois.
[7.] DES FALLACIEUSES ET ASTUCIEUSES RÉPONSES SOUS LES-
QUELLES ILS SE DISSIMULENT. — Îl est très difficile d’interro-
ger et d'examiner les Vaudois : on ne peut leur arracher la
vérité sur leurs erreurs, tant ils se dissimulent sous la du-
plicité et tromperie des mots, pour ne pas être surpris.
Aussi bien, il faut dire ici quelques mots de leur fourberie
et de leur astuce.
Leur manière! d’agir est la suivante. L’un d’entre eux
est-il arrêté pour enquête, il a coutume de se présenter avec
intrépidité, comme si sa conscience était tranquille et sans
remords. Demandez-lui s’il connaît la cause de son arresta-
tion, il répond doucement et avec le sourire : « Seigneur, je
serais heureux de l’apprendre de votre bouche. » — Ques-
tionné sur sa foi et sa croyance : « Je crois tout ce que croit
un bon chrétien », déclare-t-il. — Cherchez à savoir ce qu’il
entend par bon chrétien : « C’est celui qui croit ce qu’en-
seigne la sainte Église. » — Qu’appelle-t-il la sainte Église ?
« Seigneur, répond-il, ce que vous-même dites et croyez être
la sainte Église. » — « Je crois, poursuivez-vous, que c’est
l’Église romaine gouvernée par le pape et les autres prélats
sous son autorité. » — « Et moi aussi, je le crois », assure-t-il,
c’est-à-dire je suis persuadé que telle est bien votre croyance.
Interrogé par ailleurs sur les articles qu’il croit réellement,
1. Tout ce paragraphe est écrit à l’aide du traité de David
d’Augsbourg, éd. Preger, loc. cit., p. 229-232. L'italique, dans
l'original latin, indique les emprunts textuels. — Des « parfaits »
tombés entre les mains des inquisiteurs dédaignaient de se
défendre, avouaient leurs erreurs et préféraient le bûcher plutôt
que de se rétracter. Voir J.-M. Vidal, Le tribunal d'inquisition de
Pamiers, p. 129-135 et p. 235.
66 QUO MODO VALDENSES INTERROGANDI SINT
incarnatione Christi et ejus resurrectione et ascensione,
tunc respondet alacriter' dicens : « Firmiter credo. » —
Interrogatus si credit panem et vinum in missa ad verba
sacerdotis virtute divina transubstantiari in corpus et
sanguinem Christi, respondet : « Nonne deberem bene
hoc credere? » — Si autem examinans dicat ei : « Non
quero si debeas credere, set si credis », respondet :
« Credo quicquid vos et quicquid alii boni doctores me
jubent credere. »
Dicitur eidem : « Tlli boni doctores quibus vis cre-
dere sunt magistri secte tue cum quibus, si ego sentio,
credis michi et illis, set aliter non credis. » — Tunc
respondet : « Etiam, vobis libenter credo, si aliquid me
docetis quod michi sit bonum. » — Dicitur eidem : « Hoc
judicas tibi bonum, si ego doceo te quod et alii magis-
tri tui docent, set responde simpliciter si credis esse in
altari corpus Domini Jhesu Christi. » — Tunc respon-
det prompte : « Credo », intelligens quod ibi est corpus
et quod omnia corpora sunt Domini Jhesu Christi.
Tunc, amplius examinatus si credit ibi esse illud cor-
pus Domini quod natum est de Virgine et pependit in
cruce et resurrexit et ascendit in celum, respondet : « Et
vos, domine, numquid ita creditis? » — Dico ei : « Lta
omnino credo. » — Respondet etille : « Et ego similiter
credo », intelligens se credere me ita credere.
Examinatus super ista fallacia et pluribus aliis consi-
milibus ut explicite et directe respondeat, respondet :
« St omnia que dico vultis aliter interpretari quam sane
et simpliciter, tunc nescio quid vobis debeam respon-
dere; simplex homo sum et illiteratus : nolite me capere
in verbis meis. » — Dicitur eidem : « Si homo simplex
es, responde et age simpliciter sine palliatione verbo-
rum. » — Tunc respondet : « Libenter. »
1. À partir d'ici, Bernard Gui recommence ses emprunts au
MANIÈRE D'INTERROGER LES VAUDOIS _ 67
comme l’incarnation du Christ, sa résurrection et son as-
cension, il répond cette fois promptementt : « Je crois fer-
mement. » — Qu'on lui pose cette question : « Crois-tu qu’à la
messe le pain et le vin sont, par les paroles du prêtre et en
vertu de la puissance divine, transsubstantiés en corpseten
sang du Christ? », il répondra : « Ne devrais-je pas le bien
croire? » — « Je ne te demande pas, poursuit l’interroga-
teur, si tu dois le croire, mais si tu le crois. » — « Je crois
tout ce que vous et les autres bons docteurs m’ordonnent
de croire. »
« Ces bons docteurs auxquels tu ajoutes foi ne seraient-
ils pas les maîtres de ta secte? Si je pense comme eux, tu
me crois en même temps qu'eux; s’il en est autrement,
non. » — « Vous-même, je vous crois volontiers, si vous
m'enseignez le bien. » — « Tu appelles bien ce qui, dans
mon enseignement, concorde avec celui de tes autres
maîtres; mais réponds-moi simplement : crois-tu que sur
l’autel réside le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ? » —
« Je le crois », répond-il promptement, entendant que sur
l'autel 1l y a un corps et que tous les corps sont à Notre-
Seigneur Jésus-Christ.
« Je vais plus à fond : ce corps du Seigneur est-il celui qui
est né de la Vierge, a été attaché à la croix, est ressuscité,
est monté au ciel? » — « Et vous, seigneur, est-ce là ce que
vous croyez? » — « Je le crois absolument. » — « Et moi
aussi, je le crois », déclare-t-il, c’est-à-dire je suis persuadé
que telle est votre croyance.
Essaie-t-on de tirer au net toutes ces réticences et autres
roueries du même genre, de le forcer à répondre explicite-
ment et sans ambages, il vous réplique : « Si vous ne voulez
point interpréter sainement mes paroles, je ne sais que dire :
je suis un homme simple et illettré; daignez ne pas m’em-
brouiller dans mes discours. » — L’engage-t-on à répondre
en homme simple et donc simplement, sans feinte : « Bien
volontiers », dira-t-il.
traité de David d'Augsbourg, De inquisitione hereticorum, éd.
Preger, loc. cit., p. 229-2352. Nous imprimons, comme précédem-
ment, en italiques dans l'original latin les passages qu'il a
textuellement reproduits.
68 QUO MODO VALDENSES INTERROGANDI SINT
Tunc dicitur eidem : « Vis ergo jurare quod nunquam
didiscertis aliquid contra fidem quam nos dicimus et cre-
dimus esse veram? » — Respondet aliquantulum pavi-
dus : « Si debeo jurare, libenter jurabo. » — Dicitur ei-
dem : « Non queritur a te utrum debeas, set an velis ju-
rare. » — Respondet : « Si jubetis me jurare, jurabo. »
— Dico ei : « Non cogo te jurare, quia cum tu credas
illicitum esse juramentum, tu velles refundere culpam
in me qui te coegissem ; Set si tu juraveris, ego audiam. »
— Tunc respondet : « Ut quid ergo jurabo, si non jube-
tis ? » — Dicitur eidem : « Ut auferas suspicionem, que
est contra te, quod tu reputaris esse hereticus Valdensis
credendo et tenendo quod omne juramentum est illici-
tum et peccatum!. » — Tunc respondet : « Quomodo ego
debeo dicere jurando? » — Dicitur ei : « Jura sicut scis. »
— Respondet : « Domine, nescio nisi vos me doceatis. »
— Tunc dico ei : « Siego deberem jurare, tunc, elevata
manu et tactis sacrosanctis Dei evangeliis, dicerem :
Juro per ista sancta Dei Evangelia quod nunquam didici
nec credidi aliquid quod sit contra veram fidem quam
sancta Romana ecclesia credit et tenet. » — Tunc ille
contremiscens et quasi qui nesciat eadem verba formare,
cespitabit in eis ut vel ipse vel alius interloquatur et
verba aliqua interponat ne fiat directa forma jurandi,
set quedam locutio non juratoria, ut tamen ab aliis ju-
rasse putetur. Si autem continuaverit verba illa, tunc
ipse intendit ea revolvere, fallaciter et non per ea jurare
et sic fallere circumstantes ut putetur jurasse. Aut enim
formam jurandi convertit in formam orandi, ut : « Sic
me Deus adjuyet et ista sancta Evangelia quod non sum
hereticus vel non feci vel non dixi hoc vel illud »; aut
verba juramenti tantum modo ruminat non intendendo
1. Les Vaudois affirmaient en effet que tout serment était illi-
OR ES
MANIÈRE D'INTERROGER LES VAUDOIS 69
On lui fait alors la proposition suivante : « Veux-tu jurer
que tu n’as jamais rien appris de contraire à la foi que nous
disons et croyons être la vraie? » — « Si je suis obligé de
jurer, je jurerai volontiers », répond-il timidement. — « Je ne
te demande pas si tu es obligé de prêter serment, mais si tu
le veux. » — « Si vous me l’ordonnez, je jurerai. » — « Je
ne te force pas de jurer; je sais qu’à tes yeux le sermentest
illicite et que tu en rejetterais la faute sur moi qui t’au-
rais contraint; mais si tu jures, je t’écouterai. » — « Pour-
quoi jurerais-je, si vous ne me l’ordonnez? » — « Pour effa-
cer le soupçon qui pèse sur toi; on te regarde précisé-
ment comme un hérétique vaudois qui croit tout serment
illicite et coupablel. » — « De quelle manière dois-je
jurer? » — « Jure comme tu sais. » — « Je ne le saurais
faire, si vous ne me l’enseignez. » — « Si j'avais à jurer, je
lèverais la main, et touchant les saints Évangiles de Dieu je
dirais : je jure par les saints Évangiles de Dieu que jamais
je n’ai appris ni cru rien de contraire à la foi que croit et
tient la sainte Église romaine, » Alors, tremblant, tel un
homme qui ne sait point parler, il bégayera, s’arrêtera, fera
en sorte qu’on l’interrompe, évitant ainsi une formule di-
recte de serment, se servira d'expressions non juratoires,
mais qui soient considérées comme telles par les auditeurs.
Achève-t-il la phrase commencée, il en détourne hypocrite-
ment le sens, n’entend point faire un serment et, passant
pour avoir juré, trompe ainsi les assistants. Ou bien encore,
il transforme la formule de serment en formule de prière,
par exemple : « Que Dieu et les saints Évangiles me viennent
en aide, je ne suis pas hérétique, je n’ai pas fait, je n’ai pas
dit ceci ou cela. » Ou il se contente simplement de mar-
motter la formule, sans avoir l’intention de jurer. Deman-
cite et qu’en prêter un constituait un péché indiscutable; mais à
cette doctrine certains d’entre eux apportaient quelques atténua-
tions, car nous en voyons un groupe, dans la région de Pamiers,
déclarer, vers 1320, que, pour « mortel » qu’il soit, le péché n'est
cependant pas « très grave » (peccare mortaliter, licet non mul-
tum graviter). Voir J.-M. Vidal, Le tribunal d'inquisition de
Pamiers, p. 131.
70 QUO MODO VALDENSES INTERROGANDI SINT
jurare. Cum autem queritur ab eo an juraverit, respon-
det : « Nonne vos audivistis me jurare? »
Quando autem interrogationibus artantur aut morose
deliberant quomodo callide respondeant non directe, ubi
timent deprehendi, aut ad aliud quam ad principalem
interrogationem respondent aut dicunt se esse simplices
aut nescire sapienter respondere.
Cum autem vident astantes libenter eis compati quasi
simplicibus quibus fiat injuria et in quibus nichil mali
inveniatur, assumunt fiduciam et simulant se flere et
miserabiles ostendere et adulari examinantibus ut sic
eos ab inquisitione deflectant, dicendo : « Domine, siin
aliquo deliqui, libenter portabo penitentiam; tantum
juvate me ut ab ista liberer infamia de qua sum sine
culpa et ex invidia diffamatus. »
Si autem aliquis consentit jurare simpliciter, tunc
dicendum est ei : « Si tu nunc quras ut sic libereris,
notum tibi sit quod michi non sufficit unum juramen-
tum vel duo vel decem vel centum, set totiens quotiens
petiero; quia scio quod inter vos dispensastis et ordi-
nastis de certo numero juramentorum quando necessi-
tas cogit, ut sic vos vel alios liberetis, set sine numero
volo requirere juramenta et insuper, Si habuero testes
contra te de contrario, non proderunt tibi juramenta
tua. Et tunc maculasti conscientiam tuam jurando con-
tra eam, et propter hoc non evades. »
In tali autem anxietate vidi! aliquos confiteri errores
suos, ut evaderent; aliquos autem vidi aperte tunc con-
fiteri quod ex quo non prodesset eis semel vel certo nu-
mero et non ultra jurare ut evaderent, tunc omnino ju-
rare recusarunt, asserentes omne juramentum esse illi-
1. Dans ce passage, tout en se donnant les apparences de parler
d’après ce que lui apprit son expérience personnelle, Bernard
Gui a copié servilement David d’Augsbourg (loc. cit.), au risque
_ “ œ — emume = En : 14 ne ——
ee GET ana pri ee
MANIÈRE D'INTERROGER LES VAUDOIS 71
dez-lui s’il a prêté serment : « Ne m’avez-vous pas entendu
jurer? », vous répondra-t-il.
Si ces hérétiques sont poussés dans leurs derniers retran-
chements, ils réfléchissent longuement, cherchent des dé-
tours, afin de ne pas répondre directement, quand ils
craignent d’être découverts; ils répondent à côté de la ques-
tion, disent qu’ils sont des gens simples, ne sachant pas ré-
pondre avec intelligence.
Dès qu’ils voient les assistants leur témoigner quelque
sympathie, comme à de pauvres gens que l’on traite injus-
tement et dans lesquels on ne trouve aucun mal, ils prennent
confiance, font mine de pleurer, excitent la pitié, flattent les
interrogateurs, afin de les fléchir et de faire dévier l'enquête :
« Seigneur, disent-ils, si j’ai péché en quelque chose, je suis
prêt à subir une pénitence; aidez-moi seulement à me libé-
rer de cette inculpation; j’en suis innocent et c’est par ja-
lousie que l’on m'a diffamé. »
Mais l’un d’entre eux consent parfois à prêter serment et
sans explications. Dans ce cas, il faut lui dire : « Tu jures à
présent afin d’être relâché, mais sache-le : un seul serment ne
me suffit point. Je puis en exiger deux, dix, cent, autant que
je voudrai. Je n’ignore pas que vous vous accordez des dis-
penses; vous vous permettez un nombre déterminé de ser-
ments quand la nécessité presse et qu’il s’agit de vous libérer.
Aussi ai-je l’intention d’en requérir un nombre indéfini; bien
plus, tes serments ne te seront d'aucune utilité s1 des té-
moins se dressent contre toi. Comme tu auras souillé ta
conscience en prêtant serment contrairement à ta convic-
tion, cette fois tu n’échapperas pas. »
J'en ai vu! qui, dans une telle anxiété, avouaient leurs
erreurs, afin d’en finir. D’autres déclaraient ouvertement
que, si jurer une fois ou tant de fois ou plus ne leur profitait
de tromper le lecteur. Il n’a sans doute ni vu ni entendu lui-
même les hérétiques dont il conte ici les ruses. Il s'approprie
indûment les propres témoignages de son prédécesseur. Les Vau-
dois dont il reçut les aveux nous sont connus par le Liber sen-
tentiarum inquisitionis T'olosanæ publié par Limborch dans son
Historia Inquisitionis (Amsterdam, 1692), p. 200-359. Ils n’y appa-
raissent pas aussi retors.
72 DE VALDENSIUM SOPHISTICIS RESPONSIONIBUS
citum et peccatum. Et cum quereretur ab aliquo eorum
quare voluerit jurare, si reputabat esse illicitum, res-
pondebat : « Volui me liberare a morte per hoc et vitam
meam conservare et pro peccato postea penitentiam su-
bire. »
[8.] DE SOPHISMATIBUS ET DUPLICITATIBUS VERBORUM IPSO-
RUM. — Notandum'! est itaque quod heretici, quia non
possunt se defendere per potentiam nec per rationes,
nec per auctoritates contra fidei veritatem, ideo statim
recurrunt ad sophismata et duplicitates et fugas verbo-
rum, ne deprehendantur in suis erroribus. Et hoc est
unum signum evidens per quod cognosci possunt esse
heretici in duplicitatibus respondendo.
Est autem unum genus sophisticandi ipsorum per ver-
borum equivocationem, ut cum queritur si credunt sa-
cramentum baptismi, eucharistie vel penitentie vel ma-
trimonit vel ordinis vel extreme unctionis, respondent
quod bene credunt; set per ista omnia ipsi intelligunt
vel bonam voluntatem cordis vel penitentiam interiorem.
Item equivocant corpus Christi verum ad corpus misti-
cum, guod est ecclesia, et ad corpus cujuslibet boni homi-
nis, quod dicunt esse Christi, sicut et alia corpora; et
sic, cum queritur si credunt corpus Christi, respondent
in equivocato et in dupplicitate.
Item, est aliud genus equivocandi ipsorum. Cum que-
ritur : « Credis Christum natum et passum et resur-
rexisse, etc.? », respondent : « Bene et firmiter », et in-
telligunt et exponunt : « {d est, bonam et firmam cre-
dentiam habeo de pertinentibus ad sectam meam. »
Item est aliud genus sophisticandi per conditionis ad-
jectionem, ut, cum queritur : « Credis hoc vel illud? »,
respondent : « Si Deo placet, ego bene credo hoc vel
RÉPONSES ÉQUIVOQUES DES VAUDOIS 73
en rien, ils refusaient nettement de le faire et que, d’ailleurs,
tout serment était illicite et coupable. Demandait-on à l’un
d’eux pour quelle raison, regardant le serment comme illi-
cite, il avait accepté de jurer : « Je voulais, répondait-il, évi-
ter la mort, conserver la vie et je pensais faire ensuite péni-
tence pour mon péché. »
[8.] DE LEURS SOPHISMES ET ÉQUIVOQUES. — Ne pouvant!
opposer à la vraie foi ni la force ni des raisonnements ni
des autorités, les hérétiques ont recours à des sophismes,
équivoques et échappatoires, afin de ne pas être surpris
dans leurs erreurs. Le seul fait d'employer de ces mots à
double sens est déjà un signe evident d’hérésie.
Une première sorte de sophisme en usage parmi eux est
l’équivoque. Leur demande-t-on s’ils croient aux sacrements
de baptême, d’eucharistie, de pénitence, de mariage, de
l’ordre et de l’extrême-onction, ils répondront : « Je le crois
bien »; mais tout cela signifie ou la bonne volonté du cœur
ou la pénitence intérieure. Ils confondent le véritable corps
du Christ avec son corps mystique (l’Église), avec le corps
d’un homme juste que, comme les autres corps, ils disent
appartenir au Christ. Aussi, demandez-leur s'ils croient au
corps du Christ, leur réponse est équivoque et à double
sens.
Autre exemple; à la question : « Crois-tu que le Christ est
né, a souffert, est ressuscité... etc.? », la réponse est : « Je
le crois bien et fermement » ; mais, sur leurs lèvres, cela si-
gnifie : jai ferme et bonne croyance en ce qui concerne les
points admis par ma secte.
Un autre sophisme consiste à introduire une condition.
Interrogez-les : « Crois-tu ceci ou cela? » — « S'il plaît à
1. À partir d'ici, Bernard Gui abandonne le traité de David
d’Augsbourg, dont nous l'avons vu faire, au 8 7, un si large usage,
et se rabat sur le traité De septem donis Spiritus Sancti d’Etienne
de Bourbon, déjà cité, p. 34, n. 1 (édition Lecoy de la Marche,
p. 311-313), auquel il emprunte de nombreux passages. Nous im-
primons en italiques dans l'original latin Iles parties reproduites
textuellement.
74 DE VALDENSIUM SOPHISTICIS RESPONSIONIBUS
illud », intelligentes quod Deo non placet quod ipsi cre-
dant.
Item est alius modus obiciendo questionem contra
questionem, ut clavum clavo retundant.
Item est alius modus per diversam responsionis extor-
sionem, ut, cum queritur : « Credis quod possit fieri
aliquod juramentum vel judicium sanguinis sine pec-
cato? », respondet hereticus : « Et quomodo creditis vos
et alii? » — Cui cum respondetur : « Nos ita credimus »,
tunc respondens hereticus : « Et ego bene credo »,
intelligens quod nos ita credimus et dicimus, non quod
ipse credat illud quod queritur ab eo.
Item, est aliud genus illudendi per admirationem, ut
cum queritur ab aliquo si ita credat, respondet cum ad-
miratione, quasi iratus : « Quid crederem ego aliud,
numquid debeo ego ita credere? »
Item, est aliud genus per diversam relationem, ut, cum
queritur si credit quod omnis qui jurat peccet in ju-
rando, respondet : « Qui dicit verum non peccat »; item,
sic respondet : « Qui jurat dicendo verum non peccat »;
et tamen credit quod jurando peccat, set non dicendo
verum.
Item, est aliud genus per translationem, ut, cum que-
ritur unum, transfert se ad aliud.
Item, cum queritur ab eo per unum, transfert se ad
alios, ponens eos in verbis.
Item, est alius modus per sui justificationem, ut, cum
queritur ab eo de fide, justificat se, dicens : « Ego sum
homo simplex et illiteratus et nescio istas questiones,
subtilitates, et de facili caperetis me et induceretis in
errorem. »
Multos autem modos alios decipiendi habent quod
magis docet usus quam ars.
Notandum etiam quod heretici quandoque simulant
se fatuos vel alienatos mente, sicut David coram Achis!;
RÉPONSES ÉQUIVOQUES DES VAUDOIS 75
Dieu, répondent-ils, je le crois bien. » Mais ils ont la con-
viction que cette croyance ne plaît pas à Dieu.
Item, une troisième méthode consiste à opposer question
à question, comme on repousse un clou avec un autre clou.
Item, d’autres fois ils vous extorquent diverses réponses.
Leur demande-t-on, par exemple : « Crois-tu qu’on puisse
sans péché faire un serment ou prononcer une sentence de
mort? », ils vous répliquent : « Quelle est sur ce point votre
croyance, à vous et aux autres? » — Répondez-vous : « Je
crois que c’est licite. » — « Et moi aussi, je le crois bien »,
assurent-ils, c’est-à-dire : je pense que telle est votre
croyance, et non pas : je crois ce que l’on exige de moi.
Item, feindre l’étonnement est encore un moyen de faire
illusion. Vous les interrogez sur leur foi, 1ls paraissent sur-
pris, se mettent presque en colère : « Quelle autre foi au-
rais-je donc? Ne dois-je pas penser ainsi? »
Item, parfois ils emploient une tournure diflérente.
Croient-ils, par exemple, leur demande-t-on, que tout
homme pèche, qui prête un serment? « Celui qui dit vrai,
répondent-ils, ne pèche pas », ou encore : « Celui qui jure
en disant la vérité ne pèche pas »; or, pour eux, celui-là
pèche en jurant, mais non pas en disant la vérité.
Item, ils détournent la question et répondent à côté.
Item, ils appliquent à d’autres ce que l’on demande d’eux-
mêmes, impliquant ces autres personnes dans leurs discours.
Item, ils emploient une autre méthode, la justification; en
présence d’une interrogation concernant leur foi, ils s’ex-
cusent : « Je suis simple et illettré; j'ignore ces questions,
ces subtilités ; il vous est facile de me surprendre, de m'in-
duire en erreur. »
ls usent d’une multitude d’autres roueries; mais, plus
que la théorie, la pratique renseignera à ce sujet.
A noter pourtant que les hérétiques simulent parfois la
folie ou l’aliénation mentale, comme David devant Achis!;
1. Î Reg., XXI, 12-15.
76 DE CONVERSIS VALDENSIBUS EXAMINANDIS
et, quando proferunt errores suos, interserunt verba
impertinentia et irrisoria et quasi fatua, ut per hoc coo-
periant falsitates suas et quasi jocose videantur dicere
quicquid dicunt. Et aliquos tales sepe vidi!. Per supra-
dictas autem responsionum fallacias et multas alias, quas
nimis longum et fastidiosu m esset conscribere — et coti-
die novas inveniunt® — intendunt aut occultare se
ipsos, ut quasi innocentes et immunes evadant, aut ut
inquisitores tedio lassati desistant eos insequi aut ut
infametur inquisitor apud laycos, quod simplices ho-
mines videatur infestare sine causa et querere occasio-
nem perdendi eos nimis cautelose examinando.
De modo itaque examinandi et interrogandi illos qui
convertuntur et confitentur de secta et heresi Valden-
sium sunt in sequentibus aliqua perstringenda.
[9.] INTERROGATORIA SPECIALIA AD ILLOS DE SECTA VAL-
DENSIUM. — În primis igitur ille qui confitetur de secta
Valdensium interrogetur si unquam vidit vel audivit
aliquem vel aliquos de secta aut societate aut fraterni-
tate illorum quos appellamus Valdenses seu Pauperes
de Lugduno {ipsi autem injter] se vocant se Fratres seu
Pauperes Christi);
item, ubi et quando et cum quibus et quos vidit;
item, siunquam audivit predicationem aut doctrinam
seu admonitiones aut verba ipsorum;
item, de verbis que audivit ab eis et de doctrina 1p-
sorum ;
item, quid audivit ab eis de juramento?, utrum sem-
per et in omni casu sit peccatum;
a. inveniunt et À, Bet E, ce qui est une erreur évidente, que
C et Font corrigée.
1. Bernard Gui est ici indépendant, aussi bien de David d’Augs-
bourg que d’Étienne de Bourbon. Il semble donc, cette fois,
INTERROGATOIRE DES VAUDOIS CONVERTIS 77
tout en professant leurs erreurs, ils y mêlent des expres-
sions impertinentes, ridicules, presque insensées ; ils en en-
veloppent leurs mensonges et paraissent tout dire en riant.
J'en ai vu souvent de ce genre!. Grâce aux susdites fourberies
et à nombre d’autres qu’il serait trop long et fastidieux de
décrire — ils en inventent d’ailleurs chaque jour de nouvelles
— ils cherchent à se dissimuler et à sortir de l’enquête in-
nocents et indemnes ; ils essaient de lasser le zèle des inqui-
siteurs et de faire abandonner la poursuite; ou bien encore
ils pensent, par ces moyens, nuire auprès des laïques à la
réputation de l’inquisiteur : celui-ci ne semble-t-il pas, et sans
raison, harceler des gens simples, chercher à les perdre par
de trop cauteleuses interrogations ?
On traitera donc brièvement ci-après de la manière d’exa-
miner et d'interroger ceux des Vaudois qui avouent leurs
erreurs et se convertissent.
[9.] INTERROGATOIRE PARTICULIER A CEUX DE LA SECTE DES
Vaupois. — À celui qui avouera faire partie de la secte des
Vaudois on posera les questions suivantes : a-t-il vu ou en-
tendu un ou plusieurs membres de la secte, société ou fra-
ternité que nous appelons Vaudois ou Pauvres de Lyon
(eux-mêmes se nomment entre eux Frères ou Pauvres du
Christ)?
Item, où, quand, avec qui les a-t-il vus et quels ils
étaient ?
Item, a-t-il écouté leurs prédications, enseignements, avis
ou paroles ?
Item, qu’a-t-il appris d’eux et sur leur doctrine?
Item, que lui ont-ils dit au sujet du serment?? Est-il tou-
jours et dans tous les cas un péché?
parler d’après son expérience et non plus s'approprier, comme on
l’a vu faire plus haut (p. 70, n. 1) les assertions d’autrui en les
présentant comme un témoignage personnel.
2. On a vu plus haut (p. 68 et n. 1) que les Vaudois considé-
raient la prestation d’un serment comme un « péché mortel »,
mais qu’en fait cette doctrine rigide n’était pas sans subir, dans
la pratique, quelques atténuations, au moins chez certains de
leurs adeptes.
Manuel de Pinquisiteur. 10
78 DE CONVERSIS VALDENSIBUS EXAMINANDIS
item, de purgatorio animarum post mortem seu post
vitam hanc;
item, de suffragiis! que fiunt pro defunctis;
item, de indulgentiis que dantur aut fiunt per papam
et per prelatos ecclesie Romane, quamwvis deistis tribus
articulis non loquatur indifferenter et explicite coram
omnibus simplicioribus credentibus suis et coram ma-
gis provectis et perfectis in secretis ipsorum;
item, si comedit cum eis in eadem mensa vel vidit eos
comedentes in prandio vel in cena;
item, de modo benedictionis mense et de modo red-
dendi gratias post mensam;
item, si ante prandium vel post et ante cenam vel
post vidit eos orantes et de modo orandi et standi in
oratione;
item, si ipse oravit cum eis vel vidit alios orantes et
quos et ubi et quando et de hiis que dicunt orando;
item, si unquam fuit confessus peccata sua alicui vel
aliquibus de Valdensibus et cui vel quibus;
idem, si recepit absolutionem de peccatis et peniten-
tiam ab eisdem et quam penitentiam et si complevit
eam et de modo absolutionis;
item, si audivit ab eis dici vel scivit aut credidit quod
ipsi non erant sacerdotes ordinati per aliquem episco-
pum de ecclesia Romana;
item, si credebat tunc aut credidit quod confessio
peccatorum quam fecit eis et absolutio et penitentia
quam recepit ab eis valerent sibi ad salutem anime ac
si sacerdoti suo proprio? ordinato per episcopum de
ecclesia Romana fuisset confessus et per eum absolutus
et recepisset penitentiam ab eodem; si autem respondet
quod non, tunc efficaciter arguendum est contra eum,
INTERROGATOIRE DES VAUDOIS CONVERTIS 79
Item, que lui ont-ils dit relativement au purgatoire des
âmes après la mort ou après cette vie?
Item, touchant les « suffrages »! pour les défunts?
Item, concernant les indulgences concédées par le pape
et les prélats de l’Église romaine, quoique les Vaudois ne
parlent pas indistinctement et explicitement de ces trois
derniers articles en présence des plus simples de leurs
« croyants », mais seulement devant les plus au courant et
les mieux instruits de leurs secrets.
Item, a-t-il mangé à la même table qu'eux? Les a-t-il vus
déjeuner ou dîner?
Item, quelle était leur façon de bénir la table et de rendre
grâces après le repas?
Item, les a-t-1l vus prier avant ou après le déjeuner, avant
ou après le dîner? Comment priaient-ils? Comment se te-
naient-ils pendant la prière?
Item, a-t-il prié lui-même avec eux? En a-t-il vu d’autres
prier? Qui, où, quand? Qu’ont-ils dit en priant?
Item, a-t-il parfois confessé ses péchés à un ou plusieurs
Vaudois? Qui était-cer
Item, a-t-il reçu de ses fautes absolution et pénitence?
Quelle était la pénitence? L’a-t-il accomplie? Quel était le
mode d’absolution ?
Item, a-t-il appris de la bouche de ces hérétiques, a-t-1l
su ou pensé que ces derniers n’avaient pas reçu l’ordination
sacerdotale des mains d'un évêque de l’Église romaine?
Item, pensait-il alors ou a-t-1l pensé ensuite que ces
confession, absolution et pénitence avaient pour le salut de
son âme autant de valeur que s’il s'était confessé à son
propre prêtre, ordonné par un évêque de l’Église romaine,
et s’il en avait reçu l’absolution et la pénitence? Si la ré-
ponse est négative, il faudra discuter sérieusement avec lui.
1. Sur le sens de ce terme liturgique, encore en usage, voir ci-
dessus, p. 63, n. 1.
2. C'est-à-dire au curé de son domicile.
80 DE CONVERSIS VALDENSIBUS EXAMINANDIS
quare confitebatur tali quem sciebat non esse sacerdo-
tem, nisi sciret aut crederet sibi prodesse; nec est sibi
credendum de facili hoc dicenti;
item, si confitebatur peccata sua semel in anno, in
quadragesima vel ante pascha, proprio sacerdoti! et si
tunc inter alia confitebatur eidem quod vidisset Val-
denses et audivisset eos docentes et fuisset confessus
eis peccata sua; et si respondit quod non, interrogetur
de causa quare non confitebatur de predictis;
item, si communicabat semel in anno in pascha, quia
Valdenses non communicant, nec etiam credentes eo-
rum, nisi hoc facerent ad dissimulandum, quia non
habent fidem in sacrificio facto per sacerdotes ecclesie
Romane, quamvis istud multum teneant secretum nisi
inter perfectos credentes suos;
item, si credidit Valdenses seu illos, qui dicunt se esse
Pauperes Christi et vocant se Fratres, esse bonos homi-
nes et justos seu sanctos et habere et tenere bonam
fidem et bonam sectam in qua ipsi et illi qui crederent«
eisdem possent salvari, quamvis audivisset et sciret
quod non concordabant cum fide illorum de ecclesia
Romana, et quod illi de ecclesia Romana persequeban-
tur eos;
item, quando tempore stetit in dicta credentia et quis
induxit eum ad credendum ita et quando recessit a
dicta credentia et quare;
item, si dedit aliquid Valdensibus aut recepit ab eis
aliquid aut scivit hoc de aliqua alia persona;
item, si duxit eos de loco ad locum? et quos;
a. credunt E.
1. Le 21° canon du quatrième concile de Latran (1215) avait
obligé tous les fidèles ayant atteint l’âge de raison à se confesser
au moins une fois l’an à leur propre curé et à communier au
INTERROGATOIRE DES VAUDOIS CONVERTIS 81
Pourquoi se confessait-il à de tels personnages, sachant
qu’ils n'étaient pas prêtres, sinon avec la conviction du pro-
fit qu’il en retirerait? Et il faudra prendre garde d’accepter
trop facilement ses explications.
Item, confessait-il ses péchés au moins une fois l’an, en
carême ou avant Pâques, à son propre prêtre !? Avouait-il
alors, entre autres choses, avoir fréquenté des Vaudois, avoir
écouté leurs prédications, s'être confessé à eux? S’il répond
non : pourquoi cachait-il les faits susdits ?
Item, communiait-il au moins une fois l’an, à Pâques?
Les Vaudois, en effet, ne communient pas, leurs « croyants »
non plus, si ce n’est par dissimulation; car ils ne croient
pas au sacrifice offert par les prêtres de l’Église romaine.
Ils tiennent pourtant cet article secret, sauf les « parfaits »
et les « croyants ».
Item, a-t-il regardé les Vaudois ou ceux qui s’intitulent
Pauvres du Christ et se donnent le nom de Frères comme
d’honnèêtes gens, justes et saints, possédant la vraie foi et
appartenant à la bonne secte? A-t-il pensé qu’eux et leurs
« croyants » pouvaient être sauvés dans celle-ci, sachant
bien pourtant et ayant entendu dire que leur foi n’était pas
conforme à celle des gens de l’Église romaine et que ces
gens entamaient des poursuites contre eux?
Item, depuis quand partage-t-il cettre croyance? Qui l’y a
amené ? Quand l’a-t-il délaissée et pourquoi?
Item, a-t-il fait quelque présent à des Vaudois? En a-t-il
reçu quelque don? A-t-il appris quelque chose de semblable
touchant une autre personne?
Îtem, a-t-il accompagné des Vaudois d’un lieu à un autre2?
moins à Pâques (Corpus juris canonici, Decretales Gregorii IX,
lib. V, tit. XXXVIII, cap. x).
2. Le caractère itinérant des ministres vaudois, auquel il est
ici fait allusion, s’accentua dans la seconde moitié du xrv* siècle.
La hiérarchie ecclésiastique mentionnée par Bernard Gui (dans
notre tome II, appendice II, n° 8) disparut ou du moins se trans-
forma. Il n’y eut plus que des missionnaires, appelés « barbes »,
et soumis à un chef suprême. Voir J. Marx, L’inquisition en Dau-
phiné, p. 12.
82 DE CONVERSIS VALDENSIBUS EXAMINANDIS
item, si scit aliquem vel aliquos receptatores et cre-
dentes 1psorum ;
item, si fuit alias coram aliquo inquisitore pro facto
Valdensium citatus aut vocatus aut captus et si fuit con-
fessus et absolutus et si habuit penitentiam et abjuravit
heresim et sectam Valdensium in judicio et similia ge-
neralia.
INTERROGATOIRE DES VAUDOIS CONVERTIS 83
Item, connaît-il quelqu'un de leurs hôtes ou de leurs
« croyants »?
Item, a-t-il déjà comparu devant un inquisiteur pour fait
de vaudoisie? Avait-il été cité, mandé ou arrêté? A-t-il
avoué? A-t-il été absous? Une pénitence lui a-t-elle été im-
posée? A-t-il abjuré judiciairement l’hérésie et la vaudoisie
et autres choses semblables ?
[II
[DE SECTA
PSEUDO-APOSTOLORUM]
[1.] SEQUITUR DE SECTA PsEUDO-APOSTOLORUM! QUI
DICUNT SE APOSTOLOS CHRISTI. — Apostolorum secta
apostatica et heretica cepit et inventa fuit circa annum
Domini M CC LX a quodam qui dictus est Gerardus
Segarelli de Parma, ubi tandem fuit tanquam heresiar-
cha per judicium ecclesie condempnatus pariter et com-
bustus?; cujus successor in doctrina et secta extitit qui-
dam nomine Dulcinus® Novariensis, spurius filius sacer-
dotis, qui secte sue sequaces plurimos congregavit, qui
tandem captus fuit cum quadam nomine Margarita,
consorte sua, in scelere et heresi fuitque per judicium
ecclesie tanquam hereticus cum predicta heretica con-
dempnatus et combustus, sicut in quodam tractatu super
hoc facto plenius enarraturi.
[2.] DE Mono QUO RECIPIUNTUR AD SECTAM ET ORDINEM
ILLUM. — Modus autem receptionis quo hujusmodi
Pseudo-apostoli recipiuntur ad sectam et ordinem illum
talis esse dicitur, sicut habitum est ab aliquibus eorum-
dem in judicio deprehensis, videlicet quod ïlle qui
debet recipi aut profiteri illum ordinem, prius infor-
1. Sur les Pseudo-Apôtres, voir l’article Apostoliques du Dic-
tionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, publié sous
la direction de A. Baudrillart et A. Vogt, t. III (1924), col. 1038-
1048.
[II
[DE LA SECTE
DES PSEUDO-APOTRES]
[1.] DE LA seCcTE DES PsEuDo-APôÔTRES!, QUI SE DISENT
APÔTRES DU CHRIST. — Les débuts de la secte apostate et
hérétique des « Apôtres » remontent à l’an du Seigneur 1260.
Elle fut fondée par un certain Gérard Segarelli, de Parme,
qui, à la fin, fut condamné comme hérésiarque par jugement
de l’Église et brûlé2. Il eut comme successeur, à la tête de
la secte, un certain Dolcinoi, de Novare, fils illégitime d’un
prêtre. Ce dernier fit beaucoup d’adeptes et finit par être
arrêté avec une nommée Marguerite, sa compagne dans le
crime et l’hérésie. Tous deux furent condamnés comme hé-
rétiques par jugement de l’Église et brûlés, ainsi que cela
est raconté plus au long dans un traité spéciali.
[2.] COMMENT ON INITIE A LA SECTE. — Voici la manière
dont les Pseudo-Apôtres sont initiés, d’après les dépositions
judiciaires de quelques-uns des leurs. Celui qui désire être
reçu ou faire profession dans l’ordre est tout d’abord ins-
truit, par un ou plusieurs autres de la même secte ou du
2. Le supplice de l’hérétique eut lieu le 18 juillet 1300. Voir
EF Tocco, Gli Apostolici e fra Dolcino, dans l’Archivio storico
italiano, série V, t. XIX (1897), p. 247.
3. Sur Dolcino voir A. Baudrillart, Dictionnaire d'histoire et de
géographie ecclésiastiques (article Apostoliques), t. III, col. 1041-
1044.
4. C'est le mémoire inséré dans le tome IX, 5° partie, de la
nouvelle édition des Rerum Italicarum Scriptores de Muratori
(Città di Castello, 1907, in-4°), p. 16-36. Le texte en est représenté
par les variantes du manuscrit de l’Ambrosienne A. 129, inf.,
fol. 129 r°-151 r°, que le nouvel éditeur a, à tort, rejetées en notes.
86 QUO MODO FIAT PSEUDO-APOSTOLUS
matur per aliquem vel aliquos alios ejusdem secte vel
ordinis de modoet ritu vivendi ipsorum et de perfectione
illius vite quam dicunt esse apostolicam. Et postmodum
in aliqua ecclesia, coram aliquo altari vel etiam in
aliqua platea communi, presentibus aliquibus ejusdem
secte vel ordinis vel etiam aliquibus aliis, ille exuit se
omnibus vestimentis suis in signum expoliationis et
renuntiat omnibus que possidet in signum perfectionis
evangelice paupertatis et in corde suo facit votum Deo
quod deinceps vivet in paupertate evangelica. Et ex
tunc non debet recipere peccuniam nec habere nec
portare, set debet vivere de elemosinis que sibi gratis et
sponte ab aliis offerentur, nichil in crastinum reser-
vando. Item, non promittit obedientiam alicui homini
mortali set soli Deo, et ex tunc reputat se esse in statu
apostolice et evangelice paupertatis et perfectionis et
soli Deo et nulli homini esse subjectum, sicut fuerunt
apostoli subjecti Christo et nulli alii.
[3.] SEQUITUR DE ERRORIBUS DICTE SECTE !. — Aposto-
lice seu magis aposiatice et heretice secte predicte devii
sectatores in primis latenter dogmatizaverunt, et adhuc
quibus et quando et ubi possunt latentius et secretius
dogmatizant quod tota auctoritas a domino Jhesu
Christo collata dudum ecclesie Romane est omnino eva-
cuata et jam cessavit propter malitiam prelatorum.
Item, quod ecclesia Romana, quam tenent papa et
cardinales et prelati et clerici et religiosi, non est eccle-
sia Dei, set reprobata ecclesia sine fructu. |
Item, quod ecclesia Romana est illa Babilon mere-
trix magna de qua scribit Johannes in Apocalipsi?, que
apostatavit a fide Christiÿ.
1. Les paragraphes 3 à 8 ont été presque intégralement em-
pruntés au mémoire indiqué plus haut, p. 85, n. 4. Voir l'édition
précitée des Rerum Italicarum Scriptores, p. 24-25, 28-30. Nous
imprimons en italiques dans l'original latin les passages repro-
duits textuellement.
æ TS
INITIATION DES PSEUDO-APÔTRES 87
même ordre, de leur conduite et genre de vie, de cette vie
parfaite qu’ils appellent apostolique. Puis, à l’intérieur d'une
église, devant quelque autel, ou même sur quelque place
publique, en présence de quelques sectateurs et même
d’autres assistants, le postulant quitte ses vêtements en
signe de dépouillement; il renonce à tous ses biens, mar-
quant ainsi la perfection de la pauvreté évangélique, et, dans
son cœur, fait à Dieu le vœu d’observer désormais la pau-
vreté évangélique. À partir de ce moment, il ne doit plus
accepter d’argent ni en posséder ni en porter sur lui, mais
doit vivre des aumônes qu’on lui offre gracieusement et
spontanément, sans rien réserver pour le lendemain. Item,
il ne promet obéissance à aucun mortel, mais à Dieu seul.
I] se croit dès lors dans l’état de pauvreté apostolique et
évangélique et de perfection, n'étant soumis à personne
autre qu’à Dieu, comme les apôtres n'étaient soumis à per-
sonne autre qu’au Christ.
[8.] S’'ENSUIVENT LES ERREURS DE LA SECTE !. — Les secta-
teurs dévoyés de la susdite secte apostolique ou plutôt apos-
tate et hérétique ont tout d’abord enseigné en cachette —
et maintenant encore enseignent quand les circonstances
de personnes, de temps et de lieux leur permettent de le faire
plus mystérieusement et plus secrètement — que toute Jl’au-
torité conférée autrefois par Notre-Seigneur Jésus-Christ à
l'Église romaine est actuellement totalement épuisée et a
cessé d’exister à cause de la malice des prélats.
Item, l’Église romaine, que BOUVEFAENT le pape, les cardi-
naux, prélats, clercs et religieux, n’est point, disent-ils,
l'Église de Dieu, mais une église réprouvée et sans fruit.
Item, c’est cette Babylone, la grande prostituée, dont
parle Jean dans l’Apocalypse? et qui a renié la foi du Christi.
2. Apocalypse, XVII, 5.
3. On verra un peu plus loin que les Béguins professaient les
mêmes théories au sujet de l'Eglise romaine, mais, comme nous
l'avons rappelé dans notre Introduction, p. xzn, sur beaucoup
d’autres points essentiels la doctrine des Béguins et celle des
Pseudo-Apôtres divergeaient et représentaient des tendances tout
à fait distinctes.
88 DE ERRORIBUS PSEUDO-APOSTOLORUM
Item, quod tota illa potestas spiritualis quam Chris-
tus dedit Ecclesie ab initio translata est in sectam illo-
rum qui se dicunt apostolos seu de ordine apostolorum,
quam sectam seu ordinem vocant congregationem
spiritualem a Deo missam et electam in istis novissimis
temporibus.
Item, quod ipsi qui dicunt se esse apostolos Christi,
et nulli alii, habent potestatem quam habuit a Deo bea-
tus Petrus apostolus.
Item, quod Gerardus Segarelli' de Parma predictus
fuit primus actor et principium hujus secte.
Item, Dulcinus Novariensis scripsit in epistolis suis?
de predicto Gerardo quod ipse fuerit planta Dei pullu-
lans in radice fidei, in qua Deus cepit reducere ecclesiam
suam ad perfectionem et vitam et statum et pauperta-
tem ecclesie primitive, in illo statu in quo Christus
commisit ecclesiam beato Petro apostolo.
Item, dicunt quod ipsi soli qui dicuntur apostoli de
predicta secta seu congregatione sunt ecclesia Dei et
sunt in illa perfectione in qua fuerunt primi apostoli
Christi. Et ideo dicunt se non teneri alicui homini
obedire, nec summo pontifici nec alteri, quia eorum
regula, quam dicunt fuisse immediate a Christo, libera
est et perfectissima vita.
Item, quod nec papa nec aliquis alius potest eis
precipere quod deserant statum illum seu vitam tante
perfectionis.
Item, quod papa nec aliquis alius potest eos excom-
municare.
Item, quod de quolibet statu et ordine potest quilibet
licite et pro libito voluntatis sue transire ad eorum
vitam et statum seu ordinem, sive sit religiosus sive
secularis, ita quod vir sine consensu uxoris et uxor
ERREURS DES PSEUDO-APÔTRES 89
Item, toute la puissance spirituelle, qu’au commencement
le Christ remit à l’Église, a été reportée sur la secte de ceux
qui se disent apôtres ou de l’ordre des Apôtres. Cette secte
ou ordre est, selon eux, la congrégation spirituelle envoyée
et réservée par Dieu pour ces derniers temps.
Item, ceux-là seuls, et point d’autres, qui s’intitulent les
apôtres du Christ, possèdent la puissance qu’a tenue de
Dieu le bienheureux apôtre Pierre.
Item, Gérard Segarelli de Parme! est le premier fondateur
et la souche de la secte.
Item, Gérard Segarelli, écrit dans ses lettres? Dolcino de
Novare, fut une plante divine, un rejeton de la racine de la
foi. C’est alors que Dieu commença de ramener son Église
à la perfection, vie, condition et pauvreté de l’Église primi-
tive, à cet état dans lequel le Christ avait confié l’Église au
bienheureux apôtre Pierre.
Item, selon eux, ceux-là seuls qui se disent apôtres de la
susdite secte ou congrégation constituent l’Église de Dieu;
eux seuls possèdent la perfection des premiers apôtres du
Christ. Partant, ils ne sont tenus d’obéir à aucun homme,
souverain pontife ou autre, car leur règle, qui leur vient
immédiatement du Christ, est un régime de liberté et une
vie très parfaite.
Item, ni le pape ni aucun autre ne peut leur prescrire
d'abandonner un état ou une vie d’une telle perfection.
Item, le pape ni personne n’a le droit de les excommunier.
Item, tout membre d’un autre ordre ou état, régulier ou
séculier, peut licitement, à son gré, passer à leur vie, état
et ordre; un homme peut sans le consentement de sa femme,
une épouse sans le consentement de son mari, quitter la
1. Segarelli ne donna aucun enseignement doctrinal propre-
ment dit à la secte qu’il fonda; c'était un illettré, incapable de
lui en fournir un. Rêveur, mystique, indolent de caractère, il ne
se posa même pas en chef; il se contenta de répéter un petit
nombre de règles de conduite morale chères à certains milieux
franciscanisants et de s'inspirer du langage prophétique de Joa-
chim de Flore. Ce sont en réalité les doctrines de Dolcino qu’ex-
pose ici Bernard Gui. Voir F. Tocco, Gli Apostolici e frà Dolcino,
dans l’Archivio storico italiano, série V, t. XIX (1897), p. 241-275.
2. Dont on trouvera le texte au tome Il, appendice I, 28 4 et 5.
90 DE ERRORIBUS PSEUDO-APOSTOLORUM
sine consensu viri potest relinquere statum matrimonii
et intrare ordinem ipsorum et quod nullus prelatus
ecclesie Romane potest separare matrimonium, set ipsi
possunt.
Item, quod nullus de vita seu statu vel ordine ipso-
rum potest licite intrare alium ordinem seu regulam
sine peccato mortali nec potest se supponere obedientie
hominis cujuscumque, quia hoc esset descendere a vita
perfectissima ad minus perfectam.
Item, quod nullus potest salvari aut intrare in regnum
celorum nisi sit de statu seu ordine ipsorum, quia extra
statum seu ordinem illum deinceps, ut dicunt, nullus
salvabitur.
Item, quod omnes qui persecuntur eos peccant et sunt
in statu dampnationis et perditionis.
Item, quod nullus papa Romane ecclesie potest ali-
quem absolvere nisi esset ita sanctus sicut fuit beatus
Petrus apostolus, vivendo in omnimoda paupertate sine
proprio et in humilitate, non faciendo guerras nec
aliquem persequendo, set permittendo vivere quemlibet
in sua libertate.
Item, quod omnes prelati Romane ecclesie, tam
majores quam minores, a tempore sancti Silvestri,
postquam declinaverunt a modo vivendi priorum sanc-
torum, sunt prevaricatores et seductores, excepto fratre
Petro de Marrone, qui fuit papa Celestinus' appellatus.
Item, quod omnes ordines religiosorum et sacerdotum
et dyachonorum et subdyachonorum et prelatorum suni
ad fidei catholice detrimentum.
Item, quod layci non debent nec tenentur dare deci-
mas alicui sacerdoti seu prelato Romane ecclesie qui
non sit in tanta perfectione et in tanta paupertate in
quanta fuerunt primi apostoli; et ideo, dicunt quod
ERREURS DES PSEUDO-APÔTRES 9I
condition du mariage et entrer dans leur ordre; n’ont-ils pas
le pouvoir, que ne possède aucun prélat de l'Église romaine,
de briser les mariages ?
Item, il est défendu, sous peine de péché mortel, de pas-
ser de leur vie, état ou ordre, à une autre règle ou à un autre
ordre; il n’est pas permis non plus de se placer sous l’au-
torité d’un homme, quel qu’il soit, car ce serait descendre
d’une vie très parfaite à une vie moins parfaite.
Item, nul ne peut être sauvé ou entrer dans le royaume
des cieux s’il n’appartient à leur état ou ordre, en dehors
duquel, comme ils disent, personne ne sera sauvé.
Item, tous ceux qui les poursuivent pèchent et sont dans
un état de damnation et de perdition.
Item, un pape de l’Église romaine n’aurait le pouvoir
d’absoudre que s’il était aussi saint que le bienheureux
apôtre Pierre, vivant dans une absolue pauvreté, sans rien
en propre, dans l’humilité, ne faisant pas de guerres, ne
poursuivant personne, permettant au contraire à chacun de
vivre à sa guise.
Item, depuis le temps de saint Sylvestre, époque où ils
ont abandonné le genre de vie des premiers saints, tous les
prélats de l’Église romaine, les grands comme les petits,
ont été des prévaricateurs et des séducteurs, sauf pourtant
le frère Pierre de Morrone!, pape sous le nom de Célestin.
Item, les religieux de tous ordres, les prêtres, diacres,
sous-diacres et prélats portent préjudice à la foicatholique.
Item, les laïques ne sont point obligés ni tenus de payer
la dîime à un prêtre ou prélat de l’Église romaine qui ne pra-
tiquerait point une perfection et une pauvreté telles que les
pratiquaient les premiers apôtres; aussi les dîimes ne doivent-
1. Il s'agit de Pierre de Morrone, fondateur des Célestins, qui
devint pape sous le nom de Célestin V le 5 juillet 1294 et abdi-
qua le 13 décembre suivant. On peut consulter sur lui F.-X. Sep-
pelt, Monumenta Cœlestiniana. Quellen zur Geschichte des Papstes
Cœlestin V (Paderborn, 1921, in-8°), et G. Holinsteiner, Die Au-
tobiographie Cœælestins V, dans le Rômische Quartalschrift für
christliche Altertumskunde und Kirchengeschichte, t. XXXI (1923),
P. 29-40.
92 DE ERRORIBUS PSEUDO-APOSTOLORUM
decime non debent dari nisi ipsis qui dicuntur apostoli
et sunt pauperes Christi.
Item, quod quilibet homo et qualibet mulier nudi
simul possunt jacere in uno et eodem lecto et licite
tangere mutuo unus alterum in omnti parte sui et oscu-
lari se invicem sine omni peccato et quod conjungere
ventrem suum cum ventre mulieris ad nudum, si quis
stimuletur carnaliter, ut cesset temptatio, non est pec-
catum. Item, quod jacere cum muliere et commisceri ex
carnalitate majus est quam resuscitare mortuum. Pre-
dictos tamen duos articulos non revelant indifferenter
omnibus, set inter se et magis adherentibus sibi.
Item, quod perfectior vita est vivere sine voto quam
cum voto.
Item, quod ecclesia consecrata non plus valet ad
orandum Deum quam stabulum equorum vel porcorum.
Item, quod ita bene potest adorari Christus in nemori-
bus quam in ecclesiis vel melius.
Item, quod pro nulla causa nec in aliquo casu debet
homo jurare nisi pro articulis fidei vel preceptis Dei et
omnia alia possunt celari. Et quantumcumque jurent
dicere veritatem coram prelatis seu inquisitoribus, non
tenentur respondere de aliquo alio nec revelare doctri-
nam suam seu errores suos nec tenentur defendere
verbo, set semper corde tenere. Si tamen cogantur
Jurare metu mortis, in eo casu debent jurare verbo seu
voce solum et in mente retinere quod in nullo teneantur
respondere veritatem, nisi de hiis que verbaliter conti-
nentur in articulis fidei vel preceptis. Et si de aliüs
requirantur, licet eis sine peccato mentiri et veritatem
sue secte negare ore, dummodo teneant eam in corde,
ad hoc ut evadant potestatem inquisitorum; set debent
respondere inficiando, vel negando, seu palliando,
ERREURS DES PSEUDO-APÔTRES 93
elles être données, prétendent-ils, qu’à eux seuls, qui s’inti-
tulent et sont en réalité apôtres et pauvres du Christ.
Item, tout homme et toute femme ont le droit de se cou-
cher nus, ensemble, dans un seul et même lit, de se toucher
en quelque partie du corps que ce soit, de se caresser mu-
tuellement, et cela sans péché aucun. Quand on sent l’ai-
guillon de la chair, 1l n’y a point de faute à s’unir ventre à
ventre avec une femme nue, afin de chasser la tentation.
D'ailleurs l’union charnelle, comme le fait de coucher avec
une femme, sont œuvre plus grande que la résurrection d’un
mort. Ces deux derniers points, toutefois, 1ls ne les révèlent
pas indifféremment à tous; ils n’en parlent qu’entre eux et
à leurs meilleurs adhérents.
Item, il est plus parfait de vivre librement que de se lier
par un vœu.
Item, pour prier Dieu, une église consacrée ne vaut pas
mieux qu’une écurie de chevaux ou de porcs; l’on peut très
bien — et même mieux — adorer le Christ dans les forêts
que dans les églises.
Item, pour aucune raison et dans aucun cas il n’est per-
mis de prêter serment, sauf en ce qui touche aux articles de
foi et aux commandements de Dieu. Toutes les autres choses,
on peut les cacher. Aurait-on juré de dire la vérité devant
les prélats ou les inquisiteurs, on n’est nullement tenu de
répondre ni de révéler la doctrine et les erreurs de la secte :
pas n’est besoin de les défendre de bouche, il suffit d’y
croire en son cœur. Si, par crainte de la mort, on est forcé
de jurer, on doit alors prêter serment, mais en paroles seu-
lement et se rétracter intérieurement; car on n’est jamais
tenu de dire la vérité, sauf en ce qui concerne expressément
les articles de foi et les préceptes divins. Les questions
portent-elles sur d’autres sujets, le mensonge est licite; on
peut même, afin d'échapper à la puissance des inquisiteurs,
renier la vérité de sa secte, pourvu qu’on la conserve en son
cœur; on s’efforcera toutefois d’altérer la vérité, de la nier,
de la pallier par tous les subterfuges possibles. Si cepen-
dant il était impossible d’éviter la mort, il faudrait alors con-
Manuel de l'inquisiteur. 11
94 DE ERRORIBUS PSEUDO-APOSTOLORUM
quocumque modo possint pertransire. Si tamen non
possent mortem evadere, tunc in tali casu aperte debent
profiteri et defendere in omnibus et per omnia predictam
doctrinam suam et mori in ea patienter et constanter
et nullatenus aliquos de sociis suis vel credentibus
revelare.
Predictos errores et quosdam alios qui ex eis neces-
sario colliguntur tenent et dogmatizant credentibus suis,
non tamen publice, set secrete, nec omnes insimul
docent, set paulative, modo unum, modo alium, modo
plures, sicut* magis viderint opportunum. Et communi-
terbt cum aliqua similitudine bonitatisc vel pietatis, ut
magis reddantur* credibilia verba ipsorum et° maxime,
premittunt in persuasionibus suis apud laycos que-
cumque possunt dicere et persuadere de mala vita pre-
latorum et clericorum et religiosorum et dicunt quod
prelati et clerict et religiosi persecuntur eos ex invi-
dia ex eo quod dicunt et docent veritatem.
[4.] DE mono PERSUADENDI QUEM SERVANT PUBLICE
PsEUDO-APOSTOLI. — Modus quoque persuadendi et in-
formandi ipsorum in principio, et maxime quando
publice se ostentant, communiter talis est. Dicunt enim
quedam que videntur aperte laudabilia, uf sic attrahant
et alliciant audientes. Unde dicunt : « Vigilate et orate,
quia hoc est bonum pro anima. » Item, dicunt « Pater
noster » et « Ave Maria » et « Credo in Deum » alta
voce. Item, cantant eundo per villas, aliquando in pla-
teis, vel ubi inveniunt audientes : « Penitentiam agite*,
a. À la suite de ce mot un léger blanc dans À, B. — b. Et com-
muniter omis par À, B.—c. À la suite de ce mot un léger blanc
; ERREURS DES PSEUDO-APÔTRES 95
fesser ouvertement et défendre, absolument et par tous ar-
guments, la doctrine de la secte et mourir en son sein avec
patience et constance, sans donner aucun renseignement
sur les compagnons ou « croyants ».
Les susdites erreurs et d’autres qui en découlent néces-
sairement, les hérétiques ne les enseignent pas à leurs
« croyants » publiquement, mais en cachette, ni en bloc, mais
petit à petit, développant tantôt l’une, tantôt l’autre, tantôt
plusieurs, selon l’opportunité. Avec un semblant de douceur
et de piété, propre à rendre leurs discours plus dignes de
créance, ils commencent d'ordinaire, dans leur propagande
auprès des laïcs, par leur raconter toutes sortes de choses
et les convaincre de la mauvaise conduite des prélats, clercs
et religieux, ceux-ci, à les entendre, poursuivant les héré-
tiques par jalousie et précisément parce qu’ils disent et en-
seignent la vérité.
[4.] MANIÈRE DONT LES PSEUDO-APÔTRES ESSAIENT DE FAIRE
DES ADEPTES PUBLIQUEMENT. — Voici la façon de persuader
et d’endoctriner qu’ils emploient d’ordinaire au début, sur-
tout quand ils se produisent en public. Ce sont d’abord des
paroles qui de, toute évidence, paraissent dignes de louanges,
qui attirent et gagnent les auditeurs, par exemple : « Veillez
et priez, car c’est un bien pour l’âme. » Item, ils récitent à
haute voix le Pater noster, l’Ave Maria et le Credo. Item,
ils s’en vont chantant a travers les villages, parfois sur les
places, là où ils trouvent des auditeurs : « Faites pénitence!,
dans À, B. — d. À la suite de ce mot un léger blanc dans À, B.
— e. Omis par À, B.
1. C'était la méthode favorite de Gérard Segarelli. A l’imitation
de saint Jean-Baptiste, il prêchait la pénitence. Il parcourait les
rues de Parme en criant : Penitenzagite, au lieu de Penitentiam
agite. Il lui advint toutes sortes d'aventures singulières, que le
moine franciscain Salimbene a narrées complaisamment dans sa
célèbre chronique. Voir l'édition Holder-Egger, dans la collec-
tion des Monumenta Germaniæ, Scriptores, t. XXXII, p. 257-258,
264-265, 271 et 620.
96 DE MODO PERSUADENDI PSEUDO-APOSTOLORUM
appropinquabit enim regnum celorum »", et de apostolis
2: « Ecce ego vos mitto sicut oves in medio luporum »?,
item : « Non turbetur cor vestrum neque formidet »
cantando.
Item, cantant « Salve, regina » et quosdam alios
cantus, ut alliciant audientes, et pretendunt exterius
quedam signa devotionis ad Deum, que omnia prima
facie videntur auditoribus bona et pia; et specialiter
conantur ut appareant exterius hominibus penitentes et
vitam perfectam agentes.
Et comedunt in carreriis publice in aliqua mensa sibi
ibidem apposita de 1illis que sibi tunc apportantur. Et
illa que supersunt de pane et vino et de aliis que oblata
sunt ibidem eis, quando inde surgunt, nichil recipiunt
nec secum ferunt, set dimittunt ibidem in signum quo
sint perfecti pauperes Christi, quasi non cogitent de
crastino et quasi non habeant domum neque mansio-
nem; et isto modo mendicant victum suum.
[b.] DE MODO INQUIRENDI ET EXAMINANDI PsEUDboO-
APOSTOLOS. — Est autem sciendum quod valde difficile
est 1psos examinare et veritatem contra eos invenire,
pro eo maxime quia quantumcumque juraverint in
judicio se veritatem dicturos, nolunt tamen manifeste
suam sectam detegere nec suos errores publice confji-
teri nec directe respondere ad interrogata, set palliate
et per tergiversationes multas verborum deviant et
mendactiis se juvant, et ideo multum est ars necessaria
contra ipsos et industria inquirentis. Modus itaque
inquirendi et examinandi eos a principio contra eorum
astucias, ut magis valeant ab inquirentibust depre-
a. terre ajouté par À et B.— b. inquisitoribus E, F.
MOYENS DE PROPAGANDE DES PSEUDO-APÔTRES 97
car le royaume des cieux est proche »!, ou ce verset sur les
apôtres : « Voici que je vous envoie comme les brebis au
milieu des loups »?, ou encore : « Que votre cœur ne soit
en proie ni au trouble ni à la craintei. »
Item, ils chantent le Salve Regina et d’autres morceaux
afin d’attirer les auditeurs; 1ls donnent des marques exté-
rieures de dévotion envers Dieu, qui, à première vue, pa-
raissent honnêtes et pieuses; tout spécialement, ils s’ef-
forcent de passer devant les hommes pour des pénitents,
menant une vie parfaite.
Ils mangent en public, dans les rues, sur une table que
l'on dresse pour eux et de mets qu’on leur apporte. Au dé-
part, ils n’acceptent rien, n'emportent rien de ce qui reste,
pain, vin ou autres offrandes, mais le laissent là : c’est le signe
qu'ils sont de parfaits pauvres du Christ, ne songeant pas au
lendemain, n’ayant ni maison ni demeure; ainsi donc, ils
mendient leur nourriture.
[b.] MANIÈRE D’INTERROGER ET D’EXAMINER LES PsEuDo-
APÔTRES. — Il est très difficile de les examiner et de trouver
contre eux un argument à charge : ils ont beau jurer en ju-
gement de dire la vérité, ils n’acceptent point pour autant
de découvrir ouvertement leur secte ni d’avouer publique-
ment leurs erreurs; ils ne répondent point directement aux
questions, mais à mots couverts, et les détournent de leur
sens par de nombreux faux-fuyants; ils usent de mensonge;
en sorte que l’inquisiteur doit faire preuve de grande science
et de grande adresse. La méthode suivante, employée dès le
principe contre leurs ruses, permettra aux inquisiteurs de les
1. Matthieu, IV, 17.
2. Matthieu, X, 16.
3. Segarelli prenait les textes évangéliques dans le sens stric-
tement littéral. Salimbene a raconté qu’il se plaça un jour à
l'entrée d’une vigne et se mit à crier : Et vous aussi allez à ma
vigne. Des gens, ignorant sa qualité, lui obéirent et pillèrent la
récolte. Voir l'édition des Monumenta Germaniæ, Scriptores,
t. XXXII, p. 257.
4. Jean, XIV, 27.
98 INTERROGATORIA GENERALIA PSEUDO-APOSTOLORUM
hendi, poterit esse talis : postquam in judicio constituti
juraverint super sancta Dei evangelia plenam et meram
dicere veritatem generaliter de facto heresis et speciali-
ter de facto illorum qui falso dicuntur apostoli seu
vitam et sectam et ritum ipsorum tenere se dicunt ac
etiam de quibuscumque de quibus fuerint in judicio
requisiti, tunc fiant eis interrogatoria generalia que
secuntur, et postmodum ad specialia descendatur.
[6.] INTERROGATORIA GENERALIA AD PSEUDO-APosSTOLOS
FACIENDA. — În primis itaque interrogentur de sua
patria ac parentibus, unde fuerunt aut* traxerunt ori-
ginem et quare et quando de suis partibus recesserunt!
et ad partes tales venerunt et cum quibus et quantum
steterunt in remotis partibus et in quibus villis et cum
quibus maxime conversati sunt in eisdem.
Item, si unquam audiverunt nominari Gerardum
Segarelli de Parma et Dulcinum Novariensem de
Lombardia vel si ipsos vel alterum ipsorum viderunt
vel cum eis locuti fuerunt et quid credunt aut sentiunt
de ipsis vel de vita aut secta et doctrina ipsorum et
si reputant eos fuisse bonos homines et habuisse et
tenuisse bonam sectam et docuisse bonam doctrinam.
Item, si audiverint dici quod dictus Gerardus fuerit
inventor primus dicte secte et dictus Dulcinus fuerit
sectator ejusdem.
Item, si unquam viderunt aliquem vel aliquos de
secta predictorum vel illorum qui dicuntur apostoli seu
de ordine apostolorum et quos; et si habuerunt aliquam
societatem vel participationem cum eis, et cum quibus.
Item, de habitu quem portant et de forma ejusdem
c. et À.
INTERROGATOIRES GÉNÉRAUX DES PSEUDO-APÔTRES O9
dépister plus facilement : les hérétiques constitués en ju-
gement jureront d’abord sur les saints Évangiles de Dieu de
dire la pleine et entière vérité sur le fait d’hérésie en géné-
ral, spécialement sur le fait de ceux que l’on appelle fausse-
ment apôtres, de ceux qui déclarent accepter leur vie, secte
et rite et sur tout ce qu'on requerra d'eux au cours du juge-
ment. On procédera alors à l’interrogatoire général, pour
descendre ensuite aux détails.
Ü
[6.] INTERROGATOIRE GÉNÉRAL DES PsEUDO-APÔTRES. — On
les interrogera tout d’abord sur leur patrie d’origine et sur
leur famille; on leur demandera quand et pourquoi ils ont
quitté leur pays! et sont arrivés dans ces régions, et en com-
pagnie de qui; combien de temps ils sont restés loin de chez
eux; dans quels villages; quelles personnes ils y ont parti-
culièrement fréquentées.
On leur posera ensuite les questions suivantes : Avez-vous
entendu parler de Gérard Segarelli de Parme et de Dolcino
de Novare en Lombardie? Les avez-vous vus en personne,
ou en tout cas l’un d’entre eux; avez-vous conversé avec
eux? Que pensez-vous de ces individus, de leur conduite,
de leur secte et de leur doctrine? Les regardez-vous comme
de bonnes gens, ayant fondé une bonne secte et enseigné
une saine doctrine ?
Item, avez-vous appris que ledit Gérard était le premier
fondateur de ladite secte et Dolcino son adepte?
Item, avez-vous jamais vu l’un ou plusieurs de ces secta-
teurs, c’est-à-dire de ceux qu’on appelle apôtres ou de l’ordre
des Apôtres? et lesquels? Avez-vous entretenu des rapports
et participé avec eux? et avec qui?
Item, au sujet du vêtement qu’ils portent et de sa forme
1. La secte des Pseudo-Apôtres ne compta jamais un grand
nombre d’adeptes et ne se développa que dans le Trentin, le Bo-
lonais, le Modénois et dans le nord de l'Italie. Certains d’entre
eux cependant durent émigrer en Espagne, en Angleterre, en
France et en Allemagne pour échapper aux inquisiteurs. Voir
À. Baudrillart, Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésias-
tiques, art. Apostoliques, t. III, col. 1043-1044.
100 INTERROGATORIA GENERALIA PSEUDO=-APOSTOLORUM
qui videtur esse habitus alicujus religionis, quando et
ubi talem habitum assumpserunt\ et quem ordinem
tenent et si quam regulam profitentur et si unquam
ordo verborum quem tenent et talis habitus quem por-
tant ab ecclesia Romana fuit approbatus et si sciunt
aliquos alios qui talem ordinem teneant et habitum
talem portent. Item, si aliquem vel aliquos monuerunt
vel induxerunt ad talem habitum assumendum vel por-
tandum vel ad similem ritum et modum vivendi tenen-
dum et ad similia faciendum et quos et quot et quare.
Item, de modo et forma recipiendi ad dictum ordinem
vel habitum assumendi.
Item, de doctrina quam docent et de modo ejus quam
in docendo tenent in hïis que ab eis communiter viden-
tur fieri et dici et cantari coram populo in plateis. Unde
habuerunt ista et quis docuit eos et quare ista faciunt,
cum non sint instituta fieri ab ecclesia Romana nec a
prelatis ecclesie, cum in predictis manifeste appareant
singulares et a communi conversatione fidelium tam
religiosorum quam aliarum personarum in vita et victu
et ritu dissidentes, et a quanto tempore ab eis talia
fiert inceperunt.
Item, si fuerunt confessi illo anno peccata sua alicui
sacerdoti ef cui et si communicaverunt seu receperunt
corpus Christi in Pascha ef ubi, cum ipsi predicent
penitentiam esse faciendam et ad veram penitentiam
post cordis contritionem requiratur oris confessio de
peccato facienda sacerdoti ordinato per episcopum de
ecclesia Romana et non alii; et cum omnes fideles
teneantur semel in anno peccata sua confiteri proprio
sacerdoti et communicare in Pascha, maxime videntur
teneri ad hoc illi qui talem vitam perfectam, ut dicunt,
pretendunt exterius et ostendunt.
INTERROGATOIRES GÉNÉRAUX DES PSEUDO-APÔTRES IOI
qui le fait ressembler à un habit religieux', quand et où
avez-vous pris ce costume? De quel ordre êtes-vous ? Quelle
règle observez-vous? Cet ordre auquel vous dites appartenir
et cet habit que vous portez ont-ils reçu l’approbation de
l'Église romaine ? Connaissez-vous d’autres personnes appar-
tenant à cet ordre et portant cet habit? En avez-vous engagé
et exhorté d’autres à prendre et à porter ce vêtement, à gar-
der les mêmes habitudes, à observer le même genre de vie, à
vous imiter? Qui était-ce, quel en est le nombre et pour
quelle raison l’avez-vous fait? En quoi consistent les céré-
monies de l'initiation et de la prise d’habit?
Item, quelle est votre doctrine? votre méthode d’enseigne-
ment au cours de ces cérémonies, prédications et chants
auxquels on vous voit vous livrer sur les places publiques?
Où avez-vous appris cela? Qui vous a instruit? Pourquoi le
faites- -VOUS, alors que ce n’est commandé ni par l’Église ro-
maine ni par des prélats ecclésiastiques ? Pourquoi vous sin-
gularisez-vous ainsi, puisque cette vie, ce régime et ces ma-
nières sortent absolument des habitudes des fidèles, religieux
ou autres? Quand avez-vous commencé d’agir ainsi?
Item, vous êtes-vous confessé cette année à un prêtre? à
qui? À Pâques avez-vous communié, c’est-à-dire reçu le
corps du Christ? où? Car vous prêchez vous-même que
l’on doit faire pénitence; or, pour une véritable pénitence,
outre la contrition intérieure, la confession des péchés est
requise, confession faite oralement : aun prêtre ordonné par
un évêque de l’Église romaine et non à un autre: d’autre
part, tout fidèle est tenu de se confesser une fois l'an à à son
propre prêtre et de communier à Pâques; combien plus
l'obligation paraît-elle s’imposer à vous qui prônez la vie
parfaite, comme vous dites, et en faites ostentation!
. Bernard Gui ne nous a pas renseigné sur la forme de l’ha-
bit que portaient les Pseudo-Apôtres. Salimbene a décrit seule-
ment celui qu’adopta Segarelli : c'était un manteau (epitogium)
sans manches, blanc, d’une trame grossière, qui lui donnait l’as-
pect d’un bouffon plutôt que d’un religieux; il portait aux pieds
des escarpins et aux mains des gants. Voir l’édition Holder-Eg-
ger, Monumenta Germaniæ, Scriptores, t. XXXII, p. 265.
102 INTERROGATORIA SPECIALIA PSEUDO-APOSTOLORUM
Ex predictis igitur generalibus interrogationibus et
aliis consimilibus que tunc occurrerint faciende causa
et occasione habita ex predictis et ex responsionibus
ipsorum aliquo modo in suis dupplicitatibus et varieta-
tibus poterunt deprehendi, maxime si vigilem ac cir-
cumspectum et industrium habuerint inquirentem, cum
nullam bonam rationem poterunt reddere ad quesita.
[7.] INTERROGATORIA SPECIALIA AD EXAMINANDUM PSEUDO-
APOSTOLOS. — Post hec autem interrogentur et exami-
nentur in speciali de aliquibus erroribus dicte secte.
In primis igitur examinentur de ecclesia Romana cui
presidet universaliter papa Romanus, et sub ipso sunt
domini cardinales et archiepiscopi et episcopi et prelati
et clerici ac religiosi qui dictam sectam illorum qui
dicuntur de ordine apostolorum reprobant et persecun-
tur et ipsos condempnant; si credunt quod dicta ecclesia
Romana sit bona et sancta et si credunt quod sit eccle-
sia Dei et quod habeat illam potestatem ligandi et
solvendi' et excommunicandi quam Christus dedit et
tradidit beato Petro apostolo et si credunt quod ulla
alia secta seu congregatio, preter ecclesiam Romanam,
dictam habeat potestatem.
Item, si credunt aut reputant se esse subjectos
romano pontifici, ita quod ei teneantur obedire et quod
per eum possint excommunicari et per alios prelatos
Romane ecclesie, quamvis ipsi fecerint votum soli Deo
et non homini.
Item, si credunt quod sit eis licitum jurare de veri-
tate dicenda super secta seu ordine predicto coram
prelatis seu inquisitoribus heretice pravitatis et si,
postquam juraverint, tenentur respondere veritatem de
omnibus et singulis de quibus fuerint interrogati et
QUESTIONS SPÉCIALES À POSER AUX PSEUDO-APÔTRES 103
Grâce à ces interrogations générales et à d’autres du même
genre, que l'on greffera sur celles-là et que suggéreront à
l’occasion les réponses des inculpés, on arrivera à les sur-
prendre en quelque manière à travers leurs duplicités et
leurs variations, surtout si Pinquisiteur fait preuve de vigi-
lance, de circonspection et d'adresse, car pour s’expliquer
les hérétiques sont incapables d'apporter une bonne raison.
[7.] INTERROGATOIRE SPÉCIAL DES PSEUDO-APÔTRES. — On
les interrogera et examinera ensuite spécialement sur cer-
taines erreurs de ladite secte.
Tout d’abord au sujet de l’Église romaine que gouverne
universellement le pape de Rome, sous l’autorité duquel les
seigneurs cardinaux, archevêques, évêques, prélats, clercs
et religieux poursuivent et condamnent la secte de ceux qui
s'intitulent de l’ordre des Apôtres. Croient-ils, ces derniers,
que ladite Église romaine est bonne et sainte, que c’est
l'Église de Dieu, qu’elle a le pouvoir de lier, de délieri et
d’excommunier, que le Christ a donné et transmis au bien-
heureux apôtre Pierre? Pensent-ils qu’une autre secte ou
congrégation ait, en dehors de l’Église romaine, une telle
puissance ?
Item, s’estiment-ils les sujets du pontife romain et, comme
tels, tenus de lui obéir, bien qu’ils n’aient fait de vœu qu’à
Dieu seul et non à un homme? S’estiment-ils soumis à l’ex-
communication portée par le pape ou les autres prélats de
l’Église romaine ?
Item, est-1l permis, à leurs yeux, de jurer de dire la vé-
rité concernant la secte ou ordre susdit en présence des pré-
lats ou des inquisiteurs de l’hérésie? Le serment prêté, se
croient-ils obligés de répondre exactement à toutes et cha-
cune des interrogations qui leur seront posées ? Regardent-
1. Îl s’agit ici du sacrement de pénitence, en vertu duquel le
prêtre refuse ou accorde l’absolution à ceux qui lui avouent leurs
fautes, conformément au texte évangélique : « Je te donnerai les
clés du royaume des cieux, tout ce que tu lieras sur la terre sera
lié dans les cieux, tout ce que tu délieras sur la terre sera délié
dans les cieux » (Matthieu, XVI, 19).
104 DE CAUTELA CIRCA PSEUDO-APOSTOLOS ADIPISCENDA
examinati; et Si reputant esse licitum sibi celare sec-
tam suam et errores suos in quibus deviant et discor-
dant ab ecclesia Romana et negare veritatem in judicio
et posse mentiri in tali casu sine peccato, ad hoc ut
evadant potestatem prelatorum seu inquisitorum inqui-
rentium contra ipsos.
[8.] INSTRUCTIO SEU INFORMATIO QUEDAM AD CAUTELAM
CIRCA PREDICTOS PSEUDO-APOSTOLOS. — Si autem nichil
de predictis erroribus seu aliis consimilibus dicte secte
voluerint in judicio confiteri et persistant pertinaciter
in negando, cum vehementer sint suspecti, tanquam a
communi conversatione fidelium vita et moribus dissi-
dentes, tam ex ritu et modo singulari secte sue quam
tenere manifeste videntur, quam ex habitu quem portant
in aliquo specialem et distinctum quasi sit alicujus
religionis habitus singularis, cum tamen ipsi non sint
de aliqua religione per ecclesiam approbata, ymmo
potius reprobata, et omnis habitus sub forma religionis
alicujus non approbatus sit interdictus et prohibitus ad
portandum, ne qui religiosus non est religiosus ex
habitu videatur, tam etiam ex modo doctrine sue quem
tenent et servant, qualem modum tradiderunt prefati
Gerardus et Dulcinus et sui sequaces® qui apostolos se
appellant, quam etiam ex congregationibus privatis et
conventiculis que fecisse sepius deprehensi sunt in
occulto, et quia etiam in dicta secta et ordine quam-
plures heretici manifeste deprehensi sunt in judicio et
condempnati et combusti!, ideo tales tanquam vehemen-
ter suspecti debent detineri in carcere donec confessi
fuerint veritatem. Cavendum est tamen ne plures insi-
a. sequentes E.
PRÉCAUTIONS À PRENDRE ENVERS LES PSEUDO-APÔTRES 105
ils comme licite de dissimuler leur secte et les erreurs dans
lesquelles ils s’égarent et qui les écartent de l’Église romaine?
Peuvent-ils nier la vérité en jugement et, dans une telle cir-
constance, mentir sans péché, afin d'échapper à la puissance
des prélats et des inquisiteurs qui enquêtent contre eux?
[8.] INSTRUCTION OU INFORMATION PARTICULIÈRE SUR LES
PRÉCAUTIONS À PRENDRE ENVERS LESDITS PSEUDO-APÔTRES.
— Il arrive qu’ils se refusent à avouer en jugement les sus-
dites erreurs ou autres semblables de la secte et persistent
obstinément dans leurs négations. Ils n’en sont pas moins
fort suspects {ils s’écartent, en effet, en leurs vie et mœurs,
de l’usage commun des fidèles), et cela du fait qu’on les voit
ostensiblement adhérer aux habitudes et aux manières sin-
gulières de leur secte, du fait aussi qu’ils portent un costume
spécial et distinctif, comme s’il s'agissait de celui de
quelque communauté religieuse : ils n’appartiennent pour-
tant point à un ordre approuvé par l’Église; il y a plus, cet
ordre est réprouvé, puisque tout vêtement analogue à celui
des religieux, s’il n’est pas approuvé, est interdit et que le
port en est prohibé : autrement tel qui n’est pas religieux
pourrait usurper en apparence cette qualité. [ls sont encore
suspects par la méthode dont ils soutiennent et conservent
leur doctrine, méthode qu'ont transmise les susdits Gérard,
Dolcino et leurs adeptes, les soi-disant apôtres; ils le sont
du fait qu’on les a souvent surpris tenant en cachette des
assemblées privées et des conventicules et que, de ladite
secte, plusieurs ont été jugés en flagrant délit d’hérésie,
condamnés et brûlés!. Des individus sous le coup d’une telle
suspicion doivent donc être incarcérés jusqu’à ce qu’ils aient
1. Bernard Gui songeait sans doute à la croisade prêchée sur
l’ordre de Clément V contre les Pseudo-Apôtres en 1305 et qui
eut pour épilogue la capture, puis le supplice de beaucoup d’entre
eux. Le tribunal de l’Inquisition qui siégea à Verceil se montra
fort rigoureux à leur égard. Voir la préface de A. Segarizzi à
l'Histoire anonyme de frère Dolcino, dans Muratori, Rerum Itali-
carum Scriptores, éd. de Città di Castello, 1907, t. IX, 5° partie,
P. XXXVIII.
106 DE CAUTELA CIRCA PSEUDO-APOSTOLOS ADIPISCENDA
mul in uno carcere teneantur, set quilibet separati, ne
mutuo valeant sibi loqui, quia sic ab eis melius veritas
eruitur et habetur : sunt enim, sicut pretactum est, ad
confitendum veritatem in unum obstinati. Vidi ego et
expertus sum de uno’ quod per duos fere annos deten-
tus in carcere et sepius examinatus tergiversando
veritatem noluit confiteri, quam tandem aperuit et
detexit et penituit et fuit tanquam penitens hereticus
ad peragendum penitentiam inmuratus.
1. Il s’agit ici d’un certain Pierre, originaire de Galice (Lim-
borch, Historia Inquisitionis, p. 360-363).
PRÉCAUTIONS A PRENDRE ENVERS LES PSEUDO-APÔTRES 107
avoué la vérité. Qu’on prenne garde cependant de ne pas les
détenir ensemble dans un même cachot, mais qu’on les en-
ferme séparément, en sorte qu’ils ne puissent se parler; on
parviendra ainsi plus facilement à leur arracher et à connaître
la vérité; en groupe en effet, on l’a déjà pressenti, ils se con-
firment dans leur obstination. J’en ai fait l'expérience : l’un
d’eux!, détenu en prison pendant près de deux ans et fré-
quemment interrogé, usait de détours et refusait d’avouer
la vérité; il s’ouvrit enfin, dévoila la réalité, regretta sa faute
et, hérétique repentant, fut emmuré pour acquitter sa péni-
tence.
IV
[DE SECTA BEQUINORUM]
[L.] SEQUITUR DE SECTA ILLORUM QUI BEQUINI ET
BEQUINE VULGARITER APPELLANTUR. — Bequinorum secta,
qui fratres Pauperes se appellant et dicunt se tenere et
profiteri tertiam regulam sancti Francisci, modernis
temporibus exsurrexit in provincia Provincie et in
provincia Narbonensi et in quibusdam locis provincie
Tholosane que ab antiquo includitur sub provincia
Narbonensi. Ceperunt autem manifestari et detegi in
suis opinionibus erroneis circa annum Domini Mr
CCCr XVn, paulo plus minusve, quamvis prius sus-
pecti communiter a pluribus haberentur; fueruntque
postmodum successivis annis in provincia Narbonensi
et Tholosana et in Cathalonia plures capti et detenti
et deprehensi in erroribus et plures utriusque sexus
inventi sunt et Judicati heretici et combusti, ab anno
Domini Me CCCo XVIIe citra!, maxime Narbone, Biter-
ris et in dyocesi Agathensi et in Lodova et apud
Lunellum Magalonensis dyocesis et in Carcassona, et
Tholose tres alienigene?.
[2.] SEQUITUR DE ERRORIBUS SEU OPINIONIBUS ERRONEIS BE-
QUINORUM MODERNI TEMPORIS.— Ü NDE ORIGINEM HABUERUNT.
— Bequini igitur utriusque sexus moderni temporis sic
1. C'est, en effet, à partir de 1317 que les Béguins furent traités
IV
[DE LA SECTE DES BÉGUINS]
[1.] DE LA SECTE DE CEUX QU'ON APPELLE VULGAIREMENT
BÉGuins ET BÉGUINES. — La secte des Béguins — ceux-cise
nomment Pauvres frères et déclarent embrasser la troisième
règle de saint François — est apparue récemment dans les
provinces de Provence et de Narbonne et dans quelques en-
droits de celle de Toulouse, qui depuis longtemps est com-
prise dans la province de Narbonne. Mais ils commencèrent
à être signalés et à être démasqués à cause de leurs opinions
erronées vers l’an du Seigneur 1315, un peu avant ou un
peu après, quoique beaucoup les eussent déjà tenus commu-
nément pour suspects. Au cours des années suivantes, dans
les provinces de Narbonne et de Toulouse et en Catalogne,
un bon nombre furent arrêtés, détenus, surpris dans leurs
erreurs et, dès l’année 13171, plusieurs de l’un et l’autre sexe
furent convaincus d’hérésie, jugés comme tels et brûlés, sur-
tout à Narbonne, à Béziers, dans le diocèse d’Agde, à Lo-
dève, près de Lunel {au diocèse de Maguelonne), à Carcas-
sonne, à Toulouse, où trois étaient des étrangers.
[2.] ERREURS ET OPINIONS ERRONÉES DES BÉGUINS DE L'ÉPOQUE
ACTUELLE. — LEUR ORIGINE. — Les Béguins et Béguines de
comme des hérétiques et traqués par les inquisiteurs (J.-M. Vi-
dal, Bullaire de l’Inquisition francaise au XIV°* siècle, Paris, 1913,
in-8, P. LII-LIV).
2. Le recueil des sentences de l’inquisition de Toulouse nous
a livré leurs noms. C'étaient Pierre Guiraud de Béziers, Pierre
Dominique et Pierre L'Hôpital {(Limborch, Historia Inquisitionis,
p. 381-393). Ils furent brûlés le 12 septembre 1322.
Manuel de l’inquisiteur. 12
110 DE ORIGINE BEQUINORUM
vulgariter appellati, qui se dicunt fratres Pauperes de
penitentia de tertio ordine Sancti Francisci, portantes
brunum seu de burello' habitum cum mantello, et
aliqui sine mantello, manifeste deprehensi suntet con-
fessi in Judicio in diversis locis in provincia Narbonensi
et in aliquibus locis provincie Tholosane, ab anno
Domini Me CCCc XVII ac deinceps successive, habere
et tenere plures errores ac opiniones erroneas, extol-
lentes se adversus Romanam ecclesiam et apostolicam
sedem ac contra primatum sedis ejusdem et contra
apostolicam potestatem domini pape ac prelatorum
ecclesie Romane.
Inventum est autem per inquisitionem legitimam ac
per depositiones et confessiones plurium ex ipsis,
receptas in judicio, necnon per assertiones multorum
ex ipsis, in quibus et pro quibus elegerunt mori potius
et comburi quam ab eis requisiti canonice resilire, quod
errores suos et opiniones hujusmodi pestiferas ipsi
habuerunt et collegerunt partim quidem ex libris seu
opusculis fratris Petri Johannis Olivi?, qui fuit oriun-
dus de Serinhano prope Bitterim, videlicet ex postilla
ejusdem super Apocalipsim quam habent tam in latino
quam etiam transpositam in vulgari; item ex aliquibus
tractatibus quos ipsum fecisse Bequini dicuntet credunt,
unum videlicet de paupertate et alium de mendicitate
et quemdam alium de dispensationibus et ex quibus-
dam etiam aliis scriptitatis que sibi attribuunt et que
omnia habent in vulgari transposita, et ea legunt et eis
credunt et intendunt tanquam scripturis autenticis.
Et dicunt et credunt dictum fratrem Petrum Johan-
nis habuïisse scientiam per revelationem factam sibi a
Deo, specialiter in postilla seu expositione ejusdem
super Apocalipsim. Partim quoque predictos errores
ORIGINE DES BÉGUINS [II
notre époque actuelle — c’est ainsi qu’on les appelle vul-
gairement : eux se nomment Pauvres Frères de la Pénitence
du tiers-ordre de saint François — portent un costume de
bure brune (bureau!) avec ou sans manteau. On les a pris
sur le fait; et d’ailleurs, dès l’année 1317 et les années sui-
vantes en divers lieux de la province de Narbonne et en
quelques endroits de celle de Toulouse, on a obtenu en ju-
gement des aveux touchant plusieurs de leurs erreurs et opi-
nions erronées. On sait ainsi qu’ils se dressent contre l'Eglise
romaine et le siège apostolique, contre la primauté de ce
même siège et contre la puissance apostolique du seigneur
pape et des prélats de l’Église romaine.
Grâce à des enquêtes régulières, aux aveux et dépositions
judiciaires, aux déclarations de beaucoup d’entre eux qui
préféraient, pour appuyer leurs dires, la mort et le bûcher
à la rétractation que l’on exigeait d’eux, on est arrivé à con-
naître leurs erreurs et leurs opinions pestilentielles. Ils les
ont puisées en partie dans les livres et opuscules de frère
Pierre-Jean Olieu?, originaire de Sérignan, près de Béziers,
à savoir dans son commentaire sur l’Apocalypse, qu'ils
possèdent en latin et en langue vulgaire; dans quelques
traités dont les Béguins le disent et croient l’auteur, un sur
la pauvreté, un second sur la mendicité, un troisième sur
les dispenses; dans d’autres libelles qu’on lui attribue. Ils
ont traduit tous ces ouvrages en langue vulgaire, les lisent
avec autant de confiance et d'attention que s’il s'agissait des
Écritures authentiques.
Ledit frère Pierre-Jean, ils en sont persuadés, doit sa
science à des révélations divines, particulièrement celle dont
il a fait preuve dans le commentaire ou exposé de l’Apoca-
lypse. En partie aussi, ils ont emprunté les susdites erreurs
1. Le bureau est un drap fort grossier.
2. Sur Pierre-Jean Olieu et ses écrits, voir F. Ehrle, Petrus Jo-
hannis Olivi sein Leben und seine Schriften, dans l’Archiv für Li-
teratur -und Kirchengeschichte, t. III (1887), p. 409-552. Il naquit
vers 1248 où en 1249 et mourut en 1298. La forme de son nom a
été établie par M. Antoine Thomas (Le vrai nom du frère mineur
Johannis Olivi, dans les Annales du Midi, t. XXV, 1913, p. 68-60).
112 DE ORIGINE BEQUINORUM
et opiniones habuerunt et collegerunt ex traditione
ejusdem fratris Petri Johannis, quam traditionem seu
eruditionem dicunt eum fecisse suis familiaribus ac
Bequinis tempore quo vivebat; et verba ac dicta ejus-
dem prioribus tradita posteriores inter se recitant et
invicem sibi tradunt et ipsis intendunt quasi autenti-
cis et veridicis documentis. Partim etiam ipsi Bequini
utriusque sexus informati fuerunt de multis per com-
plices et sequaces ejusdem fratris Petri Johannis.
Nonnulla quoque ipsi Bequini per adinventiones pro-
prias seducti addiderunt, sicut populus excecatus, facti
magistri erroris ex quo desierunt esse discipuli veritatis ;
et quamplura que generaliter dicta aut scripta inveniun-
tur in dictis opusculis aut in quibusdam aliis scriptitatis
per complices et sequaces prefati fratris Petri Johannis,
ipsi Bequini, secundum suum® intellectum depravatum,
sibi ipsis applicant et exponunt aut pro se ipsis et
contra illos quos persecutores suos esse dicunt accipiunt
et exponunt; et ita ex uno errore in plures alios prola-
buntur proficientes in pejus.
Sciendum vero est quod in predicta postilla super
Apocalipsim examinata diligenter per octo magis-
tros in theologia apud Avenionem sub anno Domini
Mo CCC» XIX° inveniuntur contineri quamplures arti-
culi qui judicati sunt esse heretici per eosdem et
quamplures alii continentes falsitatem aut errorem
intolerabilem aut temeritatem aut divinationem de
futuris incertam ; suumque judicium de predictis redac-
tum in scriptis sigillis propriis cum instrumento pu-
blico! muniverunt; et qui vidit et perlegit ac tenuit, hic
testimonium perhibet veritati.
a. proprium ajouté par B.
1. Cet acte a été publié d’abord par Baluze, Miscellanea, édi-
ORIGINE DES BÉGUINS 113
et opinions à l’enseignement oral du même frère Pierre-
Jean. Cet enseignement, mieux cette tradition, celui-ci l’au-
rait laissée à ses familiers, les Béguins de son époque. Les
plus anciens récitent à leurs successeurs les paroles et sen-
tences du frère, se les transmettent mutuellement, les regar-
dant comme des documents authentiques et véridiques. Sur
beaucoup de points également, les Béguins et les Béguines
ont été renseignés par les complices et adeptes du frère Pierre-
Jean. Une dernière source, qui vient s’ajouter aux précé-
dentes, ce sont les propres élucubrations des Béguins eux-
mêmes qui, tel un peuple aveuglé, sont devenus des maîtres
d'erreur dès qu’ils eurent cessé d’être les disciples de la vé-
rité : on trouve, dans les opuscules cités plus haut et dans
quelques autres écrits des complices et adeptes dudit frère,
un certain nombre de jugements énoncés d’une manière gé-
nérale, que les Béguins interprètent et s'appliquent à eux-
mêmes en en altérant le sens et selon leur propre sentiment;
ou encore ils expliquent ces passages en leur faveur et contre
ceux qu’ils appellent leurs persécuteurs. Ainsi, ils vont d’er-
reur en erreur et tombent dans le pire.
Qu'on le sache d’ailleurs, en l’an 1319, à Avignon, huit
maîtres en théologie ont examiné soigneusement ledit com-
mentaire de l’Apocalypse. À leurs yeux, plusieurs articles
sont hérétiques; d’autres sont entachés de fausseté, ren-
ferment d’intolérables erreurs, des témérités, des prédictions
rien moins que certaines. Leur jugement rédigé par écrit,
‘scellé de leurs propres sceaux, constitue un acte public! :
celui qui l’a vu, lu et tenu en mains rend témoignage à la
vérité.
tion Mansi, t. II (Lucques, 1762), p. 258-270, puis par Denifle et
Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. II (Paris,
1891, in-4°), p. 238, n° 790. Il énumère les soixante propositions
extraites du commentaire que les théologiens censurèrent. Ce
n’était point là toutefois un jugement définitif, car Jean XXII se
réserva le droit de promulguer une sentence finale ultérieure-
ment, le 27 septembre 1322 (Eubel, Bullarium Franciscanum,
t. V, p. 233, n° 483). La condamnation solennelle de la « Postille »
de Jean-Pierre Olieu eut lieu en consistoire le 8 février 1326
({bid., p. 297, n° 6o1).
114 QUO MODO BEQUINI CONVERSENTUR
Advertendum tamen est et notandum quod inter
predictos Bequinos inveniuntur et sunt aliqui qui de
infrascriptis erroribus plures aut omnes sciunt, tenent
et credunt, sicut magis imbuti fuerunt in eis etamplius
indurati. Alii vero sunt qui pauciores sciunt dicere ex
eisdem et tamen quandoque pejores inveniuntur in
adherentia et credentia errantium aliorum. Aliqui vero
sunt qui pauciores audierunt, aut retinuerunt, et
acquiescunt rationi legitime et consilio saniori. Quidam
vero sunt qui obstinate persistunt et resilire nolunt,
quin potius mori preelegerunt quam eos abjurare,
dicentes se in hoc defendere evangelicam veritatem et
vitam Christi et evangelicam et apostolicam pauperta-
tem. Quidam autem ex eis inveniuntur et sunt qui in
erroribus seu opinionibus erroneis implicari noluerunt
et ab eis se custodiunt.
‘ [8] SEQUITUR DE MODO ET RITU CONVERSANDI IPSORUM.
— Bequini itaque predicti habitantes in villis et castris
habent mansiunculas in quibus aliqui simul cohabi-
tant et eas appellant domos paupertatis tali suo vocabulo
usitato. In quibus domibus tam ipsi cohabitantes quam
etiam alii qui privatim in domibus suis manent, quam
etiam familiares et amici Bequinorum, in diebus festis®
et in dominicis sepius conveniunt in unum. Et ibi legunt
aut legi audiunt in vulgari de predictis libellis aut
opusculis ex quibus suggunt venenum, quamyvis etiam
quedam alia legantur ibidem de preceptis et de articulis
fidei et de legendis sanctorum et de « Summa de vitiis
et virtutibus »!, ut sic scola dyaboli sub specie boni
videatur scolam Christi, more symie, in aliquo imitari,
a. festivis À.
GENRE DE VIE DES BÉGUINS 115
Remarquons-le, on rencontre plusieurs catégories de Bé-
guins. Il en est qui connaissent toutes les erreurs, ou presque,
dont on va parler; leur croyance les imprègne en quelque
sorte; ce sont les plus endurcis. D’autres n’en connaissent
qu'un petit nombre, cependant ils se montrent plus opi-
niâtres dans leurs convictions et leurs croyances que les
autres hérétiques. Quelques-uns n’ont écouté et retenu que
peu de chose et cèdent aux raisonnements en forme et dé-
fèrent aux bons conseils. Il en est qui persistent avec obs-
tination dans leurs erreurs et refusent de les rétracter, qui
préfèrent la mort à l’abjuration : c’est ainsi, disent-ils, qu’ils
défendent la vérité de l'Évangile, la vie du Christ, la pau-
vreté évangélique et apostolique. On en rencontre également
qui ne se sont point laissé entortiller dans ces erreurs ou
opinions erronées et qui ont su s’en préserver.
[8.] DE LEURS CONDUITE ET GENRE DE vie. — Les Béguins
habitent les villages et les bourgs, demeurant parfois en-
semble dans de petites cases qu’ils décorent du nom de
maisons de la pauvreté. Dans ces maisons, les jours de fêtes
et dimanches, les Béguins qui habitent en commun et ceux
qui habitent seuls dans des demeures privées se réunissent
souvent avec leurs familiers ou amis. Ils y font la lecture ou
entendent lire en langue vulgaire des extraits des petits livres
ou opuscules sus-indiqués, dont ils sucent le poison. Les lec-
tures dans ces assemblées ont aussi pour objet les comman-
dements, les articles de foi et les légendes des saints, comme
la Somme des vices et des vertus!. L'école du diable se mani-
feste ainsi sous les honnêtes apparences de l’école du Christ;
et ces individus se montrent, à la manière des singes, des
1. Ce doit être le petit traité signalé par F. Ehrle dans l’Archiv
für Literatur-und Kirchengeschichte, t. III, 1887, p. 476, et qui
existe à la bibliothèque Vaticane dans le fonds Borghèse, ms. 173,
fol. 65 v°-84 r°, où il figure sous le titre de Questiones de virtu-
tibus in genere. Sbaralea signale aussi un T'ractatus de vitiis et
virtutibus ac Spiritualibus (Supplementum et castigatio ad scrip-
tores trium ordinum sancti Francisci, Rome, 1806, in-folio, p. 597).
116 QUO MODO BEQUINI CONVERSENTUR
cum precepta Dei et articuli fidei in sancta Ecclesia per
rectores et pastores Ecclesie et doctores ac predicatores
verbi Dei, non per laycos simplices, publice et non in
clamculo, predicari debeant et exponi.
Notandum quoque est quod inter eos sunt aliqui qui
publice mendicant hostiatim, quia, ut dicunt, noverunt
evangelicam paupertatem. Sunt et alii qui non mendi-
cant publice, set aliqua suis manibus operantur et
lucrantur et pauperem vitam ducunt. Sunt autem
quidam ex eis utriusque sexus simpliciores qui articulos
seu errores infra scriptos explicite nesciunt, set igno-
rant; verumptamen nonnulli ex ipsis communiter cre-
dunt explicite quod fuit indebita et injusta condempna-
tio Bequinorum, que fuit facta in pluribus locis in
provincia Narbonensi, videlicet Narbone et in Capites-
tagno et Biterris et apud Lodovam et in dyocesi
Agathensi et apud Lunellum dyocesis Magalonensis et
in Massilia et in Cathalonia per judicium prelatorum
et inquisitorum heretice pravitatis ab anno Domini
M° CCC°XVIILecitra!,et ipsos condempnatos tanquam
hereticos reputant Justos et bonos.
[4.] DE siGNis QUIBUS EXTERIUS ALIQUALITER DISTIN-
GUUNTUR. — Notandum est etiam quod, juxta 1llud
quod ait Augustinus (Contra Faustum, libro XIXc),
dicens : « In nullum nomen religionis seu verum seu
‘ falsum coagulari homines possunt nisi aliquo signacu-
lorum, vel sacramentorum visibilium consortio colli-
gentur » =; ideoque Bequini hujusmodi quedam specialia
observant et habent exterius in modo conversandi ex
1. Angelo Clareno a longuement conté dans son Historia sep-
GENRE DE VIE DES BÉGUINS 117
imitateurs; mais en partie seulement, car, dans la sainte
Église, c’est aux recteurs et pasteurs de l’Église, aux docteurs
et prédicateurs de la parole de Dieu, et non aux simples laïcs
qu’il appartient de prêcher les commandements de Dieu et
les articles de foi, et on les explique publiquement, non en
secret.
À noter que, parmi les Béguins, les uns mendient publi-
quement de porte en porte, car ils ont compris, disent-ils,
la pauvreté évangélique; les autres ne mendient pas en pu-
blic, mais travaillent de leurs mains et gagnent quelque ar-
gent, tout en menant une vie pauvre. Il en est des deux
sexes, ce sont les plus simples, qui ne connaissent pas expli-
citement les opinions ou erreurs qu'on va énumérer et
même les ignorent complètement; ce nonobstant, d’aucuns
sont nettement convaincus de l'injustice des condamnations
portées par les prélats et inquisiteurs de l’hérésie, depuis
l’année 1518!, en plusieurs endroits de la province de Nar-
bonne, à Narbonne, à Capestang, à Béziers, à Lodève, dans
le diocèse d’Agde, à Lunel (au diocèse de Maguelonne), a
Marseille et en Catalogne : ces Béguins, indûment condam-
nés comme hérétiques, sont, à leurs yeux, justes et bons.
[4.] SIGNES AUXQUELS ON PEUT LES RECONNAITRE EXTÉRIEU-
REMENT. — Elle est bien juste ia pensée de saint Augustin
(Contra Faustum, livre XIX) : « En toute religion, les
hommes ne peuvent se grouper sans se distinguer par un
certain nombre de marques ou de signes apparents?. » Aussi
bien, les Béguins offrent extérieurement, dans leur manière
tem tribulationum ordinis Minorum (éd. F. Ehrle, dans l’Archiv
für Literatur-und Kirchengeschichte, t. Il, 1886, p. 142-147) les
persécutions dont les Béguins furent l’objet. Quatre d’entre eux
furent condamnés au bûcher et brûlés à Marseille le 7 mai 1318,
un au mur et vingt à des peines diverses (Baluze, Miscellanea,
éd. Mansi, t. IT, p. 248-250, et J.-M. Vidal, Bullaire de l’Inquisi-
tion française au XIV° siècle, p. Lur et p. 40).
2. Migne, Patrologia latina, t. XLII, col. 355.
118 QUO MODO BEQUINI DETEGANTUR
quibus possunt discerni a ceteris tam in loquendo
quam etiam in aliis.
Modus enim salutandi ipsorum aut resalutandi talis
est. Dicunt enim venientes aut intrantes domum ali-
quam aut occurrentes sibi ipsis in itinere seu in via:
« Benedictus sit Jhesus Christus » vel « Benedictum
sit nomen Domini Jhesu Christi. »
Item, orantes in ecclesia vel alibi sedent acrupiti,
verso vultu seu facie communiter ad objectum parietem
vel similem locum vel ad terram capuciati; et raro
videntur stare flexis genibus et complosis manibus,
sicut faciunt ceteri homines.
Item,in mensa, in prandio, post benedictionem mense,
dicunt illi qui sciunt « Gloria in excelsis Deo », flexis
genibus, ceteris audientibus. In cena vero dicunt
« Salve Regina » illi qui sciunt, similiter flexis genibus.
[b.] SEQUITUR DE ARTICULIS ERRONEIS AUT SCISMATICIS
AUT TEMERARIIS AUT FALSIS BEQUINORUM PREDICTORUM ET
SEQUACIUM EORUMDEM. — In primis itaque dicunt et asse-
runt illi qui a vulgo Bequini nominantur (ipsi autem se
dicunt fratres Pauperes de penitentia de tertio ordine
sancti Francisci) se credere et tenere quod Dominus
Jhesus Christus!, in quantum fuit homo, et ejus apostoli
nichil habuerunt in proprio nec etiam in communi,
quia fuerunt perfecti pauperes in hoc mundo. Item,hanc
dicunt esse perfectam evangelicam paupertatem, videli-
cet nichil habere in proprio nec in communi. Item,
dicunt quod habere aliquid in communi diminuit de
perfectione evangelice paupertatis. Item, quod apostoli
sine diminutione perfectionis eorum et sine peccato non
potuerunt habere aliquid nec in proprio nec in com-
1. Sur la question de la pauvreté du Christ, voir Noël Valois,
FAÇON DE RECONNAÎTRE LES BÉGUINS 119
d’être, tant par leur langage qu’à d’autres points de vue, des
particularités qui permettent de les discerner.
Voici, par exemple, leur façon de saluer ou de rendre le
salut, quand ils arrivent ou entrent dans une maison, quand
ils se rencontrent entre eux en voyage ou sur les chemins :
« Béni soit Jésus-Christ » ou « Béni soit le nom de Notre-
Seigneur Jésus-Christ. »
Item, quand ils prient dans les églises ou ailleurs, ils se
tiennent accroupis, le visage tourné d’ordinaire vers le mur
opposé ou vers un autre, ou bien encore prosternés, la tête
encapuchonnée, contre terre : vous les voyez rarement age-
nouillés et les mains jointes, comme les autres hommes.
Item, au déjeuner, après la bénédiction de la table, ceux
d’entre eux qui le savent récitent à genoux le Gloria in excel-
sis Deo, les autres écoutent. Au diner, ceux qui le savent ré-
citent de même à genoux le Salve Regina.
[.] OPINIONS ERRONÉES, SCHISMATIQUES, TÉMÉRAIRES OU
FAUSSES DES BÉGUINS ET DE LEURS ADEPTES. — Les Béguins
— ou ceux qu’on appelle vulgairement ainsi, car eux-mêmes
se nomment Pauvres Frères de la Pénitence du tiers ordre
de saint François — soutiennent tout d’abord que Notre
Seigneur Jésus-Christ! et ses apôtres, au cours de leur vie
mortelle, n’ont rien possédé en propre ni en commun, car
ils étaient en ce monde des pauvres parfaits. Item, ne rien
posséder, pas plus en propre qu’en commun, voilà précisé-
ment ce qui constitue la pauvreté parfaite évangélique. Item,
posséder quelque bien en commun, c’est enlever de sa per-
fection à la pauvreté évangélique. Item, les apôtres n’au-
raient pu sans pécher et sans perdre de leur perfection pos-
Jacques Duèse, pape sous le nom de Jean XXII, au t. XXIV de
l'Histoire littéraire de la France, p. 426-441; F. Tocco, La ques-
tione della Poverta nel secolo XIV secondo nuovi documenti
(Naples, 1910, in-8°); K. Balthasar, Geschichte des Armutsstreites
im Franziskanerorden bis zum Konzil von Vienne (Münster, 1911,
in-8°); A.-C. Jemelo, II liber Minoritarum di Bartolo e la poverta
minoritica nei giuristi del XIIT al XIV secolo (Sassari, 1921, in-8°).
120 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
muni. Item, dicunt esse hereticum credere et asserere
contrarium predictorum.
Item, dicunt quod regula sancti Francisci est illa vita
Jhesu Christi quam Christus servavit in hoc mundo et
quam apostolis suis tradidit et imposuit observandam.
Item, quod sanctus Franciscus tradidit fratribus sui or-
dinis in regula sua supra dictam evangelicam pauperta-
tem, ita quod professores dicte regule nichil possunt
habere nec in proprio nec in communi preter usum
pauperem' necessarium ad vitam, qui semper sapiat in-
digentiam paupertatis nichilque habeat superfluum.
Item, dicunt quod beatus Franciscus post Christum
et ejJus matrem, et aliqui addunt post apostolos, fuit
summus et precipuus observator vite et regule evange-
lice ac renovator ejus in isto sexto statu Ecclesie in quo
dicunt jam nos esse. Item, predictam regulam sancti
Francisci dicunt esse evangelium Christi aut unum et
idem esse cum evangelio Christi. Item, dicunt quod
quicumque impugnant vel contradicunt in aliquo re-
gule sancti Francisci, quam dicunt esse evangelium,
impugnant et contradicunt evangelio Christi et per
consequens errant et fiunt heretici si in hoc perseverent.
Item, dicunt quod sicut papa aut aliquis alius non
potest aliquid immutare in evangelio Christi nec addere
nec subtrahere ex eodem, ita non potest aliquid immu-
tare in predicta regula sancti Francisci nec addere nec
subtrahere ex eadem quantum ad vota seu consilia
evangelica aut precepta contenta in ipsa. Item, conse-
quenter dicunt quod papa non potest dictam regulam
evangelicam sancti Francisci cassare vel immutare aut
tollere ordinem sancti Francisci de medio ordinum
aliorum, quem evangelicum ordinem esse dicunt. Idem
1. Pierre-Jean Olieu composa en 1279 un traité sur l'usage
ERREURS DES BÉGUINS 121
séder quelque bien en propre ou en commun. C'est être
hérétique, selon eux, que penser et soutenir le contraire.
Item, la règle de saint François est la règle de Jésus-
Christ lui-même, celle qu’il a observée en ce monde, qu’il
a léguée à ses apôtres et qu’il leur a ordonné d’observer.
Item, ce que dans sa règle saint François a transmis aux
frères de son ordre touchant ladite pauvreté évangélique
doit s’interpréter de telle sorte que les profès de ladite règle
ne puissent rien posséder ni en propre ni en commun : de
ce qui est nécessaire à la vie, ils n’ont que l’usage « pauvre! »,
usage qui frise l’indigence et proscrit tout superflu.
Item, le bienheureux François fut, après le Christ et sa
mère — d’aucuns ajoutent, après les apôtres — le principal
et le plus grand observateur de la vie et règle évangélique;
il en est le rénovateur en ce sixième âge de l’Église qu'est
notre époque. Item, ladite règle de saint François est
l'Évangile même du Christ; tous deux sont une seule et
même chose. Item, quiconque combat et contredit en
quelque chose la règle de saint François combat et contre-
dit l'Évangile du Christ; celui-là est par conséquent dans
Perreur et, s’il y persiste, devient hérétique.
Item, de même que ni le pape ni nul autre ne peut rien
changer à l'Évangile, y ajouter ou y retrancher, de même il
ne peut rien changer à la règle de saint François, y ajouter
ou y supprimer, surtout en ce qui concerne les vœux ou
conseils évangéliques et les préceptes qu’elle contient. Item,
par conséquent, le pape n’a pas le droit d'annuler ladite
règle évangélique de saint François, de modifier ou de sup-
primer l’ordre de saint François, qui n’est autre que l’ordre
pauvre que F.Ehrle a partiellement publié dans l’Archiv für Li-
teratur-und Kirchengeschichte, t. III, 1887, p. 507-517. D’après
lui, les profès franciscains ont l’interdiction absolue de détenir de
l'argent. Marcher chaussé, monter à cheval, posséder personnelle-
ment plusieurs habits constitue une violation du vœu de pau-
vreté, excepté en cas de nécessité. Le spirituel Ubertino da Ca-
sale adoucit quelque peu cette doctrine, au temps du concile de
Vienne. Voir Erhle, loc. cit., p. 135, et Fr. Callaey, L'’idéa-
lisme franciscain spirituel au XIV° siècle. Etude sur Ubertin de
Casale (Louvain, 1911, ir-8°), p. 183.
122 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
quoque penitus asseverant de statu seu ordine tertio
sancti Francisci seu de tertia ejus regula.
Item, dicunt quod papa nec etiam generale concilium
non potest cassare aut statuere contrarium alicujus illo-
rum que per predecessorem suum papam vel precedens
concilium generale fuerunt confirmata, statuta vel etiam
ordinata!, et ex hoc communiter tenent et dicunt quod
predicte due regule sancti Francisci, et aliqui eorum
addunt quod etiam quecumque alie per Romanos pon-
tifices confirmate, non possunt cassari per aliquem pa-
pam successorem nec etiam per concilium generale.
Item, dicunt quod si papa immutaret aliquid in regula
sancti Francisci vel adderet aut subtraheret ex eadem,
precipue quantum ad votum paupertatis, aut si dictam
regulam cassaret, in hoc faceret contra evangelium
_ Christi nec aliquis frater Minor aut aliquis alius tene-
retur obedire eidem in predictis, quantumcumque pre-
ciperet alicui aut etiam excommunicaret non obedien-
tem sibi, quia talis excommunicatio esset injusta et
aliquem non ligaret.
Item, dicunt quod papa non potest dispensare cum
aliquo in votis factis secundum regulam sancti Fran-
cisci, scilicet castitatis, paupertatis et obedientie. Item,
quod non potest dispensare cum aliquo in voto pauper-
tatis facto Deo, etiam si votum illud fuerit simplex et
non sollempne, quin persona que vovit paupertatem
teneatur semper eam servare, quia persona cum qua
dispensaretur descenderet de majori et altiori gradu
virtutis et perfectionis ad minorem et inferiorem, et
potestas pape, ut dicunt, est solum ad constructionem
et non in destructionem.
Item, dicunt quod papa non potest facere constitu-
tionem decretalem per quam dispenset aut concedat
ERREURS DES BÉGUINS 123
évangélique. Item, il en va tout à fait de même du tiers-
ordre ou troisième règle de saint François.
Item, un pape — voire un concile général — ne peut an-
nuler ou contredire les approbations, décisions ou ordon-
nances! portées par son prédécesseur ou par un précédent
concile; et donc les deux règles de saint François, confir-
mées par les pontifes romains — comme aussi, ajoutent
certains, toutes les autres règles dans le même cas — ne
peuvent être désormais annulées par aucun pape ni même
par un concile général.
Item, si le pape modifiait en quelque chose la règle de
saint François, y faisait quelque addition ou suppression
surtout en ce qui concerne le vœu de pauvreté, ou s’il
annulait ladite règle, il agirait en cela contre l'Évangile du
Christ; personne, frère Mineur ou autre, ne serait tenu
d’obéir, même sous peine d’excommunication, car une pa-
reille excommunication serait injuste et ne lierait personne.
Item, le pape ne pourrait dispenser quelqu’un en matière
de vœux faits suivant la règle de saint François, c’est-à-dire
ceux de chasteté, pauvreté et obéissance. Item, il ne saurait
dispenser du vœu de pauvreté fait à Dieu, quoique ce vœu
fût simple et non solennel; la personne ayant fait vœu de
pauvreté est tenue de l’observer à perpétuité, parce que la
dispense l’entraînerait à descendre d’un degré de vertu et de
perfection plus grand et plus élevé à un degré plus bas et
inférieur, et parce que le pape ne peut user de son pouvoir,
suivant l’adage, que pour construire et non pour détruire.
Item, le pape n’a pas le droit d’édicter une constitution,
une décrétale, permettant aux Frères Mineurs ou leur accor-
1. Nicolas IIT avait approuvé par la constitution Exiit qui se-
minat (Corpus juris canonici, In Sexto, lib. V, tit. XII, cap. 3) et
même loué l’abdication de toute propriété, tant individuelle que
collective : « Le Christ, disait-il, traçant la voie de la perfection,
l'avait enseignée oralement et mise en pratique. » La propriété
des immeubles acquis par les Mineurs ou reçus en dons, ainsi
que celle des objets mobiliers, avaient été attribuées au Saint-
Siège. Clément V, au concile de Vienne, confirma la décision de
son prédécesseur par la constitution Exivi de Paradiso (Corpus
juris canonici, Clement., lib. V, tit. XI, cap. 1).
124 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
fratribus Minoribus quod possint habere bladum et vi-
num ad servandum in communi in granariis vel cella-
riis pro tempore futuro ad suum usum seu victum ne-
cessarium, quia hoc esset facere contra evangelicam
regulam sancti Francisci et per consequens contra
evangelium Christi.
Item, dicunt quod dominus papa Johannes XXIIus fa-
ciendo quamdam constitutionem que incipit : « Quo-
rumdam »!, in qua dicitur concedere aut dispensare
cum fratribus Minoribus quod possint congregare bla-
dum et vinum in granariis vel cellariis pro tempore fu-
turo ad arbitrium prelatorum? ordinis ipsorum, fecit
contra evangelicam paupertatem et per consequens, ut
aiunt, contra evangelium Christi. Et ideo dicunt quod
factus est hereticus et quod ex hoc perdidit potestatem
papalem ligandi et solvendi et alia faciendi, si in hoc
perseverat, et quod prelati per eum facti ex quo dictam
constitutionem fecit non habent aliquam ecclesiasticam
jurisdictionem seu potestatem.
Item, quod omnes prelati et alii qui eidem domino
pape in dicta constitutione facienda consenserunt aut
consentiunt scienter, ex hoc facti sunt heretici si in hoc
pertinaciter perseverent et quod omnem potestatem seu
Jjurisdictionem ecclesiasticam perdiderunt.
Item, dicunt quod fratres Minores* qui dictam cons-
titutionem fieri procurarunt, aut qui eidem consentiunt,
et eam recipiunt vel ea utuntur, ex hoc heretici sunt
effecti.
Item, dicunt quod papa non potest facere secundum
Deum quod aliquis frater Minor etiam de licentia ipsius
pape transeat ad aliam religionem seu ordinem ubi ipse
frater Minor, sicut et alii fratres ejusdem ordinis, ha-
beat aliquas divitias in communi, quia, ut dicunt, hoc
ERREURS DES BÉGUINS 125
dant la dispense de conserver, en prévision de l’avenir, dans
des greniers et des chais, du blé et du vin pour leur usage
et nourriture : cela est contraire à la règle évangélique de
saint François et par conséquent à P'Évangile du Christ.
Item, le seigneur pape Jean XXIT, qui, par la constitution
dont le premier mot est Quorumdam, permet aux Frères
Mineurs de faire, au gré des supérieurs de l’ordre, des ré-
serves de blé et de vin, dans des greniers et des chais, pour
l’avenir, s’est mis en opposition avec la pauvreté évangé-
lique et donc avec l? Évangile du Christ. Il est tombé dans
l'hérésie et, tant qu’il y persévère, il perd de ce fait la puis-
sance papale de lier et de délier, ainsi que ses autres pou-
voirs; les prélats qu’il a institués depuis ladite constitution
n’ont donc aucune puissance ou juridiction ecclésiastique.
Item, tous les prélats et autres qui ont soutenu ou sou-
tiennent sciemment le pape dans cette affaire sont aussi
tombés dans l’hérésie et, s’ils y persévèrent avec entêtement,
perdent toute puissance et juridiction ecclésiastique.
Item, les Frères Mineurs3 dont les instances ont provoqué
cette constitution, qui l’approuvent, l’acceptent, et en font
usage, sont également hérétiques.
Item, ce n’est point, pour un pape, agir selon Dieu que
d'autoriser un frère Mineur à passer dans un ordre où il
pourrait posséder quelque bien en communauté avec ses
1. 7 octobre 1317; Corpus juris canonici, Extravag. Joannis XXII,
tit. XIV, cap. 1, et Eubel, Bullarium FRANS t. V, p. 128-
130.
2. C’est, en effet, à l’instigation du ministre général Michel de
Césène et des chefs des Conventuels que Jean XXII trancha le
litige irritant qui divisait depuis longtemps l’ordre des Mineurs
en deux fractions ennemies. Dès 1316, il avait été prié ins-
tamment de mettre un terme aux extravagances auxquelles
s’abandonnaient les Spirituels dans les couvents de Narbonne et
de Béziers. On y portait les costumes les plus étranges; on y
pratiquait un ascétisme par trop rigoureux; on mettait à la
porte ceux des Conventuels qui y avaient habité jusque-là; on
affichait l'indépendance à l'égard des supérieurs de l’ordre. Voir
Histoire littéraire de la France, t. XXXIV, p. 427.
3. C'est-à-dire les Conventuels.
Manuel de linquisiteur. 13
126 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
esset descendere a majori et altiori statu seu gradu per-
fectionis et virtutis ad minorem et inferiorem et hoc
esset destruere et non construere, et potestas pape est
data solum in constructionem et non in destructionem.
Item, dicunt quod si aliquis frater Minor etiam de
quacumque licentia pape transierit ad religionem seu
ordinem alium, tenetur semper servare votum pauper-
tatis a se prius factum secundum regulam sancti Fran-
cisci, ita videlicet quod non potest habere unquam
aliquid nec in proprio nec in communi preter usum
pauperem.
Item, dicunt quod si aliquis frater Minor factus fuit
episcopus vel cardinalis vel etiam papa, tenetur semper
servare votum paupertatis a se prius factum secundum
regulam sancti Francisci, ita quod ipse intentus sit so-
lum circa spiritualia administranda et gerenda et omnia
temporalia faciat per alios procuratores ydoneos guber-
nari et ministrari.
Item, dicunt quod papa non potest dispensare in ma-
gnitudine nec in pretiositate habituum! fratrum Mino-
rum contra regulam sancti Francisci, videlicet quod
aliquam superfluitatem habeant, et fratres Minores non
debent ei in hoc obedire nec in aliquo alio quod sit
contra perfectionem regule sancti Francisci.
Item, dicunt quod perfectior status qui sit in ecclesia
Dei est status ordinis fratrum Minorum, qui pauperta-
tem evangelicam voverunt et promiserunt, nec status
prelatorum ad perfectionem ejus pertingit, set illi pre-
lati qui de ordine fratrum Minorum assumuntur, ubi
paupertatem evangelicam promiserunt, ad quam ser-
vandam sunt perpetuo obligati, ad eamdem perfectio-
nem pertingunt si votum servaverint a se prius factum.
Item, dicunt quod :illi quatuor fratres Minores qui
ERREURS DES BÉGUINS 127
confrères du même ordre : ce serait pour le bénéficiaire
descendre d’un degré ou état plus élevé de vertu et de per-
fection à un degré inférieur, ce serait détruire et non cons-
truire; or, le pouvoir a été donné au pape seulement pour
construire, et non détruire.
Item, quand un frère Mineur passe, avec l’autorisation
pontificale, à un autre ordre, il n’est point pour autant dé-
chargé du vœu de pauvreté qu’il a fait précédemment selon
la règle de saint François; il ne peut posséder de biens en
propre ou en commun et n’en a que l’usage pauvre.
Item, cette même obligation continue à peser sur les
frères qui deviennent évêques, cardinaux ou papes, à tel
point qu'ils ne doivent se réserver que le gouvernement spi-
rituel, laissant à des procureurs idoines le soin d’administrer
et de gérer les choses temporelles.
Item, le pape n’a pas non plus le droit de dispenser, con-
trairement à la règle de saint François, en ce qui concerne
la longueur et le prix du costume! des Frères Mineurs, dont
toute superfluité doit être bannie; on n’est pas tenu en cela
de lui obéir, comme d’ailleurs sur tout autre point contraire
à la perfection de ladite règle.
Item, les Frères Mineurs ont embrassé l'état le plus parfait
qui soit dans l’Eglise de Dieu, puisqu'ils ont fait vœu de pau-
vreté évangélique. La condition des prélats n’atteint point
cette perfection, et, s’ils veulent y atteindre, les prélats sor-
tis de l’ordre des Frères Mineurs sont obligés d'accomplir
leur vœu : n’ont-ils pas promis de pratiquer la pauvreté
évangélique et ne sont-ils pas engagés à la garder perpétuel-
lement? |
Item, les quatre Frères Mineurs condamnés comme héré-
1. La constitution Quorumdam défendait le port des frocs
étroits, courts et rapiécés dont les Spirituels se faisaient une
gloire. Elle rendait obligatoire le costume adopté par le ministre
général des Frères Mineurs et par les membres du parti conven-
tuel, en vertu de l’obéissance et sous peine d’excommunication.
Elle prescrivait, en outre, la soumission entière audit ministre,
conformément à la teneur de la règle franciscaine et des ordon-
nances pontificales publiées jusque-là (Eubel, Bullarium Fran-
ciscanum, t. V, p. 130).
128 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
sub anno Domini Me CCC XVIII apud Massiliam per
inquisitorem heretice pravitatis!, qui etiam erat de or-
dine fratrum Minorum, fuerunt velut heretici con-
dempnati, ex hoc, utipsi dicunt, quia volebant servare et
tenere puritatem et veritatem et paupertatem dicte re-
gule sancti Francisci et quia nolebant consentire in
laxationem regule nec recipere dispensationem pre-
dicti domini pape factam super illa nec sibi nec aliis
super hoc obedire, fuerunt condempnati injuste pro
veritate regule evangelice defendenda; et ideo dicunt
ipsos non fuisse hereticos, set catholicos, et esse mar-
tires gloriosos, ipsorumque implorant orationes et suf-
fragia apud Deum. |
Item, multi ex eis dicunt se credere eos esse non mi-
noris? meriti apud Deum quam sanctos Laurentium et
Vincentium martires. Item, quidam ex ipsis dicunt quod
in ipsis ITIIcr fratribus Minoribus fuit Christus iterum
spiritualiter crucifixus tanquam in IIIIcr brachiis cru-
cis et paupertas Christi et vita ejus fuit in ipsis con-
dempnata. Item, dicunt quod si prefatus dominus papa
mandavit aut consentiit aut consentit quod predicti
ITTIer fratres Minores fuerint per inquisitorem velut
heretici condempnati, ex hoc ipse factus est hereticus
et major etiam inter alios, cum deberet ipse, sicut caput
Ecclesie, perfectionem evangelicam defendere; et ideo,
ut dicunt, papalem perdidit potestatem nec eum cre-'
dunt esse papam et quod non est ei obediendum in
aliquo a fidelibus et quod ex tunc vacavit papatus.
Item, dicunt quod omnes illi Bequini vulgariter a[p]-
pellati, qui se ipsos fratres Pauperes de penitentia de
tertio ordine sancti Francisci a[p]pellant, qui in istis
a. is À et B. — b. minores À, B, C.
ERREURS DES BÉGUINS 129
tiques à Marseille en l’an du Seigneur 1318 par linquisi-
teur de l’hérésie!, un frère mineur lui aussi, l’ont eté préci-
sément pour avoir entendu garder et maintenir la pureté,
vérité et pauvreté de ladite règle de saint François, pour
n'avoir pas consenti à un adoucissement de cette règle,
n'avoir pas accepté la dispense accordée par le pape sur ce
point et avoir refusé, à ce propos, obéissance au pape
comme aux autres; ils ont donc été condamnés injustement
pour la défense de la pureté d’une règle évangélique. Aussi,
ce ne sont point des hérétiques, mais des catholiques et de
glorieux martyrs dont on implore les prières et suffrages
auprès de Dieu.
Item, ces frères, beaucoup en sont convaincus, ne sont
pas aux yeux de Dieu d’un moindre mérite que les saints
martyrs Laurent et Vincent. Item, pour quelques-uns, le
Christ a de nouveau subi une sorte de crucifiement spirituel
en la personne de ces quatre Frères Mineurs, comme sur les
quatre bois de la croix; en eux, c’est la pauvreté du Christ
et sa vie qui ont été condamnées. Item, si le seigneur pape
a ordonné et approuvé ou approuve cette condamnation
portée par l’inquisiteur, il est lui-même hérétique et le plus
grand de tous, puisque, chef de l’Église, il devrait prendre
la défense de la perfection évangélique. Dès lors, il a perdu
la puissance pontificale; il n’est plus pape et personne
parmi les fidèles ne lui doit obéissance : le siège est
vacant.
Item, un certain nombre de Béguins — qu’on appelle
communément tels et qui se nomment entre eux Pauvres
Frères de la Pénitence du tiers-ordre de saint François —
1. Cet inquisiteur était le franciscain Michel Lemoine, auquel
Jean XXII avait commis les pouvoirs d'entamer des poursuites
contre des Spirituels le 6 novembre 1317 (J.-M. Vidal, Bullaire de
l'Inquisition française, p. 35-39, et Eubel, Bullarium Francisca-
num, t. V, p. 132-133). Les rédacteurs de l'Histoire littéraire de
la France lui ont consacré une courte notice (t. XXXII, p. 582).
150 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
tribus annis precedentibus, videlicet ab anno Domi-
ni MCCCC°cXVIIL citra, fuerunt per judicium prela-
torum et inquisitorum heretice pravitatis velut heretici
condempnati in provincia Narbonensi, videlicet Nar-
bone, in Capitestagno, Bitterris et apud Lodovam et
in dyocesi Agathensi et apud Lunellum Magalonensis
dyocesis. Qui credebant predictos IIIIcr fratres Minores
esse sanctos martires et credebant et tenebant et sen-
tiebant sicut ipsi de paupertate evangelica et de potes-
tate pape, videlicet quod eam perdidit et quod sit factus
hereticus, et etiam prelati et inquisitores qui dictos
fratres persecuti fuerunt ex hoc facti sunt heretici; et
quod doctrina fratris Petri Johannis Olivi tota erat vera
et catholica et quod ecclesia carnalis, videlicet Romana
ecclesia, erat Babilon meretrix magna destruenda et
deicienda, sicut olim destructa fuit synagoga Judeorum,
incipiente ecclesia primitiva. Tales, inquam, Bequini,
quamwvis predicta omnia crederent et defenderent, fue-
runt, ut dicunt, condempnati injuste et pro veritate de-
fendenda, et non fuerunt heretici set catholici et dicunt
eos esse coram Deo martires gloriosos.
Item, dicunt quod ecclesia Dei adhuc recognoscet
quod isti IIIIor fratres Minores et dicti Bequini qui
fuerunt velut heretici condempnati sunt sancti mar-
tires et de eis fiet sollempne festum in Ecclesia sicut
de magnis martiribus. Item, dicunt quod prelati et in-
quisitores qui ipsos Judicaverunt et condempnaverunt
velut hereticos et etiam omnes 1lli qui consenserunt
aut consentiunt scienter in condempnationibus eorum
ex hoc facti sunt heretici, si in hoc perseverant, et ex
hoc perdiderunt ecclesiasticam potestatem ligandi et
solvendi et ministrandi ecclesiastica sacramenta nec
est eis obediendum a fidelibus christianis.
ERREURS DES BÉGUINS 131
ont été, depuis l’an du Seigneur 1318, juridiquement condam-
nés comme hérétiques par des prélats et inquisiteurs de
l'hérésie dans la province de Narbonne, à Narbonne, à
Capestang, à Béziers, à Lodève, dans le diocèse d'Agde, à
Lunel (au diocèse de Maguelonne). Ils tenaient les quatre
susdits Frères Mineurs! pour de saints martyrs, professaient,
touchant la pauvreté évangélique et la puissance du pape,
les mêmes doctrines, croyances et sentiments, à savoir que
le pape avait perdu ses pouvoirs, qu’il était hérétique et,
avec lui, les prélats et inquisiteurs qui avaient persécuté
les frères. À leurs yeux, l’enseignement tout entier de Pierre-
Jean Olieu était la vraie doctrine catholique; quant à l’église
charnelle, c'est-à-dire l'Église romaine, c’était Babylone, la
grande prostituée, à détruire et à démolir, comme autrefois
la synagogue des Juifs au début de la primitive Église. Ces
Béguins donc, bien qu'ils aient cru et soutenu de pareilles
choses, n’en ont pas moins été, affirment-ils, condamnés in-
justement pour la défense de la vérité; ce ne sont pas des
hérétiques, mais des catholiques, et, devant Dieu, de glo-
rieux martyrs.
Item, l’Église de Dieu reconnaîtra plus tard de saints
martyrs dans ces quatre Frères Mineurs et ces Béguins qui
furent condamnés comme hérétiques ; elle instituera en leur
honneur une fête solennelle, comme pour les grands mar-
tyrs. Item, les prélats et les inquisiteurs qui les ont jugés
et condamnés pour hérésie, tous ceux également qui ont
approuvé ou approuvent sciemment ces condamnations de-
viennent de ce fait hérétiques; s’ils s’obstinent, ils perdent
le pouvoir ecclésiastique de lier, de délier, d’administrer les
sacrements; les fidèles ne leur doivent plus obéissance.
1. Les noms de ces Mineurs nous ont été conservés. Ils s’ap-
pelaient Jean Barrau (Barravi), Déodat Michel, Guilhem Sanc-
ton (Sanctonis), Pons Roche (Rocha), d'après la sentence pro-
noncée par l’inquisiteur Michel Lemoine (Baluze, Miscellanea,
éd. Mansi, t. Il, p. 248-251; voir aussi Eubel, Bullarium Francis-
canum, t. V, p. 133).
132 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
Item, dicunt quod omnes et singuli predicti quos di
cunt esse factos hereticos propter predicta non sunt
Ecclesia aut de ecclesia Dei nec de numero fidelium,
set sunt extra ecclesiam Dei si in hoc perseverant. Item,
quod omnes 1lli qui nolunt aut recusant credere illos
eosdem articulos quos dicti IIIIor fratres Minores et
Bequini qui fuerunt velut heretici condempnati crede-
bant, et etiam omnes illi qui non credunt dictos con-
dempnatos velut hereticos esse martires gloriosos, tales,
inquam, dicunt non esse de ecclesia Dei, sed extra Ec-
clesiam.
Item, dicunt quod omnes illi qui tenent et credunt,
sicut ipsi Bequini seu fratres Pauperes de tertio ordine
credunt et tenent de predictis omnibus et sicut credi-
derunt et tenuerunt illi qui fuerunt velut heretici con-
dempnati ac etiam alii fideles qui non sunt de tertio
ordine, sive sint clerici aut religiosi, sive layci, qui cre-
dunt et tenent de predictis sicut ipsi Bequini, omnes,
inquam, tales, ut aiunt, sunt ecclesia Dei et intra eccle-
siam Dei vivunt!.
Item, multi Bequini et Bequine ac etiam credentes
ipsorum recollegerunt occulte ossa combusta et cineres
predictorum combustorum qui fuerunt veiut heretici
condempnati ad conservandum sibi pro reliquiis, et
tanquam reliquias sanctorum osculabantur et venera-
bantur, sicut aliorum sanctorum, ob devotionem et re-
verentiam eorumdem, sicut compertum et inventum
per inquisitionem et per confessiones ac depositiones
quorumdam Bequinorum receptas in judicio qui talia
secum habebant et alios habere et habuisse viderant et
sciebant; sic quoque nos inquirentes de talibus reliquiis
apud eos inventis palpavimus et vidimus et fide proba-
vimus oculata.
1. C’est ce que prétend Pierre Guiraud, du diocèse de Béziers.
ERREURS DES BÉGUINS 133
Item, aucun de ceux, et sans exception, qui sont ainsi
tombés dans l’hérésie ne constitue, selon eux, l’Église, ne
fait partie de l’Église de Dieu, ne compte au nombre des
fidèles ; tous sont, au contraire, exclus de cette Église s’ils
persévèrent. Item, aucun de ceux qui refusent leur adhésion
aux articles pour lesquels les quatre Frères Mineurs et Bé-
guins furent condamnés comme hérétiques, aucun de ceux
qui refusent de tenir ces derniers pour de saints martyrs,
ne fait partie de l’Église de Dieu, mais tous en sont exclus.
Item, tous ceux, au contraire, qui croient sur les points
sus-indiqués ce que croient les Béguins ou Pauvres Frères
du tiers-ordre, ce qu'ont cru les frères condamnés pour hé-
résie, ceux-là, qu'ils soient clercs, religieux ou laïcs, qu’ils
appartiennent ou non au tiers-ordre, vivent en communion
avec l’Église de Dieu et en font partief.
Item, beaucoup de Béguins et de Béguines, ainsi que de
leurs fidèles, ont recueilli à la dérobée les ossements calci-
nés et les cendres de ceux qui, comme on l’a dit plus haut,
furent brûlés après avoir été condamnés pour hérésie; ils
les conservent comme des reliques, les baisent et vénèrent
par dévotion et avec respect comme les reliques des autres
saints : on l’a appris et constaté au cours des enquêtes par
les aveux et témoignages reçus en jugement de la bouche
de certains Béguins qui portaient sur eux de tels objets, qui
en avaient vu sur des confrères et qui savaient que d’autres
en portaient ou en avaient porté; nous-même, au cours de
nos interrogatoires, avons palpé ces sortes de reliques trou-
vées sur les prévenus, les avons examinées et avons eu de
leur réalité des preuves visibles.
Le Béguin n'ose dire si les inquisiteurs qui condamnèrent les
quatre Frères Mineurs et le pape, ainsi que tous ceux qui ap-
prouvèrent leur sentence, font ou non partie de l'Eglise (P. Lim-
borch, Historia Inquisitionis, p. 390). Les Béguins du Roussillon
sont beaucoup plus radicaux. D’après eux, les prélats et les in-
quisiteurs qui ont coopéré à la capture, à l’incarcération, au ju-
gement ou à la remise au bras séculier des quatre Mineurs sont
hérétiques; ils ont perdu le pouvoir des clés, le droit de consa-
crer l’hostie au corps du Christ, la faculté de conférer les ordres
sacrés. Voir J.-M. Vidal, Procès d'inquisition contre Adhémar de
Mosset (Perpignan, 1912, in-8°), p. 63.
134 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
Item, aliqui ex Bequinis scripserunt et notaverunt
nomina predictorum condempnatorum et dies seu ka-
lendas in quibus passi fuerunt sicut martires, ut ipsi
asserunt, secundum quod ecclesia Dei de sanctis et jus-
tis martiribus facere consuevit, et nomina eorum anno-
taverunt in suis kalendariis etin suis invocabantletaniis.
Item, dicunt quod papa non potest dispensare cum
aliqua persona in voto virginitatis seu castitatis, etiamsi
votum illud fuerit simplex et non sollempne, quantum-
cumque etiam ex tali dispensatione sequeretur aliquod
magnum bonum communitatis, puta reformatio pacis
alicujus provincie sive regni vel conversio unius gen-
tis ad fidem Christi, quia persona cum qua dispensare-
tur de majori et altiori gradu perfectionis sue descen-
deret ad minorem.
Item, addunt circa hoc quod, etiamsi omnes mulieres
essent mortue, excepta una que vovisset castitatem aut
virginitatem Deo, etiamsi genus humanum deficeret
nisi talis mulier contraheret, papa non posset cum tali
muliere dispensare nec talis mulier teneretur obedire
pape precipienti ut contraheret; et si obediret mortali-
ter peccaret, et si propter hoc excommunicaretur per
papam, talis excommunicatio esset injusta et eam non
ligaret; et si sustineret propter hoc mortem, esset mar-
tir. Item, addunt et dicunt aliqui ex eis quod si persona
que fecisset votum castitatis contraheret matrimonium,
etiam cum dispensatione pape, tale matrimonium non
esset verum nec legitimum et filii inde nati non essent
legitimi sed adulterini.
Item, dicunt quod prelati et religiosi habentes vestes
superfluas et pretiosas! faciunt contra perfectionem
Evangelii et contra preceptum Christi et juxta precep-
1. Le luxe déployé par les cardinaux a été stigmatisé par Pé-
ERREURS DES BÉGUINS 135
Item, quelques Béguins ont consigné et transcrit les noms
des susdits condamnés, avec la date de ce qu’ils appellent
leurs « passions », comme l’Église de Dieu a coutume de le
faire pour les saints et les martyrs authentiques; ils les ont
placés dans leurs calendriers et les invoquaient dans leurs
litanies.
Item, à les entendre, le pape ne peut dispenser personne
du vœu de virginité ou de chasteté, même dans le cas d’un
vœu simple et non solennel, si excellent que dût être pour
la communauté le résultat d’une telle dispense, comme le
rétablissement de la paix dans une province ou un royaume,
la conversion d’une nation à la foi chrétienne, car le béné-
ficiaire descendrait, dans l’échelle de la perfection, d’un de-
gré supérieur à un degré inférieur.
Item, toutes les femmes, ajoutent-ils, seraient-elles mortes,
sauf une ayant voué à Dieu sa chasteté ou sa virginité, le
genre humain dût-il disparaître si cette dernière ne contrac-
tait mariage, le pape ne pourrait la dispenser. La femme ne
serait pas tenue d’obtempérer à l’ordre du pape lui impo-
sant le mariage; en obéissant, elle pécherait mortellement.
Si le pape l’excommuniait pour sa désobéissance, l’excom-
munication serait injuste et ne la lierait point. Si la femme
subissait la mort pour le même motif, elle serait martyre.
Item, d’après certains autres, si une personne ayant fait
vœu de chasteté contracte mariage, même avec dispense
pontificale, son mariage n’est ni réel ni légitime et les en-
fants qui naîtront d’elle ne seront pas légitimes, mais adul-
térins.
Item, les prélats et religieux qui portent de longs et riches
costumes! agissent contrairement à la perfection de l’Évan-
gile et au précepte du Christ, mais selon l’ordre de l’anté-
trarque en termes virulents : « À la place des apôtres qui allaient
nu-pieds on voit, à présent, des satrapes montés sur des chevaux
couverts d’or, rongeant l’or et bientôt chaussés d’or, si Dieu ne
réprime leur luxe insolent. On les prendrait pour des rois de
Perse ou des Parthes qu'il faut adorer et qu’on n’oserait aborder
les mains vides » (De Sade, Mémoires pour la vie de François
Pétrarque, tirés de ses œuvres et des auteurs contemporains,
Amsterdam, 1764-1767, in-4°, t. II, p. 95).
136 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
tum Anti-Christi et tales ac etiam clerici incedentes
pompose sunt de familia Anti-Christi.
Item, dicunt quod ipsi Bequini seu Pauperes de ter-
tio ordine non tenentur jurare coram prelatis et inqui-
sitoribus, quamvis delati sint de secta et heresi Bequi-
norum ad respondendum eis, nisi solum de fide aut de
articulis fidei. Item, addunt et dicunt quod per prelatos
aut inquisitores non debent interrogari nisi solum de
articulis fidei aut de preceptis aut de sacramentis; et, si
interrogentur de aliis, non tenentur respondere, cum
sint, ut aiunt, layci et homines simplices; sunt tamen
astuti, callidi et versuti.
Item, dicunt quod non tenentur jurare nec juramento
possunt aut debent obligari, quod suos credentes et
complices aut consortes detegant aut revelent, quia, ut
dicunt, hoc esset contra caritatem proximi et in damp-
num ejus.
Item, dicunt quod si excommunicarentur propter hoc
quia recusant Jurare simpliciter et absolute de veritate
dicenda in judicio requisiti nisi tantum de articulis fidei
aut preceptis aut sacramentis et quia nolunt de aliis
respondere et quia recusant suos complices revelare,
quod talis excommunicatio est injusta et quod non ligat
eos et eam penitus parvipendunt.
Item, dicunt quod papa non potest secundum Deum
inhibere Bequinis etiam per sententiam excommunica-
tionis quod non vivant de mendicitate quamvis possent
laborare et de arte sua victum sibi congruum procu-
rare et quamwvis non laborent in Evangelio, cum eis non
competat docere aut predicare, quia, ut dicunt, in hoc
diminueretur perfectio eorumdem nec ipsi tenentur in
hoc obedire pape et talis sententia non ligaret eos; etsi
propter hoc condempnarentur ad mortem, dicunt quod
essent martires gloriosi.
ERREURS DES BÉGUINS 137
christ; eux et les clercs à la démarche pompeuse sont de la
famille de l’antéchrist.
Item, les Béguins et Pauvres du tiers-ordre, bien que dé-
noncés comme appartenant à la secte et hérésie des Béguins
et amenés précisément pour répondre de cette accusation,
ne sont point tenus de prêter serment devant les prélats et
inquisiteurs, à moins qu’il ne s’agisse de la foi ou des
articles de foi. Item, les prélats et inquisiteurs ont le droit
de les interroger uniquement sur les articles de la foi, sur
les commandements ou sur les sacrements. Si les interroga-
toires portent sur d’autres sujets, ils ne sont pas tenus de
répondre : ne sont-ils pas des laïcs et des gens simples ? —
à ce qu'ils prétendent du moins — car ils sont en réalité
astucieux, rusés et fourbes.
Item, on ne peut ni on ne doit les obliger par serment à
révéler ou à découvrir leurs « croyants », complices et com-
pagnons; ils ne sont point en pareil cas tenus de jurer : ce
serait, à les entendre, contraire à l’amour du prochain et
agir au détriment d’autrui.
Item, si on les excommunie, parce que, requis en juge-
ment, ils n’acceptent point le serment pur et simple de dire
la vérité, sauf en ce qui concerne les articles de foi, les com-
mandements ou les sacrements, parce qu'ils refusent de ré-
pondre au sujet d'autrui et ne veulent point révéler leurs
complices, une telle excommunication est injuste, ne les lie
pas et ils n’en tiennent absolument aucun compte.
Item, le pape ne peut, selon Dieu, imposer aux Béguins,
même par une sentence d’excommunication, de ne point
vivre de mendicité, pour cette raison qu'ils peuvent travailler
et se procurer par l’exercice d’un métier les vivres néces-
saires et qu’ils ne sont point des ouvriers de l’Évangile, puis-
qu’il ne leur appartient pas d'enseigner ou de prêcher : leur
perfection en serait, disent-ils, amoindrie, et donc ils ne
doivent point obéissance au pape en cette matière et une
telle sentence ne les lierait point. S'ils étaient pour cette
raison condamnés à la mort, ils seraient de glorieux mar-
tyrs.
138 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
Item, dicunt et asseverant quod tota doctrina et scrip-
tura fratris Petri Johannis Olivi de ordine fratrum
Minorum est vera et catholica et eamdem credunt et
dicunt fuisse ei a Domino revelatam et dicunt dictum
fratrem Petrum Johannis hoc ipsum, dum vivebat, suis
familiaribus revelasse. Item, eumdem fratrem Petrum
Johannis communiter vocant sanctum patrem non ca-
nonizatu m.
Item, dicunt ipsum esse ita magnum doctorem quod
ab apostolis et evangelistis citra non fuerit aliquis ma-
jor eo; et aliqui addunt quod ipse major fuit in sancti-
tate et doctrina. Item, aliqui ex eis dicunt quod non fuit
aliquis doctor in ecclesia Dei, excepto sancto Paulo et
dicto fratre Petro Johannis, cujus dicta non fuerint in
aliquo per Ecclesiam refutata!; set tota doctrina sancti
Pauli et fratris Petri Johannis est tenenda totaliter per
Ecclesiam, nec est una littera dimittenda.
Item, aliqui ex eis dicunt eumdem fratrem Petrum
Johannis veritatem tenuisse et dixisse in eo quod dixit
et tenuit quod Christus vivebat quando fuit pendens in
cruce in latere lanceatus, dicentes quod anima Christi
secundum rei veritatem adhuc erat in corpore; set quia
Christus erat multum exinanitus, ideo aspicientibus
mortuus videbatur. Johannes autem evangelista ideo
dixit eum tunc esse mortuum quia mortuus apparebat;
Matheus autem evangelista scripsit quod Christus vivus
erat, quia secundum rei veritatem ita erat; set Ecclesia
abrasit hoc de evangelio Mathei ne Johannis evangelio
contrarius videretur.
Item, dicunt et exponunt quod dictus frater Petrus
Johannis fuit spiritualiter ille angelus de quo scribitur
(Apocalipsis X°) quod facies ejus erat sicut sol et habe-
bat librum apertum in manu sua, quia, ut dicunt, sin-
ERREURS DES BÉGUINS 139
Item, l’enseignement et les écrits de frère Pierre-Jean
Olieu, de l’ordre des Frères Mineurs, représentent la véritable
et catholique doctrine; cette doctrine lui fut révélée par le
Seigneur, et c’est ledit frère Jean qui, pendant sa vie, a fait
connaître ce détail à ses familiers. Item, les Béguins donnent
ordinairement au même frère Pierre-Jean le nom de saint-
père non canonisé.
Item, c’est selon eux un si grand docteur que depuis les
apôtres et les évangélistes 1l n’en fut pas de plus grand; il
a été, ajoutent quelques-uns, le plus grand en sainteté
comme en doctrine. Item, affirment certains, il n’est pas
dans l’Église de Dieu, en dehors de saint Paul et dudit frère
Pierre-Jean, un seul docteur dont les opinions n’aient été
sur quelque point repoussées! par l’Église; mais toute la
doctrine de saint Paul et du frère Pierre-Jean doit être en-
tièrement agréée par l’Église et une seule lettre n’en saurait
être modifiée.
Item, pour quelques-uns, le frère Pierre-Jean a dit et
soutenu la vérité, en disant et soutenant que le Christ était
vivant, alors qu’il était attaché à la croix le côté transpercé,
car son âme résidait réellement encore dans le corps; c’est
parce qu’il était considérablement épuisé que les specta-
teurs le croyaient mort. Si Jean l’Évangéliste a affirmé qu’à
ce moment le Christ était mort, c’est que telle était l’appa-
rence ; l’évangéliste Matthieu avait écrit, pour sa part, que le
Christ était vivant, car telle était la réalité; l’Église, elle, a
gratté ce détail dans l’évangile de Matthieu afin que l’on ne
s’aperçût point de la contradiction avec celui de Jean.
Item, ledit frère Pierre-Jean a été d’une manière spiri-
tuelle cet ange dont il est écrit, au chapitre x de l’Apocalypse,
que sa face était comme le soleil et qu’il tenait un livre
1. Le concile de Vienne (6 mai 1312) avait pourtant décrété,
contrairement à l’opinion professée par Pierre-Jean Olieu au sujet
de la mort du Christ : « Nous déclarons que ledit apôtre et évan-
géliste Jean a présenté les faits avec exactitude, quand il a dit
que le Christ était déjà mort au moment où un des soldats lui
ouvrit le côté d’un coup de lance » (Eubel, Bullarium Francis-
canum, t. V, p. 86).
140 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
gulariter inter omnes alios doctores fuit ei aperta veritas
Christi et intelligentia libri Apocalipsis; et in postilla
ipsius quam habent transpositam in vulgari in predicto
loco libri Apocalipsis ipsi sic intelligunt et exponunt.
Item, dicunt quod scriptura et doctrina predicti fra-
tris Petri Johannis sunt magis necessarie ecclesie Dei
pro isto tempore finali quam alique alie scripture quo-
rumcumque doctorum et sanctorum, exceptis scripturis
apostolorum et evangelistarum, quia, ut dicunt, ipse
magis declarat et dat intelligere malitiam Anti-Christi
et discipulorum ejus, videlicet phariseorum quos di-
cunt esse prelatos et religiosos moderni temporis.
Item, dicunt quod si Deus non providisset ecclesie
Dei per dictum fratrem Petrum Johannis vel aliquem
alium sibi similem, totus mundus esset cecus vel here-
ticus. |
Item, dicunt quod illi qui non recipiunt doctrinam
vel scripturas ejusdem fratris Petri Johannis sunt ceci eo
quod non sentiunt nec vident veritatem Jhesu Christi;
et illi qui reprobant et condempnant ejus doctrinam
sunt heretici!. |
Item, dicunt quod dictus frater Petrus Johannis
est lumen et lux quam Deus misit in mundum, et
propter hoc illi qui non vident istud lumen ambulantin
tenebris.
Item, dicunt quod si papa condempnaret doctrinam
vel scripturam fratris Petri Johannis, condempnando
eam esset hereticus, quia condempnaret vitam et doc-
trinam Christi.
Item, dicunt quod si papa condempnaret dictam doc-
trinam aut scripturam, ipsi non reputarent eam con-
dempnatam, et si propter hoc excommunicaret eos non
reputarent se esse excommunicatos nec ei obedirent nec
redderent libros ejus.
ERREURS DES BÉGUINS 141
ouvert dans sa main : entre tous les autres docteurs, c’est à
lui tout spécialement qu’ont été manifestées la vérité du
Christ et l'intelligence du livre de l’Apocalypse; c’est là
l'interprétation qu’ils donnent de ce passage dans son com-
mentaire qu'ils ont traduit en langue vulgaire.
Item, les écrits des apôtres et des évangélistes mis à part,
les écrits et l’enseignement dudit frère Pierre-Jean sont plus
nécessaires à l’Église de Dieu, en ce temps de la fin du
monde, que les ouvrages de n’importe quels docteurs et
saints; on y découvre mieux et on y comprend plus claire-
ment la malice de l’antéchrist et de ses disciples, c’est-à-
dire des pharisiens que sont les prélats et les religieux de
l'époque actuelle.
Item, si Dieu n’avait pourvu aux besoins de l’Église de
Dieu en lui envoyant ledit frère Pierre-Jean ou un autre
qui lui ressemblât, le monde entier serait aveugle et héré-
tique.
Item, ceux qui n’acceptent pas la doctrine ou les écrits
du même frère Pierre-Jean sont aveugles, car ils ne sentent
ni ne voient la vérité de Jésus-Christ; ceux qui réprouvent
et condamnent cette doctrine sont hérétiques1.
Item, ledit frère Pierre-Jean est la lumière et le flambeau
envoyés par Dieu au monde; aussi, ceux-là marchent dans
les ténèbres qui ne voient pas cette lumière.
Item, si le pape condamnait la doctrine et les écrits du
frère Pierre-Jean, il serait hérétique, car il condamnerait la
vie et la doctrine du Christ.
Item, si le pape condamnait ladite doctrine et lesdits
écrits, les Béguins ne les réputeraient pas condamnés pour
autant, et, s’il les excommuniait pour cette raison, ils ne se
regarderaient point comme excommuniés, ils n’obéiraient
point et ne livreraient point les ouvrages en question.
1. À la suite d’une enquête faite par les soins du ministre gé-
néral des Mineurs, le chapitre réuni à Marseille vers la Pente-
côte de l’année 1319 se crut autorisé à condamner les écrits de
Jean-Pierre Olieu comme entachés d’hérésie (F. Erhle, Petrus
Johannes Olivi, sein Leben und seine Schriften, dans l'Archiv für
Literatur-und Kirchengeschichte, t. III, ann. 1887, p. 451).
Manuel de l’inquisiteur. 14
142 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
Item, dicti Bequini habent libros dicti fratris Petri
Johannis ex latino transpositos in vulgari, quos trans-
posuerunt seu transtulerunt aliqui ex sequacibus suis,
videlicet postillam super Apocalipsim!' et quemdam
tractatum parvum de paupertate? et alium satis parvum
de mendicitateÿ et quemdam alium de septem spiriti-
bus malignisi et quedam alia scriptitata, que omnia
dicto fratri Petro Johannis ipsi intitulant et ascribunt,
sive ipse fecerit, sive aliquis alius ex doctrina et tradi-
tione ejus eos composuerit, quia idem sapiunt et in
eodem consentiunt dogmate ; dictosque libros in vulgari
legunt sibi ipsis et suis familiaribus et amicis in suis
conventiculis etin suis mansiunculis, quasvocant domos
paupertatis, tali vocabulo usitato, et informant se et
alios quos possunt ex doctrina pestifera ejusdem.
Item, informati seu potius deformati ex doctrina
quam auriunt ex postilla prefati Petri Johannis super
Apocalipsim, dicunt ecclesiam carnalem, per quam
intelligunt Romanam ecclesiam, non solum pro ipsa
Roma, set quantum se extendit Romani imperii latitudo,
esse illam Babilonem meretricem magnam de qua lo-
quitur Johannes in Apocalipsi*; et de ipsa exponunt et
intelligunt mala que leguntur ibidem, videlicet quod
ipsa est ebria de sanguine martirum Jhesu Christi; et
exponunt de sanguine illorum quatuor fratrum Mino-
rum qui fuerunt apud Massiliam condempnati ut he-
retici et combusti et de sanguine Bequinorum de tertio
ordine qui fueruntin istis retro annis tanquam heretici
condempnati et combusti in provincia Narbonensi,
sicut superius plenius continetur, quos asserunt esse
martires Jhesu Christi.
1. Voir sur ce commentaire ou « postille », F. Ehrle, dans l’Ar-
chiy für Literatur-und Kirchengeschichte, t. II (1887), p. 493-495.
ERREURS DES BÉGUINS 143
Item, lesdits Béguins possèdent les ouvrages du frère
Pierre-Jean en des traductions en langue vulgaire dues à
quelques-uns de ses disciples. Ce sont un commentaire! sur
l’'Apocalypse, un petit traité de la pauvreté, un second du
même genre sur la mendicitéi, un troisième sur les septesprits
malins À et quelques autres courts écrits à lui attribués ou
mis sous son nom. Peu leur importe d’ailleurs qu’il en soit
réellement l’auteur ou que l’un des siens l’ait composé en con-
formité avec sa doctrine et son enseignement, les sentiments
et opinions étant identiques. Ils lisent lesdits ouvrages en
langue vulgaire entre eux, en compagnie de leurs familiers
et de leurs amis, au cours de leurs conventicules et dans
leurs petites maisons, qu’ils appellent ordinairement mai-
sons de pauvreté; ils se pénètrent, eux et les autres qu'ils
peuvent atteindre, de cette doctrine pestilentielle.
Item, façonnés ou plutôt déformés par la doctrine qu’ils
puisent dans le commentaire du frère Pierre-Jean sur l’Apo-
calypse, ils prétendent que l’église charnelle — comprenez
l'Église romaine qu'il ne faut point restreindre aux limites
de Rome elle-même, mais étendre à tout le territoire de
l'empire romain — est cette Babylone, la grande prostituée
dont parle Jean dans l’Apocalypseÿ. C’est à elle que se rap-
portent, selon leur interprétation, les maux dont il est
question en ce passage; c’est elle qui est ivre du sang des
martyrs de Jésus-Christ, et ce sang c’est celui des quatre
Frères Mineurs condamnés comme hérétiques et brûlés à
Marseille, c'est celui des Béguins du tiers-ordre condamnés
comme hérétiques et brûlés au cours des dernières années
dans la province de Narbonne, ainsi qu’on l’a déjà exposé
plus en détail, et qu’ils affirment être des martyrs de Jésus-
Christ.
2. F. Ehrle (loc. cit., p. 506-517) signale un traité sur la pau-
vreté franciscaine écrit vraisemblablement en 1279 et un autre
sur l’usage pauvre postérieur à cette année.
3. C’est sans doute le court traité signalé par F. Ehrile, loc. cit.,
p. 522.
4. Le P. Ehrle n’en a pas trouvé trace.
5. Apocalypse, XVII, 5.
144 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
Item, exponunt quod ipsa Ecclesia de vino fornica-
tionis sue potavit omnes reges terre, id est reges et
principes christianitatis et magnos prelatos qui pompam
mundi secuntur.
Item, duas ecclesias quasi distingunt, videlicet eccle-
siam carnalem quam dicunt esse ecclesiam Romanam
quantum ad multitudinem reproborum et ecclesiam
spiritualem quantum ad viros quos vocant spirituales
et evangelicos, qui vitam Christi et apostolorum ser-
vant; et hanc ecclesiam dicunt esse suam, quamwvis ali-
qui ex ipsis dicant esse tantum unam ecclesiam, quam
vocant carnalem, meretricem magnam propter repro-
bos, et spiritualem ac virginem, non habentem macu-
lam neque rugam quantum ad electos, quos vocant viros
evangelicos, dantes intelligere se ipsos qui pauperta-
tem evangelicam dicunt se tenere et defendere et pro ea
pati.
Item, dogmatizant quod ecclesia carnalis, videlicet
Romana ecclesia, ante predicationem Anti-Christi est
destruenda per bella que contra ipsam faciet Frederi-
cus, rex Sicilie!, qui nunc regnat, cum complicibus suis,
qui vocantur decem reges, qui intelliguntur per decem
cornua bestie de quibus scribitur in Apocalipsi?; et
quedam alia de rege Frederico contra regem Francie et
regem Robertumÿ circa hoc fabulantur tam erronea
quam insana.
Item, dogmatizant quod in fine sexti status Ecclesie,
in quo statu dicunt nos esse, qui incepit a sancto Fran-
cisco citra, predicta ecclesia carnalis Babilon meretrix
magna est reicienda a Christo, sicut rejecta fuit syna-
goga Judeorum, quia crucifixit Christum, quia carnalis
ecclesia crucifigit et persequitur vitam Christi in illis
ERREURS DES BÉGUINS __ 145
Item, l'Église elle-même, enseignent-ils, a abreuvé du vin
de la fornication tous les rois de la terre, c’est-à-dire les
rois et princes de la chrétienté et les hauts prélats qui dé-
ploient dans leur conduite la pompe de ce monde.
Item, ils distinguent en quelque sorte deux églises : l’une,
l’église charnelle, c’est-à-dire l’Église romaine, celle de la
multitude des réprouvés; l’autre, l’église spirituelle, celle
des hommes spirituels et évangéliques qui vivent de la vie
du Christ et des apôtres, et c’est leur propre église. Quelques-
uns pourtant ne reconnaissent qu’une seule église, qu’ils
nomment charnelle et grande prostituée en raison des ré-
prouvés, spirituelle et virginale, immaculée et sans tache eu
égard aux élus, qu’ils appellent hommes évangéliques, don-
nant à entendre qu’il s’agit d'eux-mêmes, puisqu'ils observent
la pauvreté évangélique, la défendent et souffrent pour elle.
Item, l’église charnelle, enseignent-ils, c’est-à-dire l’Église
romaine, sera détruite, avant la prédication de l’antéchrist,
par les guerres que lui feront Frédéric, roi de Sicile! actuel-
lement régnant, et ses complices : ils voient dans ces der-
niers les dix rois correspondant aux dix cornes de la bête
dont parle l’Apocalypse2. A ce propos, ils débitent des fables
aussi erronées qu’insensées au sujet du roi Frédéric contre
le roi de France et le roi Roberti.
Item, à la fin du sixième âge de l’Église — dans lequel
nous sommes et qui a débuté avec saint François — la sus-
dite église charnelle, Babylone, la grande prostituée, doit
être rejetée par le Christ, comme autrefois la synagogue des
Juifs. Celle-ci a crucifié le Christ; l'église charnelle crucifie
et persécute la vie du Christ dans la personne de ceux qu’on
1. Frédéric IL, roi de Trinacrie (1296-1337), se trouvait, en effet,
en état de rébellion contre le Saint-Siège qui soutenait son vas-
sal, Robert d'Anjou, dépossédé de l’île de Sicile. Consulter sur
ce point l’étude récente de M. E. Haberkern, Der Kampf um Si-
zilien in der Jahren 1302-1377 (Berlin, 1922, in-8°).
2. Apocalypse, XVII, 12.
3. Robert le Sage, roi de Naples (1309-1343).
PNR CARPE STE TERRE ORITel
140 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
fratribus quos vocant pauperes et spirituales ordinis
sancti Francisci, exponendo tam de primo quam deter-
tio ordine de persecutione que facta est contra eos in
provincia Provincie et in provincia Narbonensi, de qua
in superioribus est pretactum.
Item, dogmatizant quod, sicut, rejecta synagoga Ju-
deorum, a Christo fuerunt pauci viri electi ex ea per
quos fuit fundata Christi ecclesia primitiva, quantum
ad primum statum Ecclesie, ita, rejecta et destructa
carnali ecclesia Romana in sexto statu Ecclesie, quem
dicunt nunc esse, remanebunt pauci viri electi spiri-
tuales pauperes evangelici, quorum major pars, ut
aiunt, erit de utroque ordine sancti Francisci, videlicet
de primo et de tertio, per quos fundabitur ecclesia spi-
ritualis que erit humilis et benigna in septimo et ultimo
statu Ecclesie, qui incipiet mortuo Anti-Christo.
Item, dogmatizant quod omnes religiones seu ordines
destruantur in persecutione Anti-Christi, excepto or-
dine sancti Francisci, quem distingunt in tres partes,
quarum unam dicunt esse communitatem ordinis et
secundam dicunt esse illos qui appellati sunt Fratisselli!
in Ytalia et tertiam dicunt esse tam in fratribus quos
vocant spirituales servantibus spiritualem puritatem re-
gule sancti Francisci quam in fratribus de tertio ordine
eisdem adherentibus; et prime due partes, ut aiunt,
destruentur et tertia remanebit usque ad finem mundi
duratura, quia, ut aiunt, beato Francisco sic fuit a Deo
promissa.
Item, aliqui exeis dogmatizant quod Spiritus Sanctus
effundetur in majori habundantia vel saltem in equali
super illos viros electos spirituales et evangelicos per
quos fundabitur ecclesia spiritualis et benigna in sep-
timo et ultimo statu, quam fuerit effusus super aposto-
los discipulos Jhesu Christi in die penthecostes in eccle-
ERREURS DES BÉGUINS 147
nomme Pauvres et Spirituels de l’ordre de saint François :
il s’agit ici des membres du premier et du troisième ordre
qui ont été poursuivis, comme on l’a dit plus haut, dans les
provinces de Provence et de Narbonne.
Item, de même qu’après le rejet de la synagogue des Juifs,
le Christ a choisi dans son sein un petit nombre d'hommes
qui, au premier âge de l’Église, fondèrent l’Église primitive
du Christ, de même, après le rejet et la destruction de
l’Église romaine charnelle, au sixième âge de l’Église, l’âge
présent selon eux, il restera un petit nombre d’élus, Spiri-
tuels, Pauvres évangéliques, dont la majorité, à ce qu’ils
disent, appartiendra aux deux ordres de saint François, au
premier et au troisième. C’est par eux que sera établie
l’église spirituelle, qui sera humble et bonne, au septième
et dernier âge de l’Église qui commencera à la mort de
Pantéchrist.
Item, tous les ordres religieux seront détruits par la per-
sécution de l’antéchrist, l’ordre de saint François excepté.
Et encore, ils distinguent dans l’ordre trois parties : la pre-
mière constitue, à ce qu’ils disent, la masse de l’ordre, la
seconde comprend les Fraticelles d’Italie!{, la troisième se
compose des frères que l’on appelle Spirituels et qui observent
dans sa pureté l'esprit de la règle de saint François, ainsi
que des frères du tiers-ordre qui adhèrent à leurs doctrines.
Les deux premiers groupes seront détruits, le troisième du-
rera jusqu’à la fin du monde : c’est, disent-ils, la promesse
faite par Dieu à saint François.
Item, le Saint-Esprit, selon quelques-uns, sera répandu
plus abondamment ou du moins aussi abondamment sur les
élus spirituels et évangéliques — par qui sera établie, au sep-
tième et dernier âge, l’Église bonne etspirituelle — qu’au jour
de la Pentecôte sur les apôtres, disciples du Christ, dans la
1. Les Fraticelles étaient des Spirituels qui avaient formé des
communautés indépendantes de l’ordre même des Frères Mineurs
sous le couvert de privilèges accordés en 1294 par Célestin V,
mais révoqués par Boniface VIII. Ils habitaient plus communé-
ment l'Italie méridionale. Voir l’article Fraticelles, dans le Dic-
tionnaire de théologie catholique, publié sous la direction de Va-
cant, Mangenot et Amann, t. VI (Paris, 1920, in-4°), col. 770-784.
148 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
sia primitiva ; et dicunt quod descendet super eos tan-
quam flamma ignis in fornace et hoc exponunt quod;
non solum anima replebitur Spiritu Sancto, set etiam
Spiritum Sanctum in suo corpore sentient habitare.
Item, dogmatizant esse duplicem Anti-Christum, vi-
delicet unum spiritalem seu misticum et alium realem
majorem Anti-Christum; et primum dicunt esse pre-
paratorem vie secundi; et dicunt esse primum Anti-
Christum illum papam! sub quo fiet et sub quo jam fit,
ut aiunt, persecutio et condempnatio eorumdem.
Item, determinant tempus infra quod major venerit
Anti-Christus et incipiet predicare et finiet cursum
suum; quem Anti-Christum jam dicunt esse natum,
et finierit secundum quosdam ex eis cursum suum
infra annum quo computabitur incarnatio Domini,
anno Me CCCe XXVoe; alii vero dicunt infra annum
quo computabitur MoCCC°XXX°; alii vero dicunt
quod erit ad tardius infra annum quo computabi-
tur MeCCC XXXVe.
Item, dogmatizant quod ïilli viri spirituales quos
vocant evangelicos, in quibus et per quos fundabitur
Ecclesia, de quibus in superioribus est pretactum, mor-
tuo Anti-Christo, predicabunt duodecim tribubus Israel
et convertentur de qualibet tribu duodecim milia?, qui
simul omnes congregati erunt centum quadraginta qua-
tuor milia; et hec erit militia signata per angelum ha-
bentem signum Dei vivi, et exponunt per beatum Fran-
ciscum, qui habuit stigmata vulnerum Christi;, que
militia signata primo pugnabit cum Anti-Christo, et
per eum occidetur ante adventum Helye et Enoch.
Item, fabulantes dogmatizant quod, quando carnalis
ecclesia destruetur, tunc erunt magna bella et fiet
magna strages populorum christianorum et destruetur
ERREURS DES BÉGUINS 149
primitive Église. L’Esprit-Saint descendra sur eux comme
la flamme d’une fournaise et, explique-t-on, non seulement
âme sera remplie de l’Esprit-Saint, mais le corps éprouvera
physiquement le sentiment de cette habitation.
Item, ils enseignent qu’il y aura deux antéchrists : l’un,
spirituel ou symbolique; l’autre, le véritable et le principal;
le premier préparera les voies au second. Le premier anté-
christ, c’est le pape!, sous lequel auront lieu, sous lequel ont
lieu déjà, à ce qu'ils disent, leurs propres persécutions et
condamnations.
Item, ils précisent l’époque de la venue du grand anté-
christ, du commencement de sa prédication, de sa mort.
L’antéchrist, selon eux, est déjà né. Selon certains, il finira
sa carrière au cours de l’an de l’incarnation du Seigneur 1325;
selon d’autres, l’an 1330; suivant d’autres, enfin, au plus
tard en 1335.
Item, ces hommes spirituels-qu’on appelle évangéliques,
en qui et par qui sera établie l'Église et dont on a parlé plus
haut, prêcheront aux douze tribus d'Israël; ils convertiront
douze mille? hommes de chaque tribu, ce qui fera cent
quarante-quatre mille : ce sera la milice marquée par l’ange
ayant le signe du Dieu vivant, c’est-à-dire par le bienheureux
François qui porta les stigmates du Christ. Cette milice
ainsi marquée combattra d’abord contre l’antéchrist et le
tuera avant la venue d’Élie et d'Énoch.
Item, ce sont là les fables qu’ils débitent, l’église charnelle
sera détruite. I] se fera alors de grandes guerres et un grand
carnage des peuples chrétiens : un nombre considérable
1. C'est-à-dire le pape Jean XXII, ainsi qu’il appert des réponses
faites par un certain Adhémar de Mosset, petit seigneur roussil-
lonnais, mais poursuivi en 1352-1334 sous l’inculpation de bégui-
nisme. Voir J.-M. Vidal, Procès d'inquisition contre Adhémar de
Mosset, inculpé de béguinisme (Perpignan, 1912, in-8°), p. 72.
Cela ressort non moins clairement des aveux obtenus dix ans au-
paravant de quelques-uns des Béguins dont l’interrogatoire est
consigné au Livre des sentences de l’inquisition de Toulouse, pu-
blié par Ph. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 308.
2. Apocalypse, VII, 5-8.
150 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
anta multitudo virorum in bello' qui carnalem eccle-
siam defendebant; quod, viris quasi omnibus mortuis,
mulieres christiane que remanserint pre amore et con-
cupiscentia virorum amplexabuntur arbores?; et circa
hec quamplura alia fabulosa dicunt que leguntur in
postilla predicta posita in vulgari.
Item, dicunt quod, post ecclesie carnalis destructio-
nem, venient Sarraceni et occupabunt terram christia-
norum et intrabunt partes istas regni Francie, videlicet
per Narbonam, et abutentur mulieribus christianis et
multas captivas ducent ut abutantur eis; et istud dicunt
fuisse revelatum a Deo fratri Petro Johannis in Nar-
bona.
Item, dicunt quod tempore persecutionis tam Anti-
Christ quam predictorum bellorum ïita affligentur
christiani carnales quod desperati dicent quod, si Chris-
tus esset Deus, non permitteret quod christiani tanta et
talia paterentur mala; et sic desperati apostatabunt a
fide et morientur; set Deus abscondet predictos viros
spirituales electos, ne per Anti-Christum et ministros
suos valeant inveniri. Et tunc Ecclesia reducetur ad
numerum personarum in quo numero fuit fundata Ec-
clesia primitiva, ita quod vix remanebunt duodecim, in
quibus Ecclesia fundabitur et quibus infundetur Spiritus
Sanctus in equali vel majori habundantia quam fuerit
infusus super apostolos in ecclesia primitiva, sicut su-
perius est pretactum.
Item, dicunt quod post mortem Anti-Christi dicti viri
spirituales convertent totum mundum ad fidem Christi
et totus mundus erit bonus et benignus, ita quod nulla
malitia vel peccatum erit in hominibusillius status, nisi
forte peccata venialia in aliquibus; et omnia erunt
communia quoad usum et non erit aliquis qui offendat
ERREURS DES BÉGUINS 151
d'hommes tomberont au cours de cette guerre!, qui défen-
daient l’église charnelle. Les hommes étant presque tous
morts, les femmes chrétiennes survivantes, par amour et
convoitise des hommes, embrasseront les arbres2. Ils ra-
content encore d’autres élucubrations qu’ils lisent dans le
commentaire susdit, traduit en langue vulgaire.
Item, après la destruction de l’église charnelle, viendront
les Sarrasins; ils occuperont la terre des chrétiens et y péné-
treront par ces régions-ci du royaume de France, c’est-à-dire
par Narbonne; ils abuseront des chrétiennes et, dans le
même dessein, en emmèneront un grand nombre en capti-
vité; tout cela conformément à la révélation faite au frère
Pierre-Jean par Dieu à Narbonne.
Item, au temps de la persécution de l’antéchrist et de
celle qui sévira au cours des susdites guerres, les chrétiens
charnels seront plongés dans une telle affliction qu'ils
tomberont dans le désespoir : si le Christ était Dieu, iront-
ils jusqu’à dire, il ne permettrait point que les chrétiens
souffrissent tant et de si grands maux; perdant ainsi toute
espérance, ils apostasieront et mourront. Mais Dieu cachera
les élus spirituels dont on a parlé, et l’antéchrist et ses mi-
nistres ne pourront les découvrir. L'Église, alors, sera ré-
duite au nombre de personnes qu’elle comptait à la fonda-
tion de l'Eglise primitive; c'est à peine s’il en restera douze.
Par eux l’Église sera reconstituée et sur eux l’Esprit-Saint
se répandra aussi et même plus abondamment que sur les
apôtres de la primitive Église, comme on l’a déjà laissé en-
tendre.
Item, après la mort de l’antéchrist, lesdits hommes spi-
rituels convertiront le monde entier à la foi du Christ; tout
le monde sera bon et miséricordieux, à tel point qu’on ne
trouvera dans les hommes de cet âge aucune malice, aucun
péché, sauf peut-être des péchés véniels chez certains. Tous
les biens seront d'usage commun, personne n’offensera son
1. Les Béguins de Roussillon plaçaient le lieu de combat aux
environs de Salses (Pyrénées-Orientales). Voir Vidal, op. cit., p.63.
2. Voir le Livre des sentences de Bernard Gui (Limborch, His-
toria Inquisitionis, p. 303 et 309).
æ
122 DE ERRORIBUS BEQUINORUM
alium vel sollicitet ad peccatum, quia maximus amor
erit inter eos et erit tunc unum ovile et unus pastor; et
talis hominum status et conditio durabit secundum ali-
quos ex ipsis per centum annos; deinde, deficiente
amore, paulatim subingredietur malitia, et in tantum
excrescet paulative quod Christus propter excessum
malitie quasi cogetur venire ad generale judicium om-
nium.
Item, graviter et ignominiose oblocuntur contra do-
minum papam vicarium Jhesu Christi, quem sicut
insani mente et scismatici vocant et dicunt esse misti-
cum Anti-Christum majoris Anti-Christi, precursorem
et preparatorem vie ejus!. Item, vocant eum lupum ra-
pacem a fidelibus evitandum et prophetam luscum seu
cecum et Caypham pontificem qui Christum condemp-
navit et Herodem qui Christum illudendo derisit, quia,
ut dicunt, ipse condempnat vitam Christi et deridet
Christum in pauperibus suis. Item, ipsum dicunt esse
aprum de silva et singularem ferum exterminantem et
destruentem maceriam seu clausuram ecclesie Dei ita
ut in eam possint ingredi canes et porci, id est homines
qui perfectionem vite evangelice dilacerant et concul-
cant; et dicunt quod plus fecit de malo in Ecclesia quam
omnes heretici precedentes, quia tempore hereticorum
manebat Ecclesia in statu suo, nunc vero tempore ejus
non videtur esse ecclesia Dei, set dyaboli synagoga;
dicuntque tempore ejus carnalis ecclesia destruetur; et
ipse solus cum duobus cardinalibus fugiet et latitabit et
morietur pre tristitia et dolore.
Hec sunt insana et heretica dogmata secte pestifere
predictorum Bequinorum, que omnia et quamplura
alia, que longum esset per singula enarrare, ex ore ipso-
rum audivimus, inquirendo cum eis et contra eos, etin
ERREURS DES BEGUINS 153
prochain ni ne le portera au péché, car une très grande
charité régnera parmi les hommes, et il n’y aura qu’un trou-
peau et qu’un pasteur. Selon la doctrine de certains, cet
état et cette condition dureront cent ans; puis, la charité
diminuant, la malice s’introduira peu à peu et prendra bien-
tôt tel développement que le Christ, à cause de cet excès de
méchanceté, sera, pour ainsi dire, forcé de venir pour le
jugement général.
Item, ils lancent des invectives violentes et ignominieuses
contre le seigneur pape, vicaire de Jésus-Christ : comme
des insensés et des schismatiques, ils le traitent d’antéchrist,
symbole du grand antéchrist, son précurseur et le prépa-
rateur de ses voies!. Item, ils le traitent de loup ravissant
que les fidèles doivent éviter, de prophète borgne et aveugle ;
c’est lui le grand prêtre Caïphe qui a condamné le Christ,
c’est lui Hérode qui a tourné le Christ en dérision : ne
condamne-t-il pas lui-même, disent-ils, la vie du Christ et
ne se moque-t-il pas du Christ dans la personne de ses
pauvres? Item, ils le traitent de sanglier de la forêt, de bête
féroce extraordinaire; il détruit et démolit l’enceinte ou clô-
ture de l’Église de Dieu, pour la livrer à l'invasion des chiens
et des porcs, c’est-à-dire des hommes qui déchirent et
foulent aux pieds la perfection de la vie évangélique. Il a
fait, à les entendre, plus de mal dans l’Église que tous les
hérétiques antérieurs : du temps de ces hérétiques, l’Église
demeurait dans sa condition, aujourd’hui elle ne ressemble
plus à l’Église de Dieu, mais à la synagogue du diable. C’est
sous lui, disent-ils, que l’église charnelle sera détruite :
quant à lui, il s’enfuira sans cortège, en compagnie de deux
cardinaux, se tiendra caché et mourra de tristesse et de
douleur. |
Tels sont les dogmes insensés et hérétiques de la secte
pestiférée desdits Béguins. Toutes ces assertions, avec
beaucoup d’autres qu’il serait long d’exposer en détail, nous
les avons recueillies de leur bouche, au cours des enquêtes
1. Voir le Livre des sentences de Bernard Gui (Limborch, His-
toria Inquisitionis, p. 308 et 309).
154 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
libellis eorum quamplura legimus et vidimus contineri,
et in confessionibus eorumdem receptis in judicio etin
processibus inde factis copiosius et diffusius continen-
tur; set hic perstringendo et colligendo in unum re-
dacta sunt ut magis prompte habeantur ad manum. Ce-
pit autem fieri inquisitio contra predictos primo in pro-
vincia Narbonensi ab anno Domini MeCCCeXVIII
citra!, et in provincia Tholosana apud Appamias, sub
anno Domini Mo CCCc XXIc?, et deinceps successive.
[6.] SEQUITUR DE MODO EXAMINANDI ET INTERROGANDI
BEQUINOS PREDICTOS. — Est autem sciendum et adver-
tendum quod quidam ex ipsis Bequinis plura de pre-
dictis articulis erroneis et erroribus didiscerunt et
sciunt et alii pauciora, sicut magis et minus eruditi seu
imbuti sunt in eisdem, ut moris est in talibus semper
in pejus proficere successive nec simul omnia tradere
set paulatim. Unde inquirendo sollers inquisitor inter-
rogare poterit aut de omnibus vel singulis aut de ali-
quibus tantum, aliis pretermissis, prout expediens esse
viderit et qualitas seu conditio personarum que exami-
nande fuerint et natura officii inquisitionis exegerit. Et
ideo consequenter ordinata sunt inferius interrogatoria
facienda juxta errores in quibus inveniuntur deficere et
errare, non quidem quod omnia interrogatoria sint
omnibus et singulis necessario facienda, set illa de qui-
bus expediens fuerit ad arbitrium inquirentis, ut modus
et ars inquirendi cum talibus et de talibus habeatur in
promptu ex propriis singulorum; quin ex interrogatio-
nibus convenienter propositis et ex responsionibus fac-
1. La persécution contre les Béguins fut occasionnée par la pu-
blication de la bulle Sancta Romana, qui est insérée dans le Cor-
pus juris canonici, Extravag. Joannis XXII, tit. VII (30 décembre
1317).
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 155
menées avec eux et contre eux, nous les avons lues et en
avons constaté la présence dans leurs libelles; elles sont
consignées plus au long et avec plus de développement
dans les aveux reçus en jugement et dans les procès qui ont
suivi. On en a fait ici un recueil et un résumé afin de les
avoir plus promptement sous la main. Quant à l’inquisition
contre les susdits hérétiques, elle a commencé dans la pro-
vince de Narbonne dès l’an du Seigneur 1318!, dans celle
de Toulouse, à Pamiers, en l’an 1321, et depuis elle a suivi
son cours.
[6.] MANIÈRE D’EXAMINER ET D’INTERROGER LES BÉGUINS. —
Notons et remarquons que parmi ces Béguins d’aucuns
ont appris et connaissent la plupart de ces erreurs ou opi-
nions erronées, d’autres n’en connaissent qu’un petit
nombre : on dirait qu’on les en a plus ou moins instruits,
qu’ils en sont plus ou moins imbus; ces sortes de gens ont
d’ailleurs l’habitude de n’avancer que pas à pas dans le mal
et de ne pas transmettre tout en bloc, mais à petites doses.
Aussi, au cours de son enquête, l’inquisiteur habile pourra,
comme il le jugera bon, interroger sur tous et chacun de ces
points, ou sur quelques-uns seulement, laissant le reste de
côté, selon que l’exigeront la qualité ou la condition des
personnes à examiner et la nature de l'office inquisitorial.
L’interrogatoire suivant devra donc être réglé d’après les
erreurs constatées chez les prévenus; on ne posera pas né-
cessairement toutes les questions à tous et à chacun, mais
celles-là seulement que l’inquisiteur jugera expédient; celui-
ci saura adapter promptement son art et ses façons d’inter-
roger au caractère de chacun; de la sorte. par des interro-
gations appropriées et d’après la nature des réponses, 1l dé-
2. C'est-à-dire en 1322 (n. st.), car Jean XXII ordonna le 26 fé-
vrier de cette année à l’évêque de Pamiers de rechercher les
Béguins (Vidal, Bullaire de l'Inquisition française, p. 68, n° 37).
Bernard Gui instrumenta contre eux en 1322 et en 1323, ainsi
qu’en témoigne le livre de ses sentences (Ph. Limborch, Historia
Inquisitionis, p. 395-394).
156 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
tuis veritas subulius et facilius invenitur et dolus citius
deprehenditur, si non respondeant clare et proprie ad
interrogata, querentes verborum velamina et occasiones
subterfugiendi ne directe respondeant ad quesita, que
omnia experientia magis docet.
[7.] INTERROGATORIA PROPRIA AD BEQUINOS MODERNI
TEMPORIS. — În primis igitur interrogetur examinandus
quando et ubi et per quem ministrum illius ordinis fuit
receptus ad ordinem et professus; item, si per ordina-
rium loci' vel aliquem alium vice ejus in receptione
sua fuit examinatus de fide, cum dominus papa Jo-
hannes XXIIus statuerit ac ordinaverit quod aliter facta
examinatio aut receptio non valeat, set sitomnino irrita
et inanis; item, ubi et cum quibus ex tunc fuerit con-
versatus. |
Item, si examinandus non fuerit Bequinus, set ma-
gnus credens et amicus Bequinorum, suspectus tamen
de erroribus ipsorum, interrogetur a quo tempore ince-
pit eis credere et familiariter adherere.
Item, examinandus interrogetur si audivit aliquos
docentes et asserentes quod Christus et apostoli nichil
habuerint neque in proprio neque in communi; item,
si audivit dici quod tenere aut credere contrarium sit
hereticum ; item, si audivit dogmatizari quod habere
aliquid in communi diminuat de perfectione evangelice
paupertatis.
Item, si audivit dici aut dogmatizari, et si ipse credi-
dit et credit quod regula sancti Francisci sit unum et
idem cum evangelio Christi aut sit evangelium Christi.
tem, si credidit aut credit quod, sicut papa non po-
test aliquid immutare in evangelio nec addere vel sub-
trahere in eodem, ita non possit mutare aliquid in regula
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS : 157
gagera la vérité avec plus d’exactitude et avec moins de
difficulté, il déjouera plus vite leurs ruses quand ils ne ré-
pondront point clairement et directement, quand, pour ré-
pondre à côté, ils chercheront des obscurités et des subter-
fuges, toutes choses sur lesquelles l’expérience fournira
plus de renseignements.
[7.] INTERROGATOIRE SPÉCIAL AUX BÉGUINS DES TEMPS
ACTUELS. — On demandera tout d’abord à celui qui doit
être interrogé quand, où et par quel ministre de l’ordre il a
été reçu dans l’ordre et entre les mains de qui il a fait pro-
fession; item, si lors de sa réception il a été examiné tou-
chant la foi par l’ordinaire du lieu! ou son représentant, le
pape Jean XXII ayant statué et décidé que tout autre exa-
men ou une réception faite dans d’autres conditions ne se-
raient pas valides, mais nuls et sans effet; item, où et avec
qui il a été alors en relations.
Item, si le prévenu n’est pas un Béguin, mais grand fidèle
et ami des Béguins, et à ce titre suspect d’épouser leurs
erreurs, On lui demandera à quelle date il a commencé de
croire en eux et de se lier d’amitié avec eux.
Item, on demandera au prévenu s’il en a entendu quelques-
uns enseigner et affirmer que le Christ et les apôtres
n’avaient rien possédé ni en propre ni en commun; item,
a-t-il entendu dire qu’il fût hérétique de soutenir ou de
croire le contraire? item, a-t-il entendu enseigner que le fait
de posséder quelque bien en commun enlevât de sa perfec-
tion à la pauvreté évangélique ?
Item, a-t-il entendu dire ou enseigner, a-t-il cru pour sa
part ou croit-il que la règle de saint François ne fasse
qu’un avec l'Évangile du Christ ou soit cet Évangile même ?
Item, a-t-il cru ou croit-il que le pape, de même qu’il ne
peut rien changer à PÉvangile, y ajouter ou en retrancher
quelque chose, ne puisse rien changer à la règle de saint
1. C'est-à-dire l’évêque du lieu.
Manuel de l’ingquisiteur. 15
158 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
sancti Francisci nec subtrahere vel addere in eadem
quantum ad vota seu consilia evangelica et quantum
ad precepta contenta in dicta regula.
Item, si credidit, aut credit vel audivit dogmatizari
quod papa non possit cassare ordinem fratrum Mino-
rum fundatum sub prima regula nec etiam tertium
ordinem ejusdem fundatum sub tertia regula, tollendo
ipsos vel alterum ipsorum de medio ordinum aliorum,
sicut aliquando de aliquibus ordinibus factum fuit.
Item, si audivit dogmatizari, aut credidit aut credit
quod papa non possit facere constitutionem decretalem
per quam dispenset aut concedat fratribus Minoribus
quod possint congregare bladum et vinum ad servan-
dum in communi pro futuro tempore, ad usum seu
victum suum, ad arbitrium prelatorum sui ordinis.
Item, si audivit dici aut credidit aut credit quod do-
minus papa Johannes XXII:5, faciendo quamdam cons-
titutionem que incipit : « Quorumdam »"', in qua dici-
tur dispensasse aut concessisse fratribus Minoribus
quod modo predicto possint habere bladum et vinum
in communi, fecerit in hoc contra evangelicam pauper-
tatem aut contra evangelium Christi?.
Item, si audivit doceri aut credidit aut credit quod
non sit obediendum eidem domino pape per aliquem
fratrem Minorem in predicta dispensatione aut, si ali-
quid aliud immutaverit in dicta regula, etiam si ipse
papa preceperit in virtute obedientie et sub pena ex-
communicationis, quod ita debeat teneri et servari ab
omnibus fratribus.
Item, si audivit dici aut credidit aut credit quod do-
minus Johannes papa XXII, faciendo dictam consti-
tutionem et dispensationem, quod ex hoc sit factus
1. Du 7 octobre 1317 (Corpus juris canonici, Extravag. Joan-
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 159
François, rien y ajouter, rien en retrancher en ce qui con-
cerne les vœux ou conseils évangéliques et les préceptes
contenus dans ladite règle?
Item, a-t-1l entendu enseigner, a-t-il cru ou croit-il qu’il
soit impossible au pape de supprimer l’ordre des frères Mi-
neurs fondé sous la première règle, pas plus que le tiers-
ordre fondé sous la troisième règle, en les arrachant l’un
ou l’autre du sein des autres ordres, comme cela est arrivé
parfois pour quelques-uns ?
Item, a-t-il entendu enseigner, a-t-il cru ou croit-il que le
pape n'ait pas le droit de lancer une décrétale concédant
par dispense aux frères Mineurs la faculté d’amasser du blé
et du vin et d’en faire, au gré des supérieurs de l’ordre, des
réserves en commun, en vue de l’avenir, pour leur usage et
nourriture?
Item, a-t-il entendu dire, a-t-il cru ou croit-il que, en
édictant la constitution Quorumdam !, dans laquelle il con-
cède, par dispense, aux frères Mineurs la faculté de possé-
der du blé et du vin en commun dans les conditions sus-
indiquées, le pape Jean XXII ait agi contre la pauvreté évan-
gélique et contre l'Évangile du Christ2??
Item, a-t-1l entendu enseigner, a-t-il cru ou croit-il qu’un
frère Mineur ne soit pas tenu à l’obéissance envers ce même
pape en ce qui concerne cette dispense — aussi bien que
toute autre modification de ladite règle —, même dans le
ças où le pape, en vertu de l'obéissance et sous peine d’ex-
communication, donnerait à tous les frères l’ordre de
prendre ces modifications en considération et de s’y confor-
mer ?
Item, a-t-il entendu dire, a-t-il cru ou croit-il que, du
fait d’avoir édicté cette constitution et donné cette dis-
pense, le seigneur pape Jean XXII soit tombé dans l’héré-
nis XXII, tit. XIV, cap. 1, et Eubel, Bullarium Franciscanum,
t. V, p. 130, n° 280).
2. Denifle et Châtelain (Chartularium Universitatis Parisiensis,
t. 11, p. 215, n° 760) ont publié une consultation de treize théolo-
giens relative aux objections formulées par les Spirituels contre
la constitution Quorumdam. Ces objections sont sévèrement cen-
surées.
160 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
hereticus et perdiderit potestatem papalem ligandi et
solvendi.
Item, si audivit dici aut credidit aut credit quod papa
non possit dare licentiam alicui fratri Minori quod
transeat ad aliam religionem seu ordinem! ubi habeat
aliquas divitias in communi, eo modo quo ceteri fratres
illius ordinis, quin semper teneatur servare votum pau-
pertatis factum secundum regulam sancti Francisci,
ita videlicet quod nunquam possit habere aliquid nec
in proprio nec in communi.
Item, si audivit dici aut credidit aut credit quod
frater Minor, postquam factus est episcopus aut cardi-
nalis?, teneatur semper servare votum paupertatis a se
factum secundum regulam sancti Francisci.
Item, si audivit aut credidit aut credit quod papa
non possit dispensare in voto castitatis aut virginitatis
cum aliqua persona in aliquo casu, etiam si votum illud
fuerit simplex et non sollempnizatum, etiam si ex dis-
pensatione tali sequeretur quodcumque magnum bonum
communitatis ; et si, post dispensationem factam per pa-
pam, talis persona contraheret, quodillud matrimonium
non esset verum nec legitimum.
Item, si audivit dici aut credidit aut credit quod
papa non possit dispensare cum aliquo in voto simplici
paupertatis.
Item, si audivit aut scivit aliquos fratres Minores
fuisse condempnatos apud Massiliam tanquam hereti-
cos per inquisitorem heretice pravitatis ejusdem ordi-
nis et si audivit vel scivit expresse propter quas causas
1. Jean XXII avait ménagé au spirituel Ubertino da Casale
l'entrée dans le monastère bénédictin de Saint-Pierre, à Gem-
bloux, nonobstant les statuts et coutumes de l’ordre franciscain,
sans doute pour mettre un terme aux dissensions que l’agitateur
avait suscitées parmi ses frères par la publication de son livre
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 161
sie et ait perdu la puissance pontificale de lier et de
délier ?
Item, a-t-1l entendu dire, a-t-il cru ou croit-il que le pape
n'ait pas le droit de donner à un frère Mineur l’autorisation
de passer à un autre ordre religieux! dans lequel le frère
posséderait quelques richesses en communauté avec ses con-
frères du même ordre? Dans ce cas, le frère serait-il toujours
tenu d'observer le vœu de pauvreté fait selon la règle de
saint François, à un tel point qu’il ne puisse jamais posséder
quelque bien ni en propre ni en commun?
Item, a-t-il entendu dire, a-t-il cru ou croit-il que, devenu
évêque ou cardinal?, un frère Mineur soit toujours obligé
d'observer le vœu de pauvreté fait selon la règle de saint
François ?
Item, a-t-il entendu dire, a-t-1l cru ou croit-il que le pape
n'ait pas le droit de dispenser du vœu de chasteté ou virgi-
nité, et cela dans aucun cas, quand même ce vœu aurait été
simple et non solennel, même s’il devait en résulter un grand
bien pour la communauté? et croit-il que, si la personne
ainsi dispensée contractait mariage, son mariage serait nul
et illégitime ?
Item, a-t-il entendu dire, a-t-il cru, ou croit-il que le
pape n’ait pas le droit de dispenser d’un vœu simple de pau-
vreté?
Item, a-t-il appris, a-t-il su que des frères Mineurs avaient
été condamnés pour hérésie à Marseille par un inquisiteur
de leur ordre; et a-t-il été clairement renseigné sur les causes
L'arbre de vie (bulles du 1° octobre 1317, publiées par Eubel,
Bullarium Franciscanum, t. V, n° 287, p. 127).
2. Le Saint-Siège considérait en fait les cardinaux et les évêques
sortis de l’ordre des Mineurs comme déliés du vœu de pauvreté,
car il leur accordaït le droit de tester et de posséder de nombreux
bénéfices. C’est ainsi que deux d’entre eux, les cardinaux Ber-
trand de la Tour et Vidal du Four, cumulèrent les charges ec-
clésiastiques, bien qu’ils eussent pris part au débat sur la pau-
vreté du Christ. Voir Eubel, Bullarium Franciscanum, t. V, p. 131;
E. Albe, Autour de Jean XXII. Les familles du Quercy (Rome,
1904, in-8°), t. II, p. 72-76; Histoire littéraire de la France,
t. XXXVI, p. 190-203 et 295-305.
162 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
fuerunt condempnati; item, si credidit aut credit eos
fuisse et esse catholicos et martires sanctos aut si scivit
et audivit aliquas alias personas que reputarent eos
sanctos martires et si audivit dici aut credidit illos qui
condempnaverunt eos ut hereticos fecisse injuste et
propter hoc esse factos hereticos et persecutores evan-
gelice paupertatis.
Item, si audivit dici aut credidit aut credit quod
papa sit factus hereticus et perdiderit potestatem papa-
lem, si consensiit quod ïilli quatuor fratres Minores
apud Massiliam fuerint tanquam heretici condempnati.
Item, si audivit aut scivit aliquos Bequinos aut Be-
quinas, qui vocant se pauperes de tertio ordine sancti
Francisci, fuisse in istis annis condempnatos per judi-
cium prelatorum et inquisitorum heretice pravitatis in
provincia Narbonensi vel alibi; item, in quibus locis
seu villis in dicta provincia fuerunt condempnati;
item, quot Bequinos vel Bequinas audivit nominari
fuisse condempnatos vel condempnatas; item, si audi-
vit vel scivit causas propter quas fuerunt tanquam he-
retici condempnati.
Item, si credidit aut credit dictos Bequinos qui fue-
runt tanquam heretici condempnati esse et fuisse catho-
licos et sanctos martires! et mortem sustinuisse pro ve-
ritate defendenda; item, si scit vel audivit aliquas
personas que credant aut reputent aut dicant dictos
hereticos condempnatos esse sanctos martires aut sal-
vatos.
Item, si credidit aut credit quod illi qui condempna-
verunt eos tanquam hereticos propter hoc sint facti
heretici.
Item, si habuiït de ossibus vel de pulveribus et de ali-
1. Les Frères Mineurs suppliciés en 1318 à Marseille méritaient,
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 163
de la condamnation? Item, les a-t-il regardés, les regarde-
t-il comme des catholiques et de saints martyrs ? A-t-il connu
ou entendu d’autres personnes qui les tenaient pour de
saints martyrs? À-t-il entendu dire ou a-t-il cru que ceux qui
les ont condamnés pour hérésie l’eussent fait injustement et
fussent devenus de ce fait hérétiques et persécuteurs de la
pauvreté évangélique ?
Item, a-t-il entendu dire, a-t-il cru ou croit-il que, pour
avoir approuvé la condamnation de ces quatre frères Mi-
neurs comme hérétiques, le pape soit tombé dans l’hérésie
et ait perdu la puissance pontificale ?
Item, a-t-il appris ou su qu’en ces dernières années des
Béguins et Béguines s’appelant Pauvres du tiers-ordre de
saint François avaient été frappés d’une sentence de con-
damnation par des prélats et inquisiteurs de l’hérésie, dans
la province de Narbonne ou ailleurs? item, a-t-il eu con-
naissance des lieux ou villages de ladite province où ils
furent condamnés? item, a-t-il su le nombre des Béguins
ou Béguines condamnés ? item, a-t-1l été renseigné sur les
motifs de leur condamnation ?
Item, a-t-il cru ou croit-1il que lesdits Béguins condam-
nés comme hérétiques aient été catholiques, soient de saints
martyrs! et aient enduré la mort pour la défense de la vérité?
item, a-t-il entendu, connaît-il des personnes croyant, pen-
sant et affirmant que lesdits hérétiques condamnés sont de
saints martyrs ou sont sauvés ?
Item, a-t-il cru ou croit-il que ceux qui ont porté la sen-
tence soient de ce fait tombés eux-mêmes dans l’hérésie ?
Item, a-t-1l, dans un sentiment de respect et de dévotion
prétendait-on, d’être considérés comme des martyrs, parce qu’ils
avaient sacrifié leur vie pour la défense de la pauvreté évangé-
lique imposée par la règle de saint François d'Assise. Puisque
celle-ci s’identifiait avec l'Evangile même, ils étaient donc morts
pour le Christ, à l’égal du diacre romain Laurent et de saint
Vincent. On pouvait dès lors les invoquer, se recommander à
eux, recourir à leur intercession près du Seigneur en ces termes :
« Saint .…, priez pour nous. » Voir l’interrogatoire subi par Adhé-
mar de Mosset en 1333 et publié par J.-M. Vidal, Procès d’in-
quisition contre Adhémar de Mosset, p. 67.
104 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
quibus aliis rebus predictorumcondempnatorum etcom-
bustorum pro reliquiis ob devotionem et reverentiam
eorumdem; item, a quibus habuerit et quid inde fecit
et si osculatus fuit; item, si scit aliquas personas alias
que habuerint aut tenuerint de predictis ossibus aut pul-
veribus pro reliquiis.
Item, si credidit quod dominus papa sit factus here-
ticus et perdiderit potestatem papalem si consensit quod
predicti Bequini fuerint tanquam heretici condempnati.
Item, si credidit aut credit quod predicti Bequini
condempnati tanquam heretici et illi qui credebant
eadem sicut ipsi sint Ecclesia Dei vel de Ecclesia Dei
et 11li qui condempnaverunt eos aut consenserunt in
condempnationem eorum non sint de ecclesia Dei.
Item, si scivit vel audivit quod ipsorum condempna-
torum dies obitus sint notati aut scripti ab aliquibus in
kalendariis vel nominati in letaniis, sicut aliorum sanc-
torum scribuntur obitus in letaniis et invocantur no-
mina et implorantur eorum suffragia in letaniis.
Item, si audivit dogmatizari inter Bequinos quod
prelati, religiosi aut clerici habentes vestes superfluas
et pretiosas faciunt contra evangelium Christi et secun-
dum preceptum Anti-Christi vel sunt de familia Anti-
Christi vel quod paupertas Christi singulariter relucet
in petaciis pauperum Bequinorum.
Item, si audivit dogmatizari inter Bequinos quod
ecclesia Dei et fides Christi in tempore moderno re-
manserit solum in populo minuto Bequinorum paupe-
rum de tertio ordine et in alio populo minuto qui non
persequitur ipsos pauperes nec regulam evangelicam
paupertatis.
Item, si audivit dici inter Bequinos quod majoris
perfectionis sit ipsis Bequinis vivere mendicando seu
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 165
pour leurs personnes, conservé comme reliques les osse-
ments, cendres et autres objets ayant appartenu aux sus-
dits condamnés, morts sur le bûcher? item, de qui les te-
nait-1l? qu’en a-t-il fait? les a-t-il baisées? item, connaît-il
d’autres personnes qui aient conservé ou regardé comme
reliques de ces cendres ou ossements ?
Item, a-t-1l cru que, pour avoir consenti à la condamna-
tion de ces Béguins comme hérétiques, le seigneur pape
soit tombé dans l’hérésie et ait perdu la puissance pontifi-
cale?
Item, a-t-1l cru ou croit-il que lesdits Béguins condamnés
comme hérétiques, que les personnes qui partagent leurs
croyances constituent |” Église de Dieu ou en fassent partie
et qu'au contraire ceux qui les ont condamnés ou ont ap-
prouvé leur condamnation n’appartiennent point à l’Église
de Dieu?
Item, a-t-1l appris, a-t-il entendu dire que certains aient
noté et consigné dans des calendriers la date de la mort de
ces condamnés et les aient nommés dans des litanies, de
même que l’on conserve la date de la mort des autres saints,
qu’on invoque leurs noms ou implore leurs suffrages dans
les litanies ?
Item, a-t-1l entendu enseigner parmi les Béguins que les
prélats, religieux et clercs portant de longs et riches cos-
tumes agissent contrairement à l'Évangile du Christ et con-
formément au précepte de l’antéchrist ou sont de la fa-
mille de l’antéchrist, ou encore que la pauvreté du Christ
brille tout particulièrement dans les habits rapiécés des
pauvres Béguins?
Item, a-t-il entendu enseigner parmi les Béguins que
de notre temps l’Église de Dieu et la foi du Christ subsis-
tassent seulement chez le petit groupe des pauvres Béguins
du tiers-ordre et chez cette autre minorité qui ne persé-
cute ni les pauvres en personne ni la règle, évangile de la
pauvreté?
Item, a-t-il entendu dire parmi les Béguins que ce fût
pour eux une plus grande perfection de vivre de la mendi-
cité que du travail de leurs mains? A-t-il entendu dire que
166 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
de mendicitate quam laborando seu de labore manuum
suarum ; et quod papa non possit eis inhibere aut per
sententiam excommunicationis compellere quod non
mendicent publice si possint aliter vivere convenienter
de labore manuum suarum, cum ipsi non laborent in
predicatione Evangelii quibus nec competit predicare.
Item, de doctrina seu scriptura fratris Petri Johannis
Olivi de ordine fratrum Minorum, si audivit eam sibi
legi in vulgari aut si ipse legit eam sibi ipsi vel aliis
et ubi et quociens et quibus; item, quos libros ejusdem
fratris Petri Johannis vel de quibus audivit legi vel
legit, si de postilla super Apocalipsim! vel de tractatu
de paupertate vel de mendicitate vel de aliis opuscu-
lis ejusdem.
Îtem, si reputat aut credit scripturam aut doctrinam
ejusdem fratris Petri Johannis esse veram et catho-
licam.
Item, si audivit dici inter Bequinos vel ab aliquibus
eorum quod scriptura seu doctrina ejusdem sit magis
necessaria ecclesie Dei quam quorumcumque aliorum
doctorum aut sanctorum, preter apostolos et evange-
listas, vel quod ipse sit major doctor in ecclesia Dei
post Apostolos et evangelistas.
Item, si audivit dici vel exponi inter Bequinos quod
dictus frater Petrus Johannis, spiritualiter accipiendo,
sit ille angelus de quo scribitur in Apocalipsi quod
facies ejus erat sicut sol et habebat librum apertum in
manu sua, quia, ut dicunt Bequini, sibi singulariter fuit
aperta veritas Christi et intelligentia libri Apocalipsis
in postilla sua.
1. Ce commentaire combinait les rêveries apocalyptiques de
Joachim de Flore, moine calabrais, mort au début du xrr1° siècle,
avec les élucubrations d’un frère Mineur, Gérard de Borgo San
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 107
le pape n’eût pas le droit — alors qu’ils peuvent vivre con-
venablement de leur travail, qu’ils ne collaborent pas à la
prédication de l'Évangile et que d’ailleurs il ne leur appar-
tient pas de prêcher — de leur défendre de mendier en pu-
blic et de les contraindre à l’obéissance par une sentence
d’excommunication?
Item, en ce qui concerne la doctrine et les écrits du frère
Pierre-Jean Olieu, de l’ordre des frères Mineurs, lui en a-t-on
fait lecture en langue vulgaire, les a-t-il lus par devers
lui ou devant d’autres? où, combien de fois et en présence
de qui? item, quels ouvrages du même frère Pierre-Jean
a-t-il lus ou entendu lire? Était-ce le commentaire sur l’Apo-
calypse!, le traité de la pauvreté, celui de la mendicité, ou
d’autres opuscules?
Item, a-t-il tenu la doctrine ou les écrits du même frère
Pierre-Jean pour vrais et catholiques? |
Item, a-t-1l entendu dire parmi les Béguins ou par cer-
tains d’entre eux que ses écrits et sa doctrine fussent plus
nécessaires à l’Église de Dieu que ceux des autres saints ou
docteurs, les apôtres et évangélistes exceptés, et que lui-
même fût, après les apôtres et les évangélistes, le plus grand
docteur de l’Église de Dieu?
Item, a-t-1l entendu dire et prêcher parmi les Béguins que
ledit frère Pierre-Jean fût, au sens spirituel, cet ange dont
il est écrit dans l’Apocalypse que sa face était comme le
soleil et qu’il tenait en mains un livre ouvert, car, à les en-
tendre, la vérité du Christ et l'intelligence du livre de l’Apo-
calypse se seraient manifestées tout spécialement à lui lors
de la rédaction de son commentaire?
Donnino, exprimées en 1254 dans un ouvrage intitulé l'Évangile
éternel. Pierre-Jean Olieu obtint un grand succès parmi les Spi-
rituels et les Béguins, parce qu’il sut écrire une synthèse bien
ordonnée des théories admises dans son parti. Voir l'article
Joachim de Flore, dans le Dictionnaire de théologie catholique,
publié par Vacant, Mangenot et Amann, t. VIII, 2° partie (1925),
col. 1425-1458, et H. Denifle, Das Evangelium æternum und die
Commission von Anagni, dans l’Archiv für Literatur-und Kir-
chengeschichte, t. I, année 1885, p. 49-142.
168 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
Item, si audivit dici inter Bequinos quod papa non
possit condempnare doctrinam aut scripturam ejusdem
fratris Petrum Johannis ex eo quod est, ut dicunt, re-
velata sibi a Deo; et, si condempnaret eam, quod con-
dempnaret vitam Christi et quod ipsi Bequini non re-
reputarent eam condempnatam nec reprobatam nec
obedirent pape in hoc et quod non reputarent se posse
excommunicari propter hoc per eumdem.
Item, quid ipse credit aut credidit de predictis articu-
lis circa doctrinam aut scripturam dicti fratris Petri
Johannis?
Item, de illis que audivit recitari inter Bequinos, que
dictus frater Petrus Johannis tempore quo vivebat pre-
dixerat et docuerat familiares et Bequinos de statu Ro-
mane ecclesie et de aliis; item, de hiis que legit vel
audivit legi in predicta postilla de quibus recordatur se
audivisse aut legisse.
Item, si legit vel audivit legi in dicta postilla quod
sint septem status Ecclesie et quod in fine sexti status,
quem ipse dicit incepisse a sancto Francisco vel ab ejus
regula, debet terminari status Romane ecclesie sicut
fuit exterminatus status synagoge Judeorum in adventu
Christi.
Item, quod in principio septimi status quem dicunt
incipere mortuo Anti-Christo debet alia nova ecclesia
inchoari et succedere prime ecclesie, rejecta et repro-
bata prima ecclesia carnali, scilicet ecclesia Romana.
Item, si audivit exponi et intelligi in dicta postilla
esse Romanam ecclesiam illam Babilonem meretricem
magnam de qua scribitur in Apocalipsi et quod sit ci-
vitas dyaboli et quod sit finaliter reprobanda et reicienda
a Christo, sicut fuit reprobata et rejecta synagoga Ju-
deorum.
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 169
Item, a-t-il entendu dire parmi les Béguins qu'il fût im-
possible au pape de condamner la doctrine ou les écrits du
même frère Pierre-Jean, sous prétexte qu’elle lui aurait été
révélée par Dieu; et que, d’ailleurs, s’il la condamnait, il con-
damnerait la vie du Christ; que, dans ce cas, les Béguins
tiendraient pour nulles condamnation et réprobation, qu’ils
n’obéiraient pas au pape et qu'ils ne lui reconnaîtraient pas
le droit de les excommunier pour cette raison?
Item, quelle a été ou quelle est sa croyance personnelle
au sujet des articles ci-dessus concernant la doctrine ou les
écrits dudit frère Pierre-Jean?
Item, qu’a-t-il entendu raconter parmi les Béguins au
sujet de prédictions concernant la condition de l’Église
romaine ou autres, que ledit frère Pierre-Jean aurait faites
au cours de sa vie et transmises à ses familiers et aux
Béguins? Item, qu’a-t-il lu ou entendu lire dans le com-
mentaire sus-indiqué? Que se rappelle-t-il d’y avoir lu ou
entendu lire?
Item, a-t-il lu ou entendu lire, dans ledit commentaire,
qu’il doit y avoir sept âges de l’Église? A la fin du sixième âge!
qui, à l'entendre, aurait débuté avec saint François ou avec
sa règle, l’âge de l'Eglise romaine ne doit-il pas prendre fin,
tout comme disparut à l’avènement du Christ l’âge de la
synagogue ?
Item, au commencement du septième âge, que l’on date de
la mort de l’antéchrist, le rejet et la réprobation de l’an-
cienne église charnelle, c’est-à-dire de l'Église romaine, ne
doivent-ils pas être l’origine d'une église nouvelle et qui
succéderait à la première ?
Item, a-t-il entendu au cours dudit commentaire donner
cette interprétation aux termes de laquelle l’Église romaine
serait Babylone et la grande prostituée dont parle l’Apoca-
lypse, la cité du diable, qui devrait finalement être rejetée
et réprouvée par le Christ comme autrefois la synagogue
des Juifs?
1. Ubertino da Casale a longuement caractérisé ce sixième âge.
Voir F. Callaey, L'idéalisme franciscain, p. 122.
170 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
Item, si audivit legi vel exponi quod primatus eccle-
sie carnalis, scilicet ecclesie Romane, transferatur in
novam Jherusalem, per quam dant intelligere quamdam
novam ecclesiam esse futuram in sexti fine status et in
principio septimi.
Item, si audivit legi vel exponi quod sextus status,
videlicet a tempore vel a regula sancti Francisci inchoa-
tus, perfectius servabit regulam evangelicam paupertatis
et patientiam quam aliquis alius status de precedentibus.
Item, si audivit exponi quod regula sancti Francisci
sit vere et proprie illa evangelica vita quam Christus in
se ipso servavit et apostolis imposuit, et quod papa non
habet potestatem super eam.
Item, si audivit exponi quod regula sancti Francisci
sit nequiter impugnata et condempnata ab ecclesia
carnalium et superborum, sicut Christus fuit condemp-
natus a synagoga Judeorum.
Item, si audivit dici vel exponi in dicta postilla
quod beatus Franciscus fuit post Christum et ejus ma-
trem summus evangelice vite et regule observator;
item, quod sub Christo ipse fuit primus et principalis
fundator, initiator et exemplator sexti status Ecclesie et
evangelice regule; item, quod status seu regula sancti
Francisci ad instar Christi crucifigeretur circa finem
sexti status; item, quod tunc beatus Franciscus corpo-
raliter resurget gloriosus, ut sicut in vita et in crucis
stigmatibus fuit Christo singulariter assimilatus, sic in
resurrectione corporali Christo assimiletur.
Item, si audivit exponi quod persecutio seu punitio
que fit nunc de illis qui tenent pertinaciter predictam sec-
tam Bequinorum sit quasi altera crucifixio vite Christi
et quasi manuum et pedum et lateris ejus transfixio.
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 171
Item, a-t-il entendu expliquer que la primauté de l’église
charnelle (l’Église romaine) passerait à la nouvelle Jérusa-
lem, ce qui est une façon d’indiquer la future existence
d’une nouvelle église à la fin du sixième âge et au commen-
cement du septième ?
Item, a-t-il entendu dire et prêcher qu’au cours du
sixième âge, c’est-à-dire à partir du temps de saint François
et de sa règle, la pauvreté et la patience évangéliques
seraient observées plus parfaitement qu’à aucune autre
époque précédente ?
Item, a-t-il entendu exposer que la règle de saint François
fût réellement et proprement cette vie évangélique que le
Christ aurait observée lui-même et imposée aux apôtres, et
sur laquelle ne s’étendrait point le pouvoir pontifical?
Item, a-t-il entendu exposer que la règle de saint François
ait été combattue et condamnée méchamment par l’église
des charnels et des superbes, tout comme le Christ fut
condamné par la synagogue des Juifs?
Item, a-t-1l entendu prétendre, au cours dudit commen-
taire, qu'après le Christ et sa mère saint François ait été le
plus fidèle observateur de la vie et des préceptes évangé-
liques ? item, que sous la direction du Christ il ait été le
premier et principal fondateur, initiateur et modèle du
sixième âge de l’Église et de la règle évangélique? item, que
vers la fin du sixième âge la règle de saint François serait,
à linstar du Christ, crucifiée? item, que le bienheureux
François ressusciterait alors avec un corps glorieux; qu’ainsi
rendu semblable au Christ par sa vie et par les stigmates de
la croix, il lui ressemblerait également par sa résurrection
corporelle ?
Item, a-t-1l entendu exposer que les poursuites et châti-
ments dont sont actuellement l’objet ceux qui embrassent
avec pertinacité ladite secte des Béguins fussent comme
un second crucifiement de la vie du Christ et un nouveau
percement de ses mains, de ses pieds et de son côté?
Item, a-t-il entendu parler d’un sanglier, antéchrist
172 QUO MODO INTERROGANDI SINT BEQUINI
Item, si audivit exponi de apro mistico' Anti-Christo
assimilato Cayphe pontifici Christum condempnanti et
Herodi Christum illudenti; item, de apro magno Anti-
Christo assimilato Neroni et Symoni mago.
Item, si audivit exponi quod status evangelicus sit
status illorum pauperum quos, ut ipsi dicunt, perse-
quitur et punit ecclesia Romana, quia non obediuntset
rebellant contra potestatem apostolicam et contra expo-
sitiones seu declarationes factas super regula sancti
Francisci per apostolicam sedem.
Item, si audivit exponi quod in tertio decimo cente-
nario anno a passione et resurrectione Christi per ordi-
nem sancti Francisci sunt convertendi Sarraceni et ce-
teri infideles cum multis martiriis ipsorum fratrum
Minorum; item, quod in tertio decimo centenario anno
a Christi ortu apparuit sanctus Franciscus et ejus ordo
evangelicus; item, quod in tertio decimo centenario a
Christi morte et ejus ascensione exaltabitur 1pse ordo
evangelicus in cruce et ascendet ejus gloria super totum
orbem; item, quod in tempore impugnationis et con-
dempnationis evangelice vite et regule, que, ut dicunt,
fienda est sub mistico Anti-Christo, quem dicunt esse
papam, et est consummanda sub magno Anti-Christo,
descendet spiritualiter Christus et ejus servus Francis-
cus et discipulorum ejus evangelicus cetus contra
omnes errores et malitias mundi; item, quod sicut
primo fuit predicatus totus orbis per ordinem aposto-
licum, sic predicabitur et convertetur totus orbis per
ordinem evangelicum sancti Francisci inter misticum
Anti-Christum et magnum; item, quod per bestiam
ascendentem de terra in Apocalipsi intelligitur pseudo-
papa? cum suis pseudo-prophetis, qui non immediate
1. En l'espèce, Jean XXII, ainsi qu'il ressort, en particulier,
d’aveux recueillis à Carcassonne en 1325 (Histoire littéraire de la
INTERROGATOIRE DES BÉGUINS 173
mystique! assimilé au grand prêtre Caïphe condamnant le
Christ et à Hérode le tournant en ridicule? item, d’un
sanglier, grand antéchrist, assimilé à Néron et à Simon le
Magicien ?
Item, a-t-1l entendu exposer que la condition évangélique
fût celle de ces pauvres que l’Église romaine, à les entendre,
persécute et châtie pour ce motif qu’ils refusent obéissance
à la puissance apostolique et s’insurgent contre les interpré-
tations et déclarations du siège apostolique touchant la
règle de saint François?
Item, a-t-il entendu enseigner que treize cents ans après
la passion et la résurrection du Christ de nombreux frères
Mineurs ayant souffert le martyre, l’ordre de saint François
convertirait les Sarrasins et autres infidèles? item, que
treize cents ans après la naissance du Christ étaient apparus
saint François et son ordre évangélique? item, que treize
cents ans après la mort du Christ et son ascension, ce
même ordre serait élevé en croix et que sa gloire dominerait
tout le globe? item, qu’au temps où l’on attaquera et con-
damnera la vie et la règle évangéliques — ce sera, à les
entendre, l’œuvre de l’antéchrist mystique, c’est-à-dire du
pape, œuvre que consommera le grand antéchrist — le
Christ descendrait en esprit avec son serviteur François et
se joindrait à la troupe évangélique des disciples de ce
dernier contre toutes les erreurs et malices du monde?
item, que comme l'univers fut une première fois évangélisé
par le groupe apostolique, de même il serait à nouveau
évangélisé et converti par l’ordre évangélique de saint
François dans l'intervalle qui séparerait l’apparition de
l'antéchrist mystique de celle du grand? item, le passage
de l’Apocalypse concernant la bête montant de la terre, ne
l’a-t-1] pas entendu interpréter comme se rapportant au
pseudo-papeî et à ses pseudo-prophètes qui ne répandent
France, t. XXXIV, p. 433, n. 4) et d’interrogatoires consignés
dans le Livre des sentences de l'inquisition de Toulouse (Ph. Lim-
borch, Historia Inquisitionis, p. 302 et 306).
2. Certains Béguins prétendaient que Jean XXII avait cessé
d’être pape pour fait d’hérésie. N’avait-il pas condamné par la
Manuel de l’inquisiteur. 16
174 DE MODO BEQUINORUM ASTUTIAM VITANDI
exercebit corporales interfectiones hominum, sicut bes-
tia ascendens de abysso secularium laycorum que occi-
det sanctos, quod Bequini exponunt de se ipsis; item,
quod sextum caput drachonis ibidem exponit esse mis-
ticum Anti-Christum papam, septimum vero caput ex-
ponit magnum Anti-Christum cum rege monarcha sibi
coherente.
Item, si audivit dici vel legi inter Bequinos de tem-
pore Anti-Christi et de anno quo venturus est.
Item, que audivit dici de multis aliis contra statum
Romane ecclesie et prelatorum et religiosorum et cle-
ricorum et de multis temerariis divinationibus futuri
temporis, que in dicta postilla latius continentur.
[8.] DocTRINA SEU INSTRUCTIO CONTRA ASTUTIAM ET MA-
LITIAM ILLORUM QUI REQUISITI NOLUNT VERITATEM IN JUDICIO
CONFITERI. — Quoniam autem multi ex Bequinis, qui
se dicunt fratres pauperes de penitentia [et] de tertio
ordine sancti Francisci, callida astutia errores et opi-
niones suas erroneas volentes contegere acsubterfugere,
confiteri recusant Jurare! de veritate dicenda de se et de
aliis complicibus suis vivis ac defunctis, in toto pro-
cessu inquisitionis, sicut est moris ac juris in Judicio
requisiti.
Aliqui vero ex eis, quamwvis Jurent, tamen nullatenus
volunt jurare simpliciter et absolute nisi cum protesta-
bulle Quorumdam exigit, en quelque sorte, la pauvreté recom-
mandée par le Christ? Il avait donc parlé contre l'Evangile et
était devenu hérétique (Ph. Limborch, Historia Inquisitionis,
p. 302, 306, 309, 323, 387). D’aucuns répandaient même le bruit
que l’Esprit-Saint avait donné la tiare à un Mineur, frère Guil-
laume Guiraud (Histoire littéraire de la France, t. XXXIV, p. 434,
n. 4).
PRÉCAUTIONS CONTRE L’ASTUCE DES BÉGUINS 175
point directement le sang des hommes, comme Îa bête mon-
tant de la mer, celle-ci symbolisant les laïcs séculiers qui
mettent à mort les saints, entendez les Béguins eux-mêmes?
item, au même endroit n’interprète-t-on pas la sixième tête
du dragon, du pape, l’antéchrist mystique, la septième re-
présentant le grand antéchrist et le monarque attaché à sa
personne?
Item, a-t-1il entendu parler parmi les Béguins de l’époque
de l’antéchrist et de l’année de sa venue?
Item, n’a-t-il pas entendu beaucoup d’autres griefs contre
le condition de l'Église romaine, des prélats, des reli-
gieux et des clercs? A-t-il eu connaissance des nom-
breuses et téméraires prédictions détaillées dans ledit com-
mentaire?
[8.] INSTRUCTION SUR LES DISPOSITIONS A PRENDRE CONTRE
L'ASTUCE ET LA MALICE DE CEUX QUI, APRÈS EN AVOIR ÉTÉ
REQUIS, REFUSENT D'AVOUER EN JUGEMENT LA VÉRITÉ. — De
nombreux Béguins — qui s’intitulent Pauvres Frères de la
pénitence et du tiers-ordre de saint François — dans le des-
sein de cacher et de dissimuler avec une astuce experte
leurs erreurs et opinions erronées, ne veulent point avouer
et, en ayant été requis en jugement suivant le droit et la cou-
tume, refusent, pendant tout le cours du procès, le ser-
ment! de dire la vérité tant en ce qui les regarde qu’en ce qui
concerne leurs complices vivants et morts. |
Quelques-uns, il est vrai, prêtent serment, mais ne veulent
en aucune façon jurer purement et simplement; ils déclarent
1. Avant de procéder à un interrogatoire, le juge mettait l’in-
culpé en demeure de prêter ce serment, conformément à l'usage
sanctionné par le concile de Béziers en 1246. Tout refus impliquait
une présomption d’hérésie, car les Cathares et les Vaudois en-
seignaient qu’il n’était pas permis de jurer (L. Tanon, Histoire
des tribunaux de l'Inquisition en France, p. 347-348). Cf. ci-des-
sus, p. 19, 39 et 61.
176 DE MODO BEQUINORUM ASTUTIAM VITANDI
tione et conditione ac retentione expressis, videlicet
quod ipsi non intendunt jurare nec se per juramentum
obligare ad dicendum aliquid quod ipsi crederent esse
in offensam Dei aut redundare in injuriam seu damp-
num proximi.
Dicunt autem se credere hoc esse in offensam Dei
quod ecclesia Romana et prelati et inquisitores ipsos
Bequinos seu sectam ipsorum persequitur et reprobat
et condempnat, cum tpsi, ut dicunt, teneant et defendant
vitam Christi et evangelicam paupertatem, eo modo vi-
delicet quo ipsi, sicut ut supra premittitur, tam in arti-
culis quam in interrogatoriis eorumdem accipiunt et
exponunt.
Item, reputant, ut dicunt, se Deum offendere si ipsi
abjurarent illos articulos quod nos inquisitores aut pre-
lati judicamus esse erroneos aut errorem et heresim
continere, quosipsie contrario dicunt non esse erroneos
nec heresim continentes, set dicunt esse secundum
evangelicam veritatem, dicentes bonum malum et ma-
lum bonum et ponentes lucem tenebras et tenebras
lucem.
Item, dicunt se credere quod in dampnum etin inju-
riam proximorum redundaret si ipsi detegerent aut re-
velarent inquisitoribus suos complices et credentes,
quia ex hoc, ut dicunt, paterentur persecutionem ab in-
quisitoribus! et sustinerent dampnum, non attendentes
sicut populus execatus quod in primo Deus non offen-
ditur, videlicet cum error detegitur et veritas invenitur
et a devio erroris qui[s] convertitur et revertitur ad rec-
tem semitam veritatis et errorem deserit et abjurat;
item, quantum ad secundum non redundat in dampnum
proximorum, set cedit ad bonum eorum, quando er-
rantes reducuntur ad viam et lumen veritatis, ne ipsi
1. Les Béguins redoutaient à bon droit les poursuites engagées
PRÉCAUTIONS CONTRE L’ASTUCE DES BÉGUINS 177
expressément y mettre cette condition et réserve qu’ils n’en-
tendent pas jurer de dire ni s’obliger par serment à dire ce
qu’ils croiraient être une offense envers Dieu, un dommage
ou une injustice envers le prochain.
Ils croient, disent-ils, que l’Église romaine, les prélats et
les inquisiteurs pèchent contre Dieu en poursuivant, réprou-
vant et condamnant les Béguins et leur secte; ceux-ci, en
effet, à les entendre — et c’est d’ailleurs, nous l’avons vu,
l'explication qu’ils donnent dans leur enseignement et au
cours des interrogatoires — observent et défendent la vie du
Christ et la pauvreté évangélique.
Item, ils croiraient, disent-ils, offenser Dieu, s'ils abju-
raient ces articles que nous, inquisiteurs ou prélats, jugeons
entachés d’erreur et d’hérésie; non seulement ils n’y recon-
naissent ni erreur ni hérésie, mais ils les proclament
conformes à la vérité évangélique, déclarant de la sorte bien
ce qui est mal et mal ce qui est bien, faisant de la lumière
les ténèbres et des ténèbres la lumière.
Item, ils croiraient causer dommage et injustice au pro-
chain en découvrant et en révélant aux inquisiteurs leurs
complices et « croyants » : ceux-ci, disent-ils, seront en
en butte aux poursuites des inquisiteurs!, ce qui leur
portera préjudice. Tel un peuple aveuglé, ils ne remarquent
pas que, premièrement, Dieu n’est pas offensé quand
l'erreur est dévoilée, la vérité reconnue et qu’un dévoyé
abandonnant et abjurant son erreur se convertit et revient
au droit sentier de la vérité. Item, deuxièmement, cela ne
cause aucun préjudice au prochain, mais tourne à son
profit : on ramène alors des égarés vers le chemin et la
lumière de la vérité; de la sorte, ils ne s’enfoncent pas plus
contre eux par les tribunaux d'inquisition. D’après Wadding
(Annales Minorum, t. VI [Rome, 1730, in-tol.], p. 296, n° 44,
ann. 1317), les inquisiteurs franciscains en condamnèrent, à eux
seuls, cent quatorze au bûcher en 1323. M. Tanon (Histoire des
tribunaux de l’Inquisition, p. 84) estime, d’autre part, « que nous ne
connaissons qu’une faible partie des exécutions qui eurent lieu »,
car Mosheim (De Begardis et Beguinabus commentarius, Leipzig,
1790, in-4°) a relevé dans un jugement de l’inquisition de Car-
cassonne une liste de cent treize suppliciés, à partir de 1318.
178 DE MODO BEQUINORUM ASTUTIAM VITANDI
amplius corrumpantur et ne contagione sua pestifera
plurimos perdant et secum trahant in foveam sicut ceci.
Et igitur circa et contra malitiam et astutiam talium
providendum est in inquirendo quod omnino cogantur
jurare simpliciter et absolute absque aliqua conditione
et retentione de plena et mera veritate dicenda tam de
se quam de aliis complicibus suis et credentibus et
fautoribus et receptatoribus et defensoribus ipsorum,
secundum intellectum inquirentis, absque omni dolo et
fallacia, sive in confitendo de se et de aliis, sive in res-
pondendo ad interrogata, affirmando vel negando in
toto processu inquisitionis; alias incurrant perjurium
et penam perjurii ipso facto.
Cavendum est itaque ne juramentum recipiatur ab
eis cum conditione aut retentione aliqua aut cum pro-
testatione predicta et exponatur eisdem e contrario et
dicatur quod non est in offensam Dei nec Deus offen-
ditur, sicut ipsi credunt et dicunt, cum a judice veritas
inquiritur ut error et heresis detegatur; et in hoc etsu-
per hoc standum est non eorum false opinioni set judi-
cio inquirentis.
Item, proximus non leditur nec dampnum aut inju-
riam patitur, sicut ipsi dicunt, set est ad ejus bonumet
salutem anime quando illi qui infecti et implicati sunt
in aliquibus erroribus deteguntur ad hoc ut corrigantur
et convertantur ab errore suo ad viam veritatis utemen
dentur ne in se ipsis amplius corrumpantur et ne alios
suis erroribus inficiant et corrumpant.
Si autem pertinaciter jurare recusaverint nisi cum
conditione et retentione predictis, in eo casu, videlicet
nisi precise juraverint in judicio requisiti de plena et
mera veritate dicenda, sicut premittitur, tunc, canonica
monitione premissa, feratur sententia excommunicatio-
nis in scriptis in illum qui sic requisitus jJurare recusa-
PRÉCAUTIONS CONTRE L’ASTUCE DES BÉGUINS 179
avant dans la corruption, n’en infectent pas un plus grand
nombre de leur contagion pestiférée, les entraînant avec eux
dans la fosse, à la manière des aveugles.
Il faut donc au cours de l’enquête se mettre en garde
contre la malice et l’astuce de tels personnages. A cet
effet, on les contraindra par tous les moyens de jurer
purement et simplement, sans condition ou restriction
aucune, de dire la vérité, tant en ce qui les regarde qu’en ce
qui concerne leurs complices, « croyants », « fauteurs »,
receleurs et défenseurs; en vertu de ce serment, ils devront
pendant tout le cours du procès donner aux mots le sens
même que leur donne l’inquisiteur et n’user d'aucune ruse
ou tromperie, qu’il s'agisse de faire des aveux les concer-
nant eux ou d’autres, qu’il s'agisse de répondre par oui ou
par non aux questions posées. Faute de quoi, 1ls commet-
tront un parjure et en encourront la peine ipso facto.
Ainsi, l’on évitera d’accepter de leur part un serment
accompagné d'une condition ou réserve quelconque, ou de
la protestation sus-indiquée; on doit, au contraire, leur
démontrer que le serment n’est point un péché, que Dieu
n’est point offensé, comme ils le croient et prétendent, quand
un juge recherche la vérité afin de découvrir l’erreur et
l’hérésie. Sur ce point, il leur faut s’en tenir non à leur
sentiment erroné, mais au jugement de l’inquisiteur.
Item, ce n’est pas léser le prochain, lui causer dommage
et injustice, comme ils disent, c’est au contraire vouloir le
bien et le salut de son âme que de dénoncer les personnes
infectées par l’erreur et engagées dans ses liens, afin qu’elles
se corrigent, se détournent de leur erreur pour revenir dans
la voie de la vérité et s’amender : de la sorte elles ne s’en-
foncent pas plus avant dans la corruption, ne corrompent
ni ne contaminent les autres par leurs erreurs.
Dans le cas où le prévenu persisterait à ne vouloir prêter
serment que sous Ja condition et réserve sus-indiquée, c’est-
à-dire si, requis en jugement, il ne jure point nettement de
dire la pleine et entière vérité, on procédera à la monition
canonique, puis on rendra par écrit une sentence d’excom-
munication contre celui qui, sur une telle réquisition, aura
refusé de prêter serment, à moins pourtant qu’il ne s’exé-
M de és ci - 45 - An À
180 DE MODO BEQUINORUM ASTUTIAM VITANDI
verit, nisi Juraverit precise statim vel saltem infra illam
horam vel illam diem seu tempus, quam horam vel
diem seu tempus jJudex inquirens de benignitate seu
equitate eidem peremptorie ! duxerit prefigendum, cum
‘etiam de jure teneatur statim sine termino dilatorio
jurare precise et simpliciter requisitus; et sententia ex-
communicationis, prius ordinata et formata et lata, in
scriptis inseratur in processu.
Si vero sententiam excommunicationis incurrerit et
eam per aliquos dies pertinaciter sustinuerit animo in-
durato, tunc, repetitus in Judicio, requiratur si reputat
se esse excommunicatum et ligatum predicta sententia;
et si responderit quod non reputat se esse excommuni-
catum nec ligatum per dictam sententiam, tunc evidens
erit quod talis est contemptor clavium Ecclesie ipso
facto. Et iste est unus articulus erroris et heresis, in
quo quis pertinaciter perseverans hereticus est censen-
dus. Et tam requisitio facta super hoc quam responsio
ipsius inseratur in processu, et ulterius contra talem
quantum de jure fuerit procedatur, monendo ipsum
canonice et exortando perhemptorie quod a predicto
errore et heresi resiliat ipsumque abjuret; alioquin ex
tunc velut hereticus Judicabitur et condempnabitur et
tanquam talis relinquetur in Judicio curie secularis.
Notandum etiam quod ad convincendum ejus mali-
tiam, ut magis appareat error ejus et ad justificandum
processum contra talem, poterit iterum ferri alia nova
sententia excommunicationis in scriptis contra eumdem
tanquam contra illum qui est contumax in causa fidei,
pro eo videlicet quia jurare simpliciter et precise ac
etiam respondere de hiis que ad fidem pertinent necnon
abjurare expressum errorem et heresim pertinaciter re-
#
- F ve Tour À RP
PRÉCAUTIONS CONTRE L'ASTUCE DES BÉGUINS 181
cute aussitôt ou ne demande un délai d’une heure, d’un
jour ou plus; dans ce dernier cas, l’inquisiteur fixera
péremptoirement! le temps, le jour et l’heure; ce sera,
d’ailleurs, de sa part bienveillance et modération, car, en
droit, il peut exiger et requérir sur-le-champ un serment
pur et simple. La sentence une fois décidée, libellée et
rendue par écrit, on l’annexera au procès.
Si, après avoir encouru une sentence d’excommunication,
le prévenu la supporte quelques jours avec pertinacité et
d’un cœur endurci, on le rappellera en jugement et on le
requerra de dire s’il se tient pour excommunié et lié par
ladite sentence : une réponse négative prouverait évidem-
ment qu’il est, de ce fait, contempteur du pouvoir des clés
de l’Église. Or c’est là un cas d’erreur et d’hérésie, et celui
qui y persiste avec obstination est réputé hérétique. Cette
requête sera insérée au procès ainsi que la réponse du
délinquant; et l’on procédera ultérieurement contre lui dans
les formes que de droit : monition canonique, puis invita-
tion péremptoire à abandonner ladite erreur et héreésie et à
Pabjurer : faute de quoi, on le jugera et condamnera
aussitôt comme hérétique et on l’abandonnera, en tant que
tel, au jugement de la cour séculière.
Afin de démontrer la malice d’un tel personnage, de mieux
mettre son erreur en évidence et de justifier le procès
engagé, on pourra, ceci est à noter, porter contre lui par
écrit une nouvelle sentence d’excommunication pour con-
tumace en matière de foi, à savoir parce qu'il a refusé
obstinément, d’une part, de prêter serment pur et simple, de
répondre aux questions touchant la foi, et, de l’autre,
d’abjurer une erreur et hérésie formelle. En cela, il a
1. Avant de prononcer une excommunication le juge avait
l'obligation d'inviter trois fois l’inculpé à s’exécuter. Afin d’éviter
les longueurs de la procédure, il était autorisé à faire une unique
monition, que pour cette raison on désignait sous le nom de
« péremptoire ». Voir X. Wernz, Jus decretalium, t. VI (Prato,
1913, in-8°), p. 170.
182 FORMA SENTENTIAE EXCOMMUNICATIONIS FERENDAE
cusat, in hoc ipso manifeste parere subterfugiens, non
minus quam ille qui etiam alias citatus contumaciter se
absentat. Et lata sententia contra ipsum intimetur eidem
et intimatio scribatur. Quod etiam ex ista causa talis
contumacie in causa fidei ipse excommunicatus exis-
tens, si dictam excommunicationis sententiam ultra
annum sustinuerit animo pertinaci, ex tunc velut here-
ticus de jure debebit et poterit condempnari".
Amplius autem notandum est quod contra talem po-
‘terit procedi ad recipiendum testes, si qui fuerint contra
ipsum, vel etiam talis artari seu restringi poterit in
dieta vel alias in carcere seu vinculis vel etiam ques-
tionari de consilio peritorum, prout qualitas negocii et
persone conditio exegerit, ut veritas eruatur.
[9.] FORMA AUTEM PRIME SENTENTIE POTERIT ESSE TALIS.
— Cum tu talis, de tali loco, captus vel citatus fueris
tanquam suspectus et diffamatus et accusatus seu dela-
tus de erroribus et opinionibus erroneis Bequinorum,
qui se dicunt fratres pauperes de tertio ordine sancti
Francisci, quod errores et opiniones erroneas tenent et
dogmatizant contra fidem rectamet contra statum sancte
Romane ac universalis ecclesie et contra apostolicam
potestatem, constitutus in Judicio coram nobis tali
N.inquisitore, requisitus et monitus sepius a nobis ca-
nonice, et mandatus ac jussus quod jures de plena et
mera veritate dicenda tam de te quam de aliis compli-
cibus tuis et credentibus et fautoribus vivis et defunc-
us super facto heresis et specialiter super erroribus ac
opinionibus erroneis quibuscumque Bequinorum pre-
dictorum extollentibus se contra fidem et Romanam
ecclesiam et apostolicam sedem et contra potestatem
pape et prelatorum Romane ecclesie, tu jurare super
1. Tel était le principe posé par Bernard Gui : « Les inquisi-
FORMULE-TYPE D’UNE SENTENCE D'EXCOMMUNICATION 183
manifestement esquivé l’obéissance, aussi bien que celui
qui, cité par ailleurs, s’abstient, par contumace, de com-
paraître. La sentence portée devra lui être intimée, et par
écrit. Si, excommunié de la sorte pour contumace, il reste
d’un cœur obstiné pendant plus d’un an sous le coup de
cette excommunication, on pourra des lors et on devra le
condamner, de plein droit, comme hérétiquet.
Contre un accusé de ce genre, ceci est de plus à noter, on
aura le loisir, ou de procéder à l’audition de témoins à
charge, s’il en existe, ou même, afin de lui arracher la vérité,
d'employer la contrainte et de réduire l’accusé par la faim,
par la prison ou les fers ou de le mettre à la question, selon
l'avis des gens compétents et selon que l’exigeront la nature
de l'affaire et la condition de la personne.
[9] FORMULE-TYPE DE LA PREMIÈRE SENTENCE. — Vu que
toi, un tel, de tel pays, arrêté ou cité comme suspect, diffamé,
accusé ou dénoncé comme partisan des erreurs et fausses
croyances des Béguins qui s’intitulent Pauvres Frères du
tiers-ordre de saint François, erreurs et croyances qu’ils pro-
fessent et enseignent contre la vraie foi, contre la condition
de l’Église romaine, sainte et universelle, et contre la
puissance apostolique, tu as été constitué en jugement devant
nous, N., inquisiteur ; vu que nous t’avons souvent requis et
admonesté canoniquement, t'avons sommé de dire, sous la
foi du serment, la pleine et entière vérité, en ce qui te re-
garde personnellement comme en ce qui concerne tes com-
plices, « croyants » et « fauteurs », vivants et morts, sur le
fait d’hérésie et spécialement sur toutes erreurs et croyances
erronées professées par les susdits Béguins à l’encontre de
la foi, de l’Église romaine, du Siège apostolique, de la puis-
sance du pape et des prélats de l'Église romaine; vu que tu
teurs peuvent condamner comme hérétiques ceux qui persévèrent
un an durant dans l’excommunication et leur appliquer les peines
promulguées contre les hérétiques » (Practica Inquisitionis,
éd. Douais, p. 177). Dans la pratique, les tribunaux d’inquisition
se montrèrent beaucoup moins stricts. On ne considéra comme
hérétiques que ceux qui refusaient de comparaître après une ci-
tation et dans un nouveau délai d’un an. Voir N. Eymerici, Di-
rectorium Inquisitorum (Rome, 1578, in-fol.), p. 360-361.
184 FORMA SENTENTIAE EXCOMMUNICATIONIS FERENDAE
premissis recuses simpliciter et absolute, nisi cum con-
ditione ac retentione et protestatione expressa, que con-
ditio, retentio et protestatio a jure et a ratione sunt pe-
nitus aliene;
Ego prefatus talis N. inquisitor precipio tibi et moneo
te semel, secundo ac tertio, canonice et peremptorie,
sub pena excommunicationis, quod tu jures coram no-
bis in Judicio ad sancta Dei evangelia simpliciter et
absolute sine conditione ac retentione aliqua juri et
rationi contraria de plena et mera veritate dicenda tam
de te, sicut de principali, quam de aliis complicibus
tuis, credentibus, fautoribus et defensoribus vivis aut
defunctis, sicut testis, quicquid scis, aut scivisti, aut
vidisti, aut credis aut credidisti super facto heresis et
specialiter super erroribus et opinionibus erroneis aut
scismaticis tuis et aliorum Bequinorum de tertio ordine
sancti Francisci et super omnibus pertinentibus ad ne-
gocium et officium heretice pravitatis.
Et de benignitate ac gratia assigno tibi ad jurandum
modo et forma sicut premittitur super premissis et ea
tangentibus, pro primo termino ab ista hora presentis
diei in qua nunc sumus usque ad sextam horam, et pro
secundo termino ab hora sexta usque ad nonam imme-
diate sequentem, et pro tertio et ultimo ac perhempto-
rio termino ab hora nona usque ad vesperas, vel usque
ad completorium presentis diei; et nisi infra dictum
ultimum et perhemptorium terminum modo et forma
sicut premittitur juraveris, ex nunc pro tunc, cano-
nica monitione premissa, auctoritate qua fungor apos-
tolica in officio inquisitionis, in hiis presentibus scrip-
tis te excommunico et sententiam excommunicationis !
in te fero, etistius sententie excommunicationis coplam
tibi offero, si eam habere volueris et a nobis petieris.
EE nl ln gag Va ame PP pe Pate charter mh + eme nt,
FORMULE-TYPE D’UNE SENTENCE D'EXCOMMUNICATION 185
refuses, en ces matières, le serment pur et simple, n’accep-
tant de le prêter que sous d’expresses conditions, réserves
et protestations, lesquelles conditions, réserves et protesta-
tions sont absolument étrangères au droit et à la raison;
En conséquence, je, déjà nommé, N., inquisiteur, t’en-
joins et te requiers, une fois, deux fois et trois fois, canoni-
quement et péremptoirement, sous peine d’excommunica-
tion, de jurer en jugement et en notre présence, sur les
saints Évangiles de Dieu purement et simplement, sans au-
cune condition ou réserve contraire au droit et à la raison,
de dire la pleine et entière vérité, tant en ce qui te regarde,
toi, principal intéressé, qu’en ce qui concerne tes complices
« croyants », « fauteurs » et défenseurs, vivants et morts, et
ce comme témoin; de déclarer tout ce que tu sais, a su ou
vu, ce que tu crois ou a cru sur le fait d’hérésie, spéciale-
ment sur tes erreurs et opinions erronées et schismatiques,
sur celles des autres Béguins du tiers-ordre de saint François
et sur tout ce qui touche au service et à l'office de l’hérésie.
Par bienveillance et par grâce, je te donne, pour prêter
ce serment en la manière et forme prévues, sur les matières
sus-indiquées et celles qui s’y rapportent, un premier délai :
de ce moment-ci à la sixième heure de la présente journée;
un deuxième : de la sixième à la neuvième heure; un troi-
sième, dernier et péremptoire délai : de la neuvième heure
à l’heure des vêpres de ce jour ou jusqu’à celle de complies.
Si, à l'expiration de cet ultime et péremptoire délai, tu
n’as pas juré en la manière et forme prévues, dès mainte-
nant et pour lors, après la monition canonique, en vertu de
l'autorité apostolique qui m’est dévolue dans l'exercice de
ma fonction inquisitoriale, je t’'excommunie par les présentes
et lance contre toi une sentence d’excommunication!; je
tiens à ta disposition la copie de cette sentence, si tu le
désires et nous en fais la demande.
1. Les excommuniés pour cause d’hérésie encouraient des in-
capacités civiles et politiques fort dommageables. Leurs biens
pouvaient être saisis, puis confisqués s’ils persévéraient plus d’un
an dans l’excommunication. Cf. Tanon, Histoire des tribunaux
de l’Inquisition, p. 239-240 et 539-545.
186 FORMA ALTERIUS CONTRA CONTUMACEM SENTENTIAE
Lata fuit hec sententia anno, die et loco tali, presen-
tibus talibus, etc.
[10.] FORMA ALTERIUS SENTENTIE EXCOMMUNICATIONIS
CONTRA TALITER CONTUMACEM ! POTERIT ESSE TALIS. — Nos
talis N. inquisitor, auctoritate qua fungimur apostolica
in officio inquisitionis heretice pravitatis, precipimus
tibi tali N., de tali loco presenti, et monemus te semel,
secundo ac tertio, canonice et peremptorie, quod tu
jures simpliciter et precise de plena et mera veritate
dicenda de te et de aliis complicibus tuis super errori-
bus et opinionibus erroneis Bequinorum de tertio or-
dine et super quibusdam aliis tangentibus fidem et
pertinentibus ad officium inquisitoris heretice pravi-
tatis ;
item, quod confitearis super premissis de te et de
aliis coram nobis in judicio veritatem;
item, quod petas humiliter beneficium absolutionis
a sententia excommunicationis lata a nobis contra te in
scriptis quam incurristi et qua teneris ligatus;
et quod redeas ad ecclesiasticam unitatem, et tuum
errorem recognoscas ipsumque et omnem heresim co-
ram nobis abjures, ut sic, prestito juramento de parendo
mandatis Ecclesie et nostris, merearis reconsiliari Ec-
clesie unitati.
Et ad predicta omnia et singula facienda citamus te
ad tertiam diem ab hac presenti die, primam diem
presentem tibi pro primo, secundam vero pro secundo,
et tertiam pro tertio et ultimo ac peremptorio termino
assignantes, ut respondeas de fide et de hiis de quibus
suspectus es, vel delatus seu accusatus quecumque
commiseris aut commisisti, vel scis alios commisisse
contra fidem in causa fidei, coram nobis in judicio ple-
+
1. Tout accusé qui n’obéissait pas à une triple citation à com-
AUTRE FORMULE DE SENTENCE CONTRE UN CONTUMACE 187
Cette sentence a été rendue telle année, tel jour, en tel
lieu, en présence de telles personnes... etc.
[10.] AUTRE FORMULE-TYPE DE SENTENCE D'EXCOMMUNICATION
CONTRE CONTUMACE {. — Nous, N., inquisiteur, en vertu de
l'autorité apostolique qui nous est conférée dans l’exercice
de notre charge, nous t’'enjoignons, à toi, N., de tel lieu,
ici présent, et t’en faisons une première, deuxième et troi-
sième fois, monition canonique et péremptoire, d’avoir à
jurer purement et simplement de dire la pleine et entière
vérité, en ce qui te concerne, toi et tes complices, au sujet
des erreurs et opinions erronées des Béguins du tiers-ordre,
et de toùtes autres questions se rapportant à la foi et à l’of-
fice de lPinquisiteur;
item, devant nous et en jugement, d’avouer la vérité sur
ces matières, en ce qui te concerne, toi et tes complices;
item, d’implorer humblement la grâce d’être relevé de la
sentence d’excommunication que nous avons portée par
écrit contre toi, sentence que tu as encourue et qui te lie;
item, de revenir à l’unité ecclésiastique, reconnaître ton er-
reur, l’abjurer en notre présence ainsi que toute hérésie,
afin, de la sorte, après avoir prêté le serment d’obéir aux
ordres de l'Église et aux nôtres, de mériter d’être réconcilié
et de rentrer en union avec l’Église.
A l'effet d'accomplir toutes et chacune des choses sus-
dites, nous te citons à comparaître dans trois jours. Nous
t’assignons comme premier délai la présente journée, comme
second celle de demain, et celle d’après-demain comme
terme ultime et péremptoire pour répondre de ta foi et de
tout ce dont tu es suspect, dénoncé ou accusé. Devant
nous et en jugement, tu déclareras, avec une absolue vérité,
tout ce que tu as commis, tout ce que tu sais avoir été com-
paraître devant le juge d’inquisition ou à la citation dite péremp-
toire était déclaré contumace. Une sentence d’excommunication
était prononcée contre lui et la saisie de ses biens effectuée,
mais l’une et l’autre à titre provisoire, durant une année. La
confiscation devenait définitive après ce délai écoulé ; au contraire
l'excommunication pouvait être levée si l’inculpé se présentait.
Cf. Tanon, Histoire des tribunaux de l’Inquisition, p. 403-407.
188 DE BEGUINORUM AMBIGUIS RESPONSIONIBUS
nariam veritatem necnon ut facias super predictis om-
nibus et singulis quod de jure fuerit faciendum.
Alioquin, nisi infra predictam diem tertiam aut sal-
tem in ipsa predicta die tertia ante horam completorii
predicta omnia et singula feceris et compleveris sicut
de jure teneris, ex nunc pro tunc et ex tunc ut nunc,
predicta nostra monitione canonica premissa, te tan-
quam contumacem in causa fidei pro eo quod obedire
et parere in predictis subterfugis et recusas atque con-
tempnis, auctoritate apostolica qua fungimur in officio
inquisitionis, excommunicationis vinculo innodamus.
Quam excommunicationem si per annum sustinueris
animo pertinaci, intimamus et declaramus tibi quod ex
tunc contra te tanquam contra hereticum procedemus!-
Et offerimus tibi predicte sententie excommunicatio-
nis nunc late contra te copiam, si eam habere volueris
et a nobis petieris.
Lata fuit hec sententia anno, die et loco, etc., presen-
tibus talibus, etc.
[11.] INSTRUCTIO QUEDAM CONTRA DOLUM ET FALLACIAM
ILLORUM QUI NOLUNT CLARE ET LUCIDE, SET AMBIGUE ET
OBSCURE ET IN EQUIVOCO RESPONDERE. — Sunt etiam inter
ipsos quidam malitiosi pariter et dolosi qui, ut verita-
tem pallient et se ac suos complices contegant et oc-
cultent ne eorum error et falsitas deprehendatur, sic
respondent ambigue, sic obscure, sic generaliter et con-
fuse ad interrogata, quod ex responsione ipsorum non
potest clara veritas colligi vel haberi; unde requisiti
quid ipsi credant de articulo proposito vel de articulis
eis propositis, respondent ad singulos : « Ego credo de
I. Deux cas se présentaient. Si le juge possédait la preuve du
délit soit par un aveu précédent de l'intéressé, soit par les té-
moignages valables de tiers, soit par le constat même, il pro-
nonçait aussitôt les peines réservées au contumax. Si au con-
DES RÉPONSES AMBIGUËS DES BÉGUINS 189
mis par d’autres en matière de foi; et à propos de tout ce
qui a été indiqué plus haut, tu feras ce que de droit.
Autrement, si, dans les trois jours ou au moins à la fin
du troisième jour avant l’heure de complies, tu ne t’es pas
exécuté et n’as pas rempli toutes et chacune des obligations
que le droit t’impose, dès maintenant et pour l’avenir, pour
l'avenir comme dès maintenant, après la monition cano-
nique que nous venons de t’adresser, puisque tu te dérobes,
refuses d’obéir et méprises nos ordres, en vertu de l’auto-
rité apostolique qui nous est conférée dans l'exercice de
notre fonction d’inquisiteur, nous t’enlaçons des liens de
l’excommunication pour contumace en matière de foi.
Si, pendant une année, tu restes d’un cœur obstiné sous le
coup de cette excommunication, nous t’intimons et décla-
rons que dès maintenant nous procéderons contre toi pour
crime d’hérésief.
Nous tenons à ta disposition copie de la sentence d’ex-
communication lancée contre toi, si tu le désires et nous en
fais la demande.
Cette sentence a été rendue en telle année, tel jour et en
tel lieu, etc., en présence de telles personnes, etc.
[11.] INSTRUCTION CONTRE LA RUSE ET LA FOURBERIE DE
CEUX QUI NE VEULENT PAS RÉPONDRE CLAIREMENT ET NETTE-
MENT, MAIS SEULEMENT D’UNE FAÇON AMBIGUË, OBSCURE ET
ÉQUIVOQUE. — Parmi les Béguins, il en est qui, malicieux
autant que rusés, afin de pallier la vérité, de se cacher et
dissimuler, eux et leurs complices, et de peur de laisser sur-
prendre leur erreur et fausseté, répondent aux questions en
termes si ambigus, si obscurs, si généraux et si confus que
l’on ne peut tirer une claire vérité de leurs réponses. Les
requiert-on de déclarer s’ils croient à tels ou tels articles,
ils font chaque fois cette réponse : « Je crois ce que croit
traire, la preuve manquait, la persistance dans la contumace
durant une année suffisait à établir la culpabilité de l’incriminé.
En pratique, la sentence se rendait bien au delà du terme pres-
crit (Practica Inquisitionis, éd. Douais, p. 10, 13, 16, rog et 101,
et Limborch, Historia Inquisitionis, p. 175 et 255).
Manuel de l'inquisiteur. 17
190 DE LIBRO INTITULATO : TRANSITUS S. PATRIS
hoc sicut credit vel illud quod credit sancta ecclesia
Dei » ; non volunt se aliter explicite declarare nec aliter
respondere, quamvis sepius requisiti.
In quo casu, ad excludendum eorum fallaciam qua
utuntur vel potius abutuntur sub nomine ecclesie Dei,
diligenter et subtiliter ac perspicaciter sunt interrogandi
et examinandi quid ipsi intelligant per illam ecclesiam
Dei aut que sit secundum eos ecclesia Dei, quia ipsi
equivocant ecclesiam Dei, sicut patet in articulis de er-
roribus eorumdem, quoniam se ipsos et suos complices
et credentes dicunt esse ecclesiam Dei aut esse de eccle-
sia Dei; illos autem qui tenent et credunt contrarium
eorum que ipsi credunt et persecuntur ipsos non repu-
tant esse ecclesiam Dei aut de ecclesia Dei.
Et ob hoc est necessaria industria et sollertia inqui-
rentis. Et possunt ac debent tales cogi seu compelli ad
respondendum clare et ad determinandum explicite
illud quod respondent in genere vel in equivoco seu
confuse, per sententiam excommunicationis, sicut no-
tatum est in articulo precedenti.
[12.] DE [LIBELLO DE] TRANSITU FRATRIS PETRI JOHANNIS
Ozivi QUEM BEQUINI ET BEQUINE IN SUIS CONVENTICULIS VE-
NERANTUR ET SEPIUS LEGUNT AUT LEGI AUDIUNT. — Notan-
dum est autem incidenter in hoc loco quod Bequini et
Bequine in conventiculis suis legunt aut faciunt legi et.
audiunt libenter et frequenter quemdam parvulinum
libellulum quem intitulant Transitum sancti Patris.
In quo ita scriptum legitur et habetur : « In nomine
Domini nostri Jhesu Christi qui est benedictus in
secula. Anno incarnationis ejusdem Mo CCe XCVII!,
pridie ydus martii?, die veneris, hora sexta, [in] ci-
vitate Narbona, migravit a seculo pater sanctissimus ac
L'OPUSCULE SUR « LA MORT DU ST PÈRE Ÿ 191
l’Église de Dieu; ma croyance est conforme à la sienne »;
revient-on à la charge, ils refusent de répondre autrement
ou de donner des éclaircissements supplémentaires.
En pareil cas, pour écarter la fourberie dont ils usent ou
plutôt abusent sous ce nom d’Église de Dieu, on devra les
questionner et les interroger avec discernement, sagacité et
perspicacité : qu’entendent-ils par cette Église de Dieu ; qu’est-
ce, à leur sens, que l’Église de Dieu? Car ils équivoquent
sur ce terme, puisque, comme il appert de l’énoncé des ar-
ticles de leurs erreurs, ils prétendent, eux et leurs com-
plices, être l’Église de Dieu ou appartenir à cette Église.
Quant à ceux qui professent une croyance contraire à la
leur et les poursuivent, ils ne constituent pas, selon eux,
l’Église de Dieu et n’en font point partie.
Aussi bien, il est nécessaire à l’inquisiteur de faire preuve
d’adresse et d’habileté. On peut et on doit amener et con-
traindre de tels individus, et ce, au moyen de l’excommu-
nication, comme il a été noté dans le précédent article, à
répondre clairement et à déterminer explicitement le sens
de leurs réponses vagues, équivoques et confuses.
[12.] D’uN oPUSCULE SUR LA MORT DU FRÈRE PIERRE-
JEAN OLIEU EN HONNEUR DANS LES ASSEMBLÉES DE BÉGUINS
ET DE BÉGUINES ET QUE CEUX-CI LISENT OU ENTENDENT LIRE
FRÉQUEMMENT. — À noter ici en passant que fréquemment,
dans leurs assemblées, Béguins et Béguines lisent ou font
lire et écoutent volontiers un petit opuscule intitulé La
mort du Saint-Père.
On y lit : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, béni
éternellement. L’an de l’Incarnation 1297', le vendredi,
veille des ides de mars?, à la sixième heure, en la ville
de Narbonne, trépassa de ce siècle très saint-père et illus-
1. C'est-à-dire en 1298, puisque Bernard Gui employait le style
de l’Annonciation.
2. C'est-à-dire le 14 mars.
192 DE LIBRO INTITULATO : TRANSITUS S. PATRIS
preclarissimus doctor frater Petrus Johannis Olivi,
anno etatis sue quinquagesimo, anno vero ingressus
sui ad religionem fratrum Minorum XXXVIIIe, qui
fuit oriundus de castello Serinhani, quod per miliare
distat a mari in dyocesi Bitterrensi, cujus sacratissi-
mum corpus in fratrum Minorum Narbone ecclesia
in medio chori venerabiliter requiescit.
« Cujus viri sanctissimi mirandum sue conversionis
progressum perfectissimum, necnon et sue conversa-
tionis finem gloriosissimum melius fore Judico sacro
silentio venerandum quam mordacium canum latrati-
bus exponere conculcandum. Unum autem pretermit-
tendum non puto quod dictus pater venerabilis, circa
finem sui transitus, post sacram inunctionem receptam,
astante sibi conventu fratrum Minorum Narbone, dixit
totam scientiam suam per infusionem recepisse a Deo,
et Parisius, in ecclesia, hora tertia, subito se fuisse
illuminatum a Domino Jhesu Christo ».
Hec in predicto libellulo continentur, quem Bequini
et Bequine cum magna devotione legunt et legi audiunt
in suis conventiculis pro ejus reverentia, et credunt
omnino omnia vera esse. Fuit autem corpus ejus inde
extractum et alibi portatum et absconditum sub anno
Domini Mo CCC XVIII; set ubi sit a pluribus dubita-
tur et diversi diversa! circa hoc locuntur et dicunt.
ExPLiciT Tous I.
Là
L'OPUSCULE SUR « LA MORT DU S' PÈRE » 193
trissime docteur frère Pierre-Jean Olieu, dans sa cinquan-
tième année, de son entrée dans l’ordre des Frères Mineurs
la trente-huitième. Il naquit au bourg de Sérignan, à un
mille de la mer, dans le diocèse de Béziers. Son très saint
corps repose honorablement au milieu du chœur en l’église
des Frères Mineurs de Narbonne.
« Mieux vaut, à mon avis, vénérer, en un silence sacré,
l’admirable conversion et la perfection toujours croissante
de ce très saint homme, que de les exposer aux piétine-
ments et aboiements de chiens enragés. Je ne crois pas
pourtant devoir omettre ceci : peu de temps avant sa mort,
après avoir reçu l’extrême-onction, en présence des Frères
Mineurs du couvent de Narbonne, le vénérable père déclara
qu’il avait reçu toute sa science de Dieu par révélation et
qu'à Paris, dans l’église cathédrale, à la troisième heure,
Notre-Seigneur Jésus-Christ l’avait soudainement illu-
miné. »
Voilà ce qui est contenu dans le susdit opuscule, que,
dans leurs assemblées, Béguins et Béguines lisent et en-
tendent lire avec grande dévotion et par vénération pour le
frère, tenant tout cela pour l’absolue vérité. Or le corps a
été exhumé, transporté ailleurs et caché, l’an du Seigneur
1318; où? beaucoup se le demandent et les récits! diffèrent
sur ce point avec les auteurs.
1. Les Conventuels, adversaires des Spirituels, rasèrent en effet
le tombeau d’Olieu et firent disparaître ses restes. Voir F. Ehrle,
dans l’Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte, t. II (1886),
p. 293, et t. III (1887), p. 443.
FIN DU TOME I.
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TABLE DES MATIÈRES
Pages
INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . V
re partie : Le Manuel de Bernard Gui . . . . vi
I. Biographie de Bernard Gui, p. vi. —
II. Plan du Manuel, p. vu. — III. Date de
composition du Manuel, p. x1. — IV. Sources
du Manuel, p. xvir. — V. Description des ma-
nuscrits, p. xxv. — VI. La présente édition,
P- XXIX.
2e partie : Les hérétiques et la procédure inquisi-
toriale e ° e. ° e e e e . e [3 e . LL e. XXX
I. Les diverses catégories d’hérétiques . . . . xxx
1. Les Cathares, p. xxx1. — 2. Les Vaudois,
p. xxxix. — 3. Les Pseudo-Apôtres, p. xLu. —
4. Les Béguins, p. xzu. — 5. Les Juifs, p. xLiv.
— 6. Les faiseurs de sortilèges, p. xLiv.
II. La procédure inquisitoriale d’après Bernard
GUESS Has SH SNS Se A ue SAN
1. La citation, p. xziv. — 2. Le mandat
de capture, p. xLzvi. — 3. L'interrogatoire,
p. xLvII. — 4. La contrainte, p. xzix. — 5. La
sentence, p. LI. — 6. Les peines, p. LI. —
7. La prison, p. Lim. — 8. Les signes d’infa-
mie, p. Liv. — 9. Les pèlerinages, p. LvI. —
10. Les peines pécuniaires, p. Lvarr. — 11. Les
confiscations de biens, p. Lix. — 12. La des-
truction des maisons, p. LxI. — 13. Les inca-
«
196 TABLE DES MATIÈRES
pacités, p. LxII. — 14. Remises et commuta-
tion de peines, p. Lx.
IT. Bibliographie . LXVI
Tableau des manuscrits utilisés LXVIII
MANUEL DE L’INQUISITEUR. . «+ . . + . … I
INSTRUCTION GÉNÉRALE . . 2
I. Les nouveaux Manichéens . . . . . 10
IT.
III.
1. Erreurs des nouveaux Manichéens (ou
Cathares), p. 10. — 2. Genre de vie et rites des
nouveaux Manichéens, p. 18. — 3. Manière de
recevoir les malades dans la secte, p. 22. —
4. Enseignement des nouveaux Manichéens,
p. 22. — 5. Interrogatoire des « croyants »,
p. 26. — 6. Remarque générale, p. 32.
La secte des Vaudois . . . . . .
1. Origines de la secte, p. 34. — 2. Comment
on les appelle communément, p. 36. — 3. Leurs
erreurs, p. 38. — 4. Leurs rites, p. 42. —
5. Leur genre de vie, p. 48. — 6. Leur ensei-
gnement, p. 58. — 7. Leurs fallacieuses et as-
tucieuses réponses, p. 64. — 8. Leurs so-
phismes et leurs équivoques, p. 72. — 9. Inter-
rogatoire des Vaudois convertis, p. 76.
La secte des Pseudo-Apôtres . . . ;
1. Origines de la secte, p. 84. — 2. Mode
d'initiation, p. 84. — 3. Erreurs des Pseudo-
Apôtres, p. 86. — 4. Leurs moyens de propa-
gande, p. 94. — 5. Méthode à suivre pour les
interroger, p. 96. — 6. Interrogatoires géné-
raux, p. 98. — 7. Questions spéciales à poser,
p. 102. — 8. Précautions à prendre pendant
l’interrogatoire, p. 104.
34
84
TABLE DES MATIÈRES
IV. La secte des Béguins . . . . . . . . .
1. Origines de la secte, p. 108. — 2. Leurs
débuts, p. 108. — 3. Leur genre de vie, p. 114.
— 4. Signes auxquels on peut les reconnaître,
p. 116. — 5. Leurs erreurs, p. 118. — 6. Mé-
thode à suivre pour les interroger, p. 154. —
7. Questions spéciales à leur poser, p. 156. —
8. Dispositions à prendre contre leur astuce
et leur malice, p. 174. — 9. Formule-type de
sentence d’excommunication, p. 182.— 10. For-
mule-type de sentence d’excommunication
contre contumace, p. 186. — 11. Instruction
contre leur ruse et leur fourberie, p. 188. —
12. De l’opuscule intitulé « La mort du Saint-
Père », p. 190.
NOGENT-LE-ROTROU, IMPR. DAUPELEY-GOUVERNEUR.
Nihil obstat
V. MARTIN
Imprimatur
Argentorati, die 29 aprilis 1926
Carolus Joseph Eugenius Rucs, USE ©
episcopus Argentinensis.
LES CLASSIQUES
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Professeur à la Faculté des lettres de Bordeaux
1. Éginhard, Vie de Charlemagne, publiée et traduite par Louis
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2. Le dossier de l'affaire des Templiers, publié et traduit par
G. LIZERAND, professeur au lycée Michelet. Un vol. petit in-8°,
XXIV-229 pages (1923). Broché Relié
Prix pour les acheteurs ordinaires. . . . 12 fr. 50 15 fr. »»
Prix pour les souscripteurs à la collection. 10 fr. »» 12 fr. 50
8. Commynes, Mémoires, publiés par J. CALMETTE, professeur à
la Faculté des lettres de Toulouse, avec la collaboration du
chanoine DURVILLE; tome Ier (1464-1474). Un vol. petit in-8,
XXXVI-257 pages (1924). Uroché Relié
Prix pour les acheteurs ordinaires. . . . 15 fr. »» 18 fr. »»
Prix pour les souscripteurs à la collection. 12 fr. »» 15 fr. »»
4. Histoire anonyme de la première croisade, publiée et traduite
- par Louis BRÉHIER, professeur à la Faculté des lettres de Cler-
mont-Ferrand. Un vol. petit in-8°, xxxVI-258 pages (1924).
Broché Relié
Prix pour les acheteurs ordinaires. . . . 15 fr. »» 18 fr. ss
Prix pour les souscripteurs à la collection. 12 fr. »» 15 fr. »s
5. Commynes, Mémoires, publiés par J. CALMETTE, professeur à
la Faculté des lettres de Toulouse, avec la collaboration du
chanoine DURVILLE;, tome II (1474-1483). Un vol. petit in-8°,
351 pages (1925). Broché Relié
Prix pour les acheteurs ordinaires . . . . 17 fr. 50 20 fr. 50
Prix pour les souscripteurs à la collection. 14 fr. ss 17 fr. »s
. 6. Commynes, Mémoires, publiés par J. CALMETTE, professeur à la
Faculté des lettres de Toulouse, avec la collaboration du cha-
Le
noine DURVILLE ; tome [TI ct dernier (1484-1498). Un vol. petit
in-8°, 442 pages (1925). Broché Relié
Prix pour les acheteurs ordinaires. . . . 20 fr. »» 24 fr. »»
Prix pour les souscripteurs à la collection. 16 fr. »» 20 fr. »»
7. Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, avec un fac-similé
des Serments de Strasbourg, publiée et traduite par Ph. LAUER,
bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. Un vol. petit in-89,
XX-172 pages et une planche (1926). Broché Relié
Prix pour les acheteurs ordinaires. . . . 12 fr. 50 16 fr. »»
Prix pour les souscripteurs à la collection. 10 fr. »» 13 fr. 50
S. Bernard Gui, Manuel de l’inquisiteur, publié et traduit par
l'abbé G. MoLLaT, professeur à la Faculté de théologie catho-
lique de Strasbourg, avec la collaboration de G. DRIOUX ; tomeler.
Un vol. petit in-89°, LXVIII-197 pages (1926). Broché Relié
Prix pour les acheteurs ordinaires. . . . 15 fr. »» 19 fr. 50
Prix pour les souscripteurs à la collection. 12 fr. »» 16 fr. 50
9. Bernard Gui, Manuei de l'inquisiteur, publié et traduit par
l’abbé G. MoLLaT, professeur à la Faculté de théologie catho-
lique de Strasbourg, avec la collaboration de G. DRrIoUx;
tome II et dernier (sous presse).
10. Loup de Ferrières, Correspondance (829-862), publiée et tra-
duite par L. LE&vVILLAIN, professeur au lycée Janson-de-Sailly ;
tome Ier (sous presse).
11. La chanson de la croisade albigeoise, publiée et traduite du pro-
vençal par E. MARTIN-CHABOT, archiviste aux Archives natio-
nales; tome Ier (sous presse).
A paraître :
(Les volumes marqués d’un * paraîtront parmi les premiers.)
Grégoire de Tours, Histoire des Francs, publiée et traduite par
L. LEVILLAIN, professeur au lycée Janson-de-Sailly.
*Frédégaire, Chronique, publiée et traduite par L. LEVILLAIN.
Fortunat, Poésies, publiées et traduites par E. GALLETIER, pro-
fesseur à la Faculté des lettres de Rennes.
Vies de saints de l’époque mérovingienne (sainte Geneviève, saint
Remi, sainte Radegonde, saint Ouen, saint Éloi, saint Léger,
etc.), publiées et traduites par R. FAWTIER, lecteur à l'Univer-
sité de Manchester.
Les Annales royales (741-829), publiées et traduites par Louis
HALPHEN.
Le « Codex Carolinus », publié et traduit par L. HALPHEN.
:@ Moine de Saint-Gall, Histoire de Charlemagne, publiée et tra-
duite par L. HALPHEN.
, Correspondance, publiée et traduite par Mie M. Bon-
DOIS, professeur au lycée Molière.
ut: us
Éginhard, Histoire de la translation des reliques de saint Marcellin
et de saint Pierre, publiée et traduite par Mie M. BonDoïrs.
Poésies carolingiennes, publiées et traduites par E. FARAL, pro-
fesseur au Collège de France.
Capitulaires carolingiens, publiés et traduits par Mgr LESsNE,
recteur des Facultés catholiques de Lille, et A. Dumas, pro-
fesseur à la Faculté de droit d'Aix.
L'Astronome, Vie de Louis le Pieux, publiée et traduite par
L. BARRAU-DIHIGO, conservateur de la Bibliothèque de l’Uni-
versité de Paris, et À VIDIER, inspecteur général des biblio-
thèques.
*Ermold le Noir, Poème sur Louis le Pieux et épîtres au roi Pé-
pin, publiés et traduits par E. FARAL, professeur au Collège
de France.
Paschase Radbert, L'épitaphe d’Arsenius, publiée et traduite par
J. CALMETTE, professeur à la Faculté des lettres de Toulouse.
*Les Annales de Saint-Bertin (830-882), publiées et traduites par
F. LoT, membre de l’Institut, professeur à la Faculté des lettres
de Paris, et F. GRAT, ancien élève de l’École des chartes.
Flodoard, Histoire de l'Église de Reims, publiée et traduite par
Ph. LAUER, bibliothécaire à la Bibliothèque nationale.
*Abbon, Le siège de Paris par les Normands, poème latin publié
et traduit par KR. BRUNSCHVIG, agrégé de l’Université.
Gerbert, Correspondance, publiée et traduite par F. LoT, membre
de l’Institut, professeur à la Faculté des lettres de Paris.
*Richer, Histoire, publiée et traduite par R. LATOUCHE, archiviste
du département des Alpes-Maritimes.
Helgaud, Vie de Robert le Pieux, publiée et traduite par E. MAR-
TIN-CHABOT, archiviste aux Archives nationales.
Fulbert de Chartres, Correspondance, publiée et traduite par
R. MERLET, archiviste honoraire du département d’Eure-et-
Loir.
démar de Chabannes, Chronique, publiée et traduite par J. DE
FonT-REAULX, archiviste du département de la Drôme.
Dudon de Saint-Quentin, Histoire des premiers ducs de Normandie,
publiée et traduite par H. PRENTOUT, professeur à la Faculté
des lettres de Caen.
Guillaume de Poitiers, Histoire de Guillaume le Cnprant pu-
bliée et traduite par H. PRENTOUT.
Les Miracles de saint Benoît, publiés et traduits par R. FAWTIER.
Raimond d’Aguilers, Histoire de la première croisade, publiée et
traduite par L. BRÉHIER, professeur à la Faculté des lettres
de Clermont.
Baudri de Bourgueil, Œuvres choisies, publiées et traduites par
l'abbé F. DUINE, aumônier du lycée de Rennes, et J. PORCHER,
bibliothécaire à la Bibliothèque nationale.
Sie. ess
Orderic Vital, Histoire de Normandie, publiée et traduite par
H. OMonT, membre de l’Institut, conservateur du département
des manuscrits de la Bibliothèque nationale
*Suger, Vies de Louis VI et de Louis VII, publiées et traduites par
H. WAQUET, archiviste du département du Finistère.
Guibert de Nogent, Mémoires, publiés et traduits par L. HALPHEN.
Ive de Chartres, Correspondance, publiée et traduite par A. FLICHE,
professeur à la Faculté des lettres de Montpellier.
Geoîfroi de Vigeoïs, Ckronique, publiée et traduite par E. MARTIN-
CHABOT, archiviste aux Archives nationales.
*Villehardouin, La conquête de Constantinople, publiée par H. Le-
MAITRE, bibliothécaire honoraire à la Bibliothèque nationale.
Pierre des Vaux-de-Cernay, Histoire de la croisade des Albigeois,
publiée et traduite par J. CALMETTE, professeur à la Faculté
des lettres de Toulouse.
Guillaume de Puylaurens, Histoire de la croisade des Albigeois,
publiée et traduite par J. CALMETTE. ,
*La chanson de la croisade albigeoise, publiée et traduite du pro-
vençal par E. MARTIN-CHABOT, archiviste aux Archives natio-
nales ; tome II et dernier.
Documents sur les rapporis diplomatiques et féodaux des rois de
France et des rois d'Angleterre (1154-1259), publiés et traduits
par F. M. Powicke, professeur à l’Université de Manchester.
*Joinville, Vie de saint Louis, publiée par Mario RoQuESs et
Louis HALPHEN.
_Geoftroi de Beaulieu, Vie de saint Louis, publiée et traduite par
M. BLocx, professeur à la Faculté des lettres de Strasbourg.
* Poésies historiques des trouvères français des XIIe et XITI® siècles,
publiées et traduites par A. JEANROY, membre de l’Institut,
professeur à la Faculté des lettres de Paris, et A. LANGFORS,
professeur à l'Université d’Helsingfors.
Poësies historiques des troubadours, publiées et traduites par
A. JEANROY, membre de l’Institut, professeur à la Faculté
des lettres de Paris, et F. BENOIT, ancien membre de l’École
française de Rome.
Sermonnaires français des XITe-XTIT® siècles, publiés et traduits
par M. BLocu, professeur à la Faculté des lettres de Strasbourg.
Enquêtes et documents sur la société française au XITI® siècle, pu-
bliés et traduits par A. DE BoÜARD, professeur à l’École des
chartes.
Documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière au moyen âge,
publiés et traduits par Henri PIRENNE, professeur à l’Univer-
sité de Gand, et G. ESPINAS.
Geoffroi de Paris, Chronique en vers, publiée et traduite par A. PAu-
PHILET et A. KLEINCLAUSZ, professeurs à la Faculté des lettres
de Lyon.
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Froissart, Chroniques, publiées par H. LEMAITRE.
Jean de Venette, Chronique, publiée et traduite par F. DÉPREZ,
professeur à la Faculté des lettres de Rennes.
Jouvenel des Ursins, Epîtres et harangues, publiées et traduites
par Pierre CHAMPION.
Jouvenel des Ursins, Chronique, publiée et traduite par L. Miror,
archiviste aux Archives nationales.
Pamphlets et libelles de la guerre de Cent ans, publiés par L. MrRroT.
La Pragmatique Sanction de Bourges, publiée et traduite par Oli-
vier MARTIN, professeur à la Faculté de droit de Paris.
Monstrelet, Chronique, publiée par L. CELIER, archiviste aux
Archives nationales.
*Thomas Basin, Histoire de Charles VII, publiée et traduite par
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23. CHANSONS SATIRIQUES ET BACHIQUES DU XIII® S.,
éd. par ALFRED JEANROY et ARTHUR LANGFORS.
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roles, par PIERRE CHAMPION ...............
2**. François Villon, ŒUVRES, éd. par AUGUSTE Lox-
GNON, 3° éd. revue par LUCIEN FOULET .......
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48. Jean Bodel, LE JEU DE SAINT NICOLAS, éd. par AL-
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3*. COURTOIS D'ARRAS, 2° éd. revue par EDMOND FA-
5*. LE GARCON ET L’AVEUGLE, 2° éd. revue par Mario
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6*, Adam le Bossu, LE JEU DE LA FEUILLÉE, 2° éd. re.
vue par ERNEST LANGLOIS..................
36. — Lx JEU DE RoBiN ET MARION, éd. par ER-
NEST LANGÉOIS se sn mere déve e s ees
— LE JEU DU PÈLERIN, éd. par ERNEST LANGLoIS...
49. Rutebeuf, LE MIRACLE DE THÉOPHILE, éd. par
GRACE FRANKR: 1:55 menrenee ester
30. LA PASSION DU PALATINUS, éd. par GRACE FRANK.
35. MAITRE PIERRE PATHELIN, éd. par RICHARD T.
HOGEBROOR 1250 e ts snensanses
HISTOIRE
40. Robert de Clari, LA CONQUÊTE DE CONSTANTI-
NOPLE, éd. par PHILIPPE LAUER.............,
43 Jean Sarrazin, LETTRE A NICOLAS ARRODE, éd. par
ALERED-L:FOULET 1:44. steam
IOBRÉER uit sudiste sand
32. Alain Chartier, LE QUADRILOGUE INVECTIF, éd. par
ÉDGÉNTE DROZ- ivresse
LITTÉRATURE DIDACTIQUE
13*. Huon le Roi de Cambrai, A B C PAR EKIVOCHE,
2€ éd. revue par ARTHUR LANGFORS .........
31. Jehan le Teinturier d'Arras, LE MARIAGE DES SEPT
ARTS, éd. par ARTHUR LANGFORS ............
— LE MARIAGE DES SEPT ARTS (anonyme), éd. par
ARTHURLANGFORS...........e.esssssoee
47. PROVERBES FRANÇAIS ANTÉRIEURS AU XV® SIÈCLE,
éd. par JosEPH MORAWSKI...................
LITTÉRATURE RELIGIEUSE
PROVENÇALE
45. LA CHANSON DE SAINTE FOI D’AGEN, éd. par AN-
TOINE THOMAS Lure suites esemsi sas
17. Bertran de Marseille, LA VIE DE SAINTE ENIMIE,
éd. par CLovis BRUNEL .................,....
FRANÇAISE
4***, LA VIE DE SAINT ÂALEXIS, texte critique de Gas-
TON PARIS, 6€ éd. revue.....................
13*. Huon le Roi de Cambrai, Ave Maria EN ROMAN et
DESCRISSION DES RELIGIONS, 2° éd. revue par
ARTHUR LANGFORS ..........+0. ssdémoe
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Deuxième série : MANUELS
BIBLIOGRAPHIE
16. BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE DES CHANSONNIERS PRO-
VENÇAUX, par ALFRED JEANROY........... se
18. BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE DES CHANSONNIERS
FRANÇAIS, par ALFRED JEANROY .............
GRAMMAIRE
21*. PETITE SYNTAXE DE L'ANCIEN FRANÇAIS, par Lu-
CIEN FOULET, 2€ éd. revue ........,..,......
II — TABLE CHRONOLOGIQUE
TEXTES PROVENÇAUX
XIS siècle. — 45. LA CHANSON DE SAINTE Fol
D'AGEN een iumase
9. LES CHANSONS DE Guillaume 1X.
XTTS siècle. — 27. LES POÉSIES DE Cercamon......
15%. LES CHANSONS DE Jaufré Rudel.
11*. LES POÉSIES DE Peire Vidal. ..
42. LES CHANSONS DE Guilhem de
Cabestanh...................
39. JONGLEURS ET TROUBADOURS GaAs-
CONS semi ass ee aie
XTTIE siècle. — 17. Bertran de Marseille, LA VIE DE
SAINTE ENIMIE .............
46. LES POÉSIES DE Jausbert de
Puycibot ....................
39. JONGLEURS ET TROUBADOURS GASs-
CONS Faune ne sn
TEXTES FRANÇAIS
XIe siècle. — 4***, LA VIE DE SAINT ALEXIS
XTIS siècle. — 14*. GORMONT ET ISEMBART........
22*. LE COURONNEMENT DE LouIs..
26. PIRAMUS ET TISBÉ..............
42. LE ROMAN D’ENÉAS, t. I ......
12*. Beroul, LE ROMAN DE TRISTAN.
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Jean Bodel, LE JEU DE SAINT Nico-
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LA QUESTE DEL SAINT GRAAL...
Jean Renart, GALERAN DE BRE-
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Robert de Clari, LA CONQUÊTE DE
CONSTANTINOPLE .......sssss
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. Philippe de Novarre, MÉMOIRES...
. Jean Sarrazin, LETTRE A NICOLAS
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. AUCASSIXN ET NICOLETITE ........
. GAUTIER D'AUPAIS ......eure.e
. Gerbert de Montreuil, PERCEVAL.
13*. Huon le Roi de Cambrai, Œu-
8*.
Huon le Roi, LE VAIR PALEFROI.
— Huon de Cambrai, LA MALE
HONTE 2:22 sieste ene
— Guillaume, LA MALE HONTE.....
sx
49.
LE GARÇON ET L'AVEUGLE......
Rutebeuf, LE MIRACLE DE THÉO-
PH É dus de di etes
1*+, LA CHASTELAINE DE VERGI....
GX.
41.
29.
23-
31.
Adam le Bossu, LE JEU DE LA
PEGCIÉLÉE Lin cran rsasde.
Adam le Bossu, LE JEU DE RoBIN
ET MARION................
— LE JEU DU PÈLERIN............
LE ROMAN DE TROIE en prose,
LR PÉRP P oe :
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CHIQUES sise unies
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DES SEPT ÂARTS............ ‘
— Lx MARIAGE DES SEPT ARTS (ano-
nymMe) ...s.sssosssssosessee
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XIVe siècle. — 30. LA PASSION DU PALATINUS.....
PROVERBES FRANÇAIS ANTÉRIEURS AU
RVOSILCRE Sum sua
XVe siècle. — 32. Alain Chartier, LE QUADRILOGUE
INVECTIR- esse nSuuve
2%*, François Villon, ŒUVRES......
35. MAITRE PIERRE PATHELIN......
34. Charles d'Orléans, POÉSIES, t. I..
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